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L'augmentation du smic à 1 600 euros détruirait 240 000 emplois

Quel serait l’impact économique d’une augmentation du Smic à 1600 euros nets par mois ? Si la mesure portée par le Nouveau Front Populaire a comme objectif affiché de soutenir le pouvoir d’achat des bas salaires, sa mise en place pourrait avoir des effets négatifs pour les entreprises qui ne seraient pas toutes en mesure d’assurer cette charge nouvelle. En jeu, et selon la Fondation IFRAP, 240 000 emplois pourraient être détruits et entre 9 500 et 70 000 entreprises risqueraient la faillite d'ici un an. Des chiffres qui ne prennent pas en compte la perte de compétitivité incluse pour la France et qui continuerait de détruire de l’emploi et des entreprises pendant de nombreuses années.

Un point méthodologique

Pour effectuer un chiffrage, la Fondation IFRAP a choisi d’isoler la proposition d’une augmentation du Smic à 1 600 euros mais il faut rappeler que cette mesure fait partie d’un programme complet défendu par le Nouveau Front Populaire (blocage des prix, réforme de la fiscalité du capital, ISF, nouveau barème de l’IR, CSG progressive, hausse du point d’indice des fonctionnaires…). Pour établir ce premier chiffrage de nombreux points et hypothèses sont nécessaires. Ainsi, les résultats doivent être considérés comme des ordres de grandeur sur la base des données disponibles, des hypothèses retenues et des élasticités choisies. La Fondation prend également soin de faire bien apparaître, dans le note ci-dessous, l’ensemble des hypothèses sous-jacentes à ce chiffrage.

L’impact d’une hausse du Smic à 1 600 euros nets sur l’emploi et la pérennité des entreprises françaises

  • Un écrasement de la distribution de salaire suite à l’augmentation du Smic

Une estimation de la distribution actuelle des salariés ETP par tranche de salaires est donnée dans la première colonne du tableau ci-dessous. En considérant que la hausse du Smic serait pleine au niveau du Smic puis décroitrait de 5% par pas de 0,1 Smic pour s’annuler au niveau de ,2 Smic. La dernière colonne de ce tableau montre l’évolution de la répartition des salariés ETP en cas de hausse du Smic avec ces hypothèses. On relève la forte densification au niveau du Smic et l’écrasement de l’échelle des salaires (plus de 40% de salariés entre 1 et 1,3 smic contre 27% aujourd’hui).

Répartitions des salariés ETP par tranches de salaires dans les branches marchandes

 

Distribution actuelle

Distribution après l’augmentation du Smic à 1600 euros nets

1,00-1,09 Smic

10,0%

24,8%

1,10- 1,29 Smic

17,2%

16,6%

1,30-1,59 Smic

22,3%

18,3%

1,60-2,49 Smic

32,3%

25,1%

2,50-3,49 Smic

10,4%

8,4%

Supérieur à 3,5 Smic

7,9%

6,8%

  • De fortes hausses du coût employeur… et des allègements

En partant de la masse salariale brute nous déterminons le niveau des cotisations sociales à la charge des employeurs, des allègements et donc du coût employeur dans les trois grandes branches : industrie, construction et services.

Situation actuelle (en milliards d’euros)

 

Industrie

Construction

Services

Ensemble

Masse salariale brute (a)

282,9

63,3

554,6

762,8

Cotisations sociales employeurs avant allègements (b)

202,4

91,5

800,6

1099,3

Allègements (c)

10,4

7,0

60,7

78,0

Coût employeur = (a)+(b)-(c)

192,1

84,5

739,9

1021,3

Taux d'allègements en % de la masse salariale brute

3,7%

11,0%

10,9%

10,2%

L’augmentation du Smic mensuel à 1600 euros net (contre 1389,69 actuellement) porterait le Smic brut à 2034,32 euros par mois (15,1% d’augmentation). Nous rappelons que nous considérons que la hausse du Smic se répercuterait, en s’atténuant, sur les salaires jusqu’à 1,2 Smic.

La densification des salariés aux alentours du Smic aurait pour conséquence d’augmenter sensiblement le montant des allègements de cotisations à la charge des employeurs. Nous faisons l’hypothèse que les seuils de sortie du bandeau « maladie » (2,5 smic) et « famille » (3,5 smic) demeureraient gelés à leurs niveaux de 2023 (amendent 3232 au PLFS 2024). Les allègements de cotisations passeraient de 78 milliards d’euros à 110,5 milliards d’euros (+32,5 milliards d’euros). Cependant, cette hausse des allègements ne contrebalancerait pas la forte hausse de la masse salariale brute (+44,3 milliards d’euros) et des cotisations employeurs avant allègements (+69 milliards d’euros)

Situation après augmentation du Smic (en milliards d’euros)

 

Industrie

Construction

Services

Ensemble

Masse salariale brute (a)

300,8

66,5

586,4

807,1

Cotisations sociales employeurs avant allègements (b)

215,3

97,2

850,5

1168,3

Allègements (c)

14,3

10,6

85,5

110,5

Coût employeur = (a)+(b)-(c)

201,0

86,6

765,0

1057,8

Taux d'allègements en % de la masse salariale brute

4,8%

16,0%

14,6%

13,7%

Effet de la hausse du Smic à 1600 euros nets par mois (en milliards d’euros)

 

Industrie

Construction

Services

Ensemble

Masse salariale brute (a)

+18,0

+3,2

+31,8

+44,3

Cotisations sociales employeurs avant allègements (b)

+12,9

+5,7

+49,9

+69,0

Allègements (c)

+4,0

+3,7

+24,8

+32,5

Coût employeur = (a)+(b)-(c)

+8,9

+2,1

+25,1

+36,5

Taux d'allègements en % de la masse salariale brute

+1,1%

+5,0%

+3,6%

+3,5%

Différence entre les deux précédents tableaux : Les entreprises subiraient donc une hausse de leur coût du travail de 36,5 milliards d’euros soit une hausse de 3,6% du coût employeur par rapport à la situation actuelle). Nous faisons bien entendu l’hypothèse que la hausse du Smic ne se répercute pas dans un premier temps sur les salaires supérieurs à 1,2 smic.

  • Effet sur l’équilibre macroéconomique des grandes branches

Pour déterminer l’effet de cette hausse du coût du travail sur l’emploi et la santé des entreprises, nous partons des comptes de branches pour l’année 2023.

Comptes d’exploitation des grandes branches en 2023 (en milliards d’euros)

 

Valeur ajoutée

Rémunérations des salariés

Salaires et traitements bruts

Production

Industrie

378,2

180,3

130,3

1 292,9

Construction

143,1

88,1

69,7

398,9

Services principalement marchands

1 429,4

763,0

581,8

2 789,3

Services non marchands

188,6

407,1

281,7

704,4

Total

2 536,6

1 448,9

1 072,5

5 287,7

Source : Insee, comptes nationaux annuels 2023

La hausse du coût du travail serait répercutée par chaque branche dans les prix (hypothèse d’une absence de mesure de blocage des prix et d’une absence de comportement de marge) provoquant une hausse des prix (inflation) par un effet direct. 

Il y aurait également un effet indirect passant les achats de consommations intermédiaires à des entreprises françaises qui auraient augmenté leur prix du fait de la hausse de leur cout d travail et donc de leur coût de production.

Nous nous basons sur le tableau des échanges intermédiaires entre grandes branches pour calculer cette hausse indirecte des prix par l’augmentation du coût des intrants intermédiaires. Nous tenons compte du fait que les consommations intermédiaires importées ne subiraient pas de hausse des prix dans un premier temps.

Tableau des échanges intermédiaires avant l’augmentation des prix (en milliards d’euros)

Branches

Produits

Industrie

Construction

Services principalement marchands

Services non marchands

Total

Industrie

723,3

122,4

299,8

80,3

1225,7

Construction

3,6

71,3

22,3

8,9

106,2

Services principalement marchands

146,5

57,2

957,3

90,5

1251,5

Services non marchands

3,2

0,7

11,5

16,5

31,9

Total

876,6

251,7

1290,9

196,1

2615,3

       

Tableau des échanges intermédiaires après l’augmentation du Smic et l’augmentation des prix 
(en milliards d’euros)

Branches

Produits

Industrie

Construction

Services principalement marchands

Services non marchands

Total

Industrie

725,0

122,7

300,5

80,5

1228,7

Construction

3,7

71,7

22,4

9,0

106,7

Services principalement marchands

147,6

57,6

964,5

91,1

1260,9

Services non marchands

3,2

0,7

11,5

16,5

31,9

Total

879,5

252,8

1298,9

197,0

2628,2

       

Effet de la hausse des prix des consommations intermédiaires pour les différentes branches

 

Augmentation du coût des achats intermédiaires

Industrie

+3,2

Construction

+1,2

Services principalement marchands

+8,9

Services non marchands

+1,0

Total

+14,2

Effet global de la hausse du Smic sur le coût de production des branches (en milliards d’euros)

 

Augmentation du coût du travail (effet direct)

Augmentation du coût des CI (effet indirect)

Effet total

Industrie

+8,9

+3,2

+12,1

Construction

+2,1

+1,2

+3,3

Services principalement marchands

+25,1

+8,9

+34,0

Services non marchands 

+1,0

+1,0

Total

+36,5

+14,2

+50,7

Effet global de la hausse du Smic sur le coût de production des branches (en milliards d’euros)

 

Hausse du coût de production (en milliards d’euros)

En %

Industrie

12,1

0,9%

Construction

3,3

0,8%

Services principalement marchands

34,0

1,2%

Services non marchands

1,0

0,1%

Total

50,7

1,0%

Le revenu disponible des ménages augmenterait de 44 milliards d’euros (soit une hausse de 2,5%) ce qui provoquerait une hausse de la demande légèrement contrée par l’augmentation des prix et de moindres exportations du fait de la perte de compétitivité. Nous considérons que l’ensemble du supplément de revenu serait consommé par les ménages.

 

Emploi ETP actuellement

Emplois créés grâce à l'évolution de la demande (supplément de demande interne, perte de demande externe)

Destruction d'emplois du fait de la hausse des salaires

Effet global

Industrie

3 106 257

+469

-76 991

-76 522

Construction

1 630 121

+13 375

-26 896

-13 521

Services principalement marchands

13 699 428

+123 814

-270 294

-146 480

Total

18 490 144

+137 658

-374 181

-236 523

Hypothèse d’une élasticité prix de la demande proche de -1. Elasticité de les exportations à leur prix de -0,8. Elasticité moyenne de la demande de travail à son coût de -0,5.

Environ 235 000 emplois pourraient être détruits. 375 00 emplois seraient détruits du fait de la hausse du coût du travail, particulièrement de l’emploi peu qualifié. Seulement 135 000 emplois seraient créés grâce au supplément de demande (une partie de la demande se dirigeant vers des importations).

  • Effet sur la pérennité des entreprises

Nombre d’entreprises en France par grandes branches

 

Industrie

Construction

Services

Services (hors commerce)

Ensemble des catégories d'entreprise

274 212

530 277

2 991 455

3 795 944

Microentreprises (MICRO)

247 318

504 193

2 887 044

3 638 555

Petites et moyennes entreprises (PME), hors Microentreprises

24 939

25 677

100 204

 150 820

Entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou Grandes entreprises (GE)

1 955

407

4 207

 6 569

Effectifs salariés en France par grandes branches

 

Industrie

Construction

Services

Services (hors commerce)

Ensemble des catégories d'entreprise

3 244 327

1 572 518

9 224 027

14 040 872

Microentreprises (MICRO)

247 648

502 876

1 705 798

2 456 322

Petites et moyennes entreprises (PME), hors Microentreprises

799 436

579 384

2 666 620

4 045 440

Entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou Grandes entreprises (GE)

2 197 243

490 258

4 851 609

7 539 110

Source : INSEE, Esane

Nous nous intéressons aux seules PME (nous considérons que les ETI et les grandes entreprises pourraient amortir la hausse du Smic sur leur marge et avec une perte de compétitivité mais que cela ne remet pas en cause leur survie). Nous calculons le nombre de salariés par entreprises dans ces types d’entreprises par branche.

Nombre de salariés par entreprises en France par grandes branches

 

Industrie

Construction

Services

Services (hors commerce)

Petites et moyennes entreprises (PME), hors Microentreprises

32,1

22,6

26,6

26,8

Entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou Grandes entreprises (GE)

1123,9

1204,6

1153,2

1147,7

Nous considérons que la plupart des faillites d’entreprises interviendrait dans les PME.

Nous transformons les destructions d’emplois en nombre d’entreprises qui disparaitraient en appliquant les ratios d’emplois moyens selon deux hypothèses : dans les entreprises pour les PME ou avec impact principalement ressenti sur les plus petites entreprises (moins de 5 salariés).

Estimation du nombre de faillites d’entreprises et d'emplois détruits sur un an

 

Industrie

Construction

Services

Total

Nombre d’emplois détruits

-76 522

-13 521

-146 480

-236 523

Nombre d’entreprises détruites

 

si impact principalement ressenti sur les PME

-2 897 

-599-6 482-9 468

si impact principalement ressenti sur les plus 

petites entreprises (moins de 5 salariés)

-70 000

Il y aurait donc 240 000 emplois détruits et entre 9 500 et 70 000 entreprises en faillite sur un an. Ceci ne serait bien entendu que le bilan à court terme. La perte de compétitivité continuerait de détruire de l’emploi et des entreprises pendant de nombreuses années.