Observatoire des think tanks | « L'emploi se crée avec et non contre les entreprises »
Agnès Verdier-Molinié, directeur de la Fondation iFRAP, a répondu aux questions de l'Observatoire français des think tanks, au sujet de l'agenda économique et fiscal du nouveau gouvernement.
OFTT : Que vous inspirent les projets du nouvel exécutif ?
La perspective de mesures fiscales potentiellement dangereuses pour nos entreprises, dont le taux de marge – et donc la capacité d'investissements - a déjà beaucoup baissé (28,6% en 2011, taux le plus bas depuis 25 ans), nous inquiète : révision de la CET (suppression de l'allègement progressif), surcotisation chômage sur les contrats précaires, suppression des amortissements fiscaux dérogatoires, modification des régimes d'acompte sur l'IS (contribution de 5% pour les entreprises réalisant plus de 250 millions d'euros de CA, augmentation du forfait social de 8 à 20%...). La fiscalité des personnes physiques nous inquiète aussi (plafonnement des niches fiscales à 10.000 euros, modification de l'ISF-Tepa, réintégration possible des biens professionnels dans l'assiette de calcul de l'ISF…) .
À la Fondation iFRAP, nos études nous ont montré que, si l'on veut financer les entreprises de croissance de demain, il faut inciter les plus riches de nos concitoyens à investir dans des start-up, innovantes ou pas. Nous appelons cela générer des vocations de « bons riches », soucieux de l'intérêt général.
Cependant, aujourd'hui, les options qui s'annoncent pour la loi de finances 2013 ne semblent pas aller dans ce sens. En effet, la mesure ISF-Tepa - qui permet de déduire un investissement dans une PME de l'ISF à payer - va être rogné à 25 ou 30% au lieu de 50%. Le gouvernement souhaite faire des économies sur les dépenses fiscales, ce qui est tout à fait louable mais, en gardant une déductibilité à 50% on pourrait faire plus d'économies en ciblant les jeunes et très petites entreprises qui ont vraiment des problèmes de financement au démarrage. Par ailleurs, pourquoi modifier cette mesure qui permet de « drainer » autour d'un milliard d'euros d'investissement vers le capital des entreprises, alors que les œuvres d'art continuent d'être totalement exonérées d'ISF ? Nos œuvres d'art les plus importantes pour la collectivité ne sont-elles pas nos entreprises et plus spécialement nos jeunes pousses qui créeront les emplois de demain ? Pourquoi dissuader les investisseurs ? Pourquoi risquer d'affaiblir encore l'emploi marchand ? Toutes les niches fiscales ne se valent pas, certaines sont vitales pour la création d'emplois. Nous espérons que ce sujet sera débattu dans le cadre du débat budgétaire.
Nous souhaitons également que, plutôt que de n'activer en permanence que le levier fiscal, le gouvernement regarde aussi plus en détail le levier de la baisse des dépenses publiques, que ce soit au niveau de l'État, des collectivités locales ou des dépenses sociales. Nous avons montré dans notre étude « 100 jours pour réformer la France » que, en 4 ans, le gouvernement pourrait économiser 129 milliards d'euros sur les dépenses, et ce, sans faire baisser la qualité de nos services publics. En termes de baisse de dépenses, il ne nous semble pas impossible que ce gouvernement fasse plus que le précédent.
OFTT : Et en matière de politique de l'emploi ?
L'emploi se crée avec les entreprises et non contre les entreprises. Ce sont ces dernières qui ont les clés de l'emploi marchand. En janvier 2012, notre Fondation a publié une étude comparant la situation des entreprises en France et en Allemagne. Nous y montrons notamment que l'augmentation du coût du travail grève l'investissement des entreprises et donc, à terme, les créations d'emplois. En Allemagne, la possibilité de négocier des salaires minimum par branche et la flexibilité du temps de travail qui se négocie en direct entre le patronat et les syndicats de salariés, ont permis de préserver les entreprises et l'emploi.
En France, si l'on prend par exemple la question des licenciements, nous disposons d'un code du travail très rigide. Dans la législation actuelle, la faculté pour les employeurs de pratiquer des licenciements économiques est enserrée dans des limites extrêmement strictes. La procédure est particulièrement lourde et formelle, le contrôle administratif sur les accords collectifs très pesant, les obligations de reclassement très fortes, et le contrôle du juge s'exerçant a posteriori fait planer pour une durée qui n'est pas définie un risque d'annulation rétroactive des licenciements. S'y ajoute une définition très restrictive de la cause réelle et sérieuse de ces licenciements, dans la mesure où seule la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, interprétée restrictivement, est susceptible de les justifier, étant entendu que la simple amélioration de la compétitivité ou de la profitabilité de l'entreprise n'est pas admissible. Par ailleurs, la notion de difficultés économiques s'apprécie au niveau du groupe, la filiale française en perte d'un groupe international prospère ne pouvant se prévaloir de ses propres difficultés pour procéder à des compressions d'effectifs.
Heureusement, le gouvernement ne parle plus aujourd'hui d'interdire les licenciements boursiers car plus on rigidifie les procédures de licenciement, plus les entreprises hésitent à embaucher dans des emplois durables.
OFTT : Que pensez-vous de la création d'un ministère délégué à l'Économie numérique, aux PME et à l'Innovation ?
Nous fondons beaucoup d'espoirs sur ce ministère, qui se situe dans la logique sémantique de ce que nous souhaitons : intérêt pour les start-up, ouverture des données publiques, etc. Ce portefeuille ministériel est stratégique car à la confluence de deux secteurs qui sont pour nous, à la fondation iFRAP, essentiels : l'ouverture des données publiques sans laquelle aucune évaluation des politiques publiques – et donc aucun travail sérieux de think tank n'est possible - et la création de jeunes entreprises et donc d'emplois. Fleur Pellerin peut avoir un rôle déterminant dans la sortie de la France du chômage par le haut, surtout si son objectif est de multiplier les investisseurs qui, tels Marc Simoncini, risquent leur argent pour créer des entreprises en France. Mais la tâche sera rude car il faudra s'opposer en permanence aux mesures qui risquent de démotiver les investisseurs à la fibre entrepreneuriale.
OFTT : Craignez-vous une modification des dispositions fiscales relatives au mécénat d'entreprise ?
La Fondation iFRAP a réalisé un état des lieux des subventions publiques aux associations. Nous avons établi que l'État, les collectivités locales et les organismes sociaux distribuaient, par an, 30 milliards d'euros de subventions directes sans que la nécessité de ces subventions soit toujours évaluée. Les dons représentent, pour leur part, seulement 1,1 milliard de coût pour les deniers publics.
Dans une perspective de long terme, le mécénat nous semble à privilégier : d'une part, parce que le Trésor public ne prend à sa charge qu'une partie du don et non la totalité et, d'autre part, car chaque donateur effectue un contrôle de l'activité de l'organisation qu'il finance.
Le gouvernement n'a pas intérêt à réduire les avantages fiscaux favorisant le mécénat en général car ce dernier est créateur d'emplois et œuvre dans des secteurs que les pouvoirs publics eux-mêmes ne veulent pas ou ne peuvent plus prendre entièrement en charge. D'une manière générale, il faut intégrer dans la réflexion sur les politiques publiques qu'à l'avenir, les missions réalisées en direct par l'État, les collectivités ou les services sociaux seront amenées à diminuer, tandis que les missions réalisées par voie de délégation de service public ou d'ouverture à la concurrence augmenteront.