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Entre 571 et 838 millions d'euros de coût pour les primes « olympiques »

La branche spectacle de la CGT vient de déposer un préavis de grève… pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. Difficile d’être surpris tant le début d’année 2024 aura été rythmé par ce type d’annonce. Du côté des usagers, le calme apparent de la fin d’année 2023 et de la première moitié de l’année 2024, en termes de conflits sociaux, aura été un leurre car devant la menace constante des syndicats de perturber les Jeux avec des grèves, les pouvoirs publics auront cédé sur tout. En tout, c’est entre 571 et 838 millions d’euros d’avantages qui auraient été obtenus grâce au chantage à la grève… dont 385 à 607 millions d’euros uniquement pour les agents publics.

Preuve de ce chantage, dans les trois fonctions publiques, la CGT a déposé des préavis de grève courant du 15 avril au 15 septembre. Un préavis équivalent a été déposé par FO. Côté RATP, des préavis de grève courent depuis le 5 février et ce, jusqu’au 9 septembre prochain, soit le lendemain des Jeux paralympiques. 

Rappelons d’abord que oui, une période de travail exceptionnelle justifie bien des primes exceptionnelles et les revendications syndicales pré-olympiques sont un phénomène récurrent dans les pays hôtes. Ainsi, en 2012, pour les Jeux de Londres, les conducteurs des transports en commun avaient obtenu 1 000£ pour les conducteurs du métro londonien et 850£ pour les autres effectifs suite à un accord signé en mai 2012. 577£ pour les conducteurs de bus avaient aussi été accordés le 18 juillet 2012 sous la menace d’une grève 4 jours avant la cérémonie d’ouverture. Les policiers mobilisés avaient, eux, obtenu une indemnité journalière de 80£. 

12 ans plus tard, on observe, pour les Jeux de Paris 2024, un dérapage financier bien plus conséquent lié à l’octroi de ces primes et avantages salariaux, obtenus sous la menace constante d’une grève pendant les Jeux.

Liste (non exhaustive) des primes et avantages salariaux liés à l’accueil des Jeux Olympiques

On traite ici des revendications liées à la négociation de primes exceptionnelles pour le travail réellement effectué pendant la période olympique. De façon non exhaustive, les primes et avantages salariaux suivants ont déjà été accordés :

Secteurs

Primes et avantages salariaux

Conditions connues

En millions*

RATP (conducteurs)

1 600 à 2 500 euros

si pas d’absence de plus de 5 jours et pour ceux qui travailleront du 22 juillet au 8 septembre 2024.

27 à 40

RATP (autres métiers)

1 000 euros en moyenne selon la RATP

pour le personnel mobilisé

SNCF (cheminots et tous métiers confondus)

 

 

 

Primes

95 euros bruts par jour mais plafond à 1 900 euros

pour les mobilisés du 22 juillet au 8 septembre 2024

115 à 146

Majoration des RTT de 25 à 40% sur la période, une indemnité journalière de gardes d’enfants (de 40 à 50 euros par jour), un renforcement du comité d’entreprise (pour proposer plus de places en colonies) ou encore une indemnité de logement.

43 à 53

Policiers et gendarmes

1 000 et 1 900 euros + 50 euros par nuit

indemnité « nuit » si déplacement de plus de 5 jours

192 à 260

APHP (agents de catégorie C, soit agents techniques et d’entretien)

800 euros par semaine

pour le personnel mobilisé

44 à 77

APHP (médecins)

2 500 euros par semaine

pour le personnel mobilisé

16 à 31,5

Éboueurs de la Ville de Paris

600 à 1 900 euros

en fonction de la mobilisation

4,5 à 9,5

Aéroports de Paris (volontaires)

70 euros bruts par vacation

pour les volontaires

1,7

Aéroports de Paris (contrôleurs aériens)

  

 

Primes

1 000 euros

 

0,7 à 1,3

18 jours de récupération supplémentaires et un déplafonnement du compte épargne temps.

41,4

Agents des douanes

700 à 1 900 euros

selon la mobilisation et la région

8,4 à 14

Sapeurs-pompiers de Paris et pompiers professionnels des Yvelines

1 900 euros

pour le personnel mobilisé

2,5 à 5,6

Pompiers professionnels, volontaires et marins-pompiers de Marseille

1 600 euros

pour une mobilisation d’au moins 10 jours

1,7 à 4,7

Autres agents de la fonction publique mobilisés

 

 

 

Primes

500 à 1 500 euros

pour le personnel mobilisé

70 à 150

10 000 chèques emploi-service universel d’une valeur de 200 euros par enfant

2,4

Estimation IFRAP du coût des primes JO 2024

571 à 838 millions

Note : * Hypothèse basse basée sur la moyenne des primes négociées et connues, ainsi que sur les chiffres de mobilisation officiel par secteur + une mobilisation des effectifs de l’APHP et des pompiers de Paris autour de 20% des effectifs. Hypothèse haute basée sur le maximum des primes négociées et connus ainsi que sur les chiffres de mobilisation officiel par secteur + une mobilisation des effectifs de l’APHP et des pompiers de Paris autour de 35% des effectifs. 

Cette estimation prend en compte les autres mécanismes de compensation qui ont été négociés et qui ne sont pas tous connus. De façon non exhaustive, on trouve : 

  • A la SNCF : la majoration des RTT de 25 à 40% sur la période, une indemnité journalière de garde d’enfants (de 40 à 50 euros par jour), un renforcement du comité d’entreprise (pour proposer plus de places en colonies) ou encore une indemnité de logement.
  • Pour les contrôleurs aériens : 18 jours de récupération supplémentaires et un déplafonnement du compte épargne temps. 
  • Dans la fonction publique : 10 000 chèques emploi-service universel d’une valeur de 200 euros par enfant, pour simplifier la garde de ces derniers pendant la période estivale. 

Au final, la Fondation IFRAP estime que ces primes olympiques légitimes mais particulièrement généreuses pourraient coûter entre 571 et 838 millions d’euros dont 385 à 607 millions d’euros uniquement pour les agents publics. 

Les avantages pérennes ayant bénéficié du levier « chantage à la grève »

À côté, les syndicats ont profité de ce levier du chantage aux Jeux Olympiques pour rajouter des revendications complètement annexes. On parle là de revalorisation salariale et/ou mécanismes dérogatoires sans lien avec une charge de travail lié à l’accueil des Jeux Olympiques à Paris.

Certaines sont temporaires. Dans les aéroports de Paris, un mouvement de grève lancée le 21 mai et qui menaçait de reprendre le 17 juillet demandait une « gratification homogène pour tous les agents » que ces derniers travaillent ou non pendant la période du 8 juillet au 15 septembre. Un accord allant dans ce sens a été signé par la direction le 16 juillet dernier et une prime de 300 euros serait accordée au plus de 6 100 salariés en septembre. Soit un coût de 1,8 million d’euros.

D’autres sont pérennes et engagent les finances publiques sur plusieurs années. Ainsi, les éboueurs de la Ville de Paris ont obtenu une revalorisation des rémunérations de 50 euros bruts par mois à partir de juillet 2024 et de 30 euros bruts par mois à partir de janvier 2025. Soit un coût d’environ 4,8 millions d’euros par an.

Mais le plus choquant reste la mise en place d’une retraite spéciale (ou cessation progressive d’activité) à la SNCF accordée en mai 2024. Avant, les contrôleurs pouvaient partir plus tôt avec une période de 18 mois moitié travaillée et moitié non travaillée payée à 75%, tandis que les conducteurs bénéficiaient du même dispositif sur 15 mois. Désormais, les contrôleurs auront 18 mois travaillés payés à 100% et 18 mois non travaillés payés à 75% contre 15 mois de chaque pour les conducteurs. Ce dispositif dérogatoire annule de facto les effets de la réforme des retraites de 2022 et pourrait avoir un coût au maximum de 300 millions d’euros par an. Une somme qui viendra s’ajouter aux 3 milliards de subventions annuelles que le contribuable verse déjà pour équilibrer le régime de pension ultra-déficitaire des agents de la SNCF.  

Qu’en conclure ? Etant donné son coût pour le contribuable, on aurait pu espérer que l’accord qui réinstalle un régime spécial de retraites à la SNCF mette fin aux grèves ? Et bien non car dès le 21 mai suivant les cheminots de l’entreprise étaient en grève pour demander un doublement de leurs primes olympiques. Ce qu’ils ont obtenu dès le 22 mai. Le média Révolution permanente soulignant à ce propos que « le rapport de forces par grève paye » et « effray[ait] la direction de la SNCF, mais aussi le gouvernement et le Comité olympique, qui surveillent comme le lait sur le feu les secteurs de la classe ouvrière qui pourraient perturber les Jeux à Paris »[1].

Au final, dans une période où le gouvernement cherchait des milliards d'euros d’économies, les accords pré-olympiques devraient coûter entre 600 millions et 1 milliard d’euros en 2024, suivi de 300 millions d'euros de dépenses pérennes à partir de 2025. Une somme qu’il faudra obligatoirement auditer afin d’estimer sa part dans le dérapage du coût des Jeux Olympiques pour nos finances publiques : initialement estimé à 1,5 milliard, le financement public des Jeux pourrait monter à 3 à 5 milliards selon la Cour des comptes. 


[1] https://www.revolutionpermanente.fr/SNCF-la-direction-prete-a-doubler-la-prime-JO-apres-la-greve-massive-des-cheminots