Commissions administratives paritaires : à réformer
Les commissions administratives paritaires (CAP) pour les agents titulaires et les commissions consultatives paritaires (CCP) pour les contractuels, sont les instances de représentation du personnel de la fonction publique. Saisies, elles sont censées donner un avis non contraignant sur les décisions affectant la carrière des agents et la gestion des corps de fonctionnaires. Le pouvoir de ces commissions est en réalité plus important que cela, en particulier lorsqu’elles siègent en formation de conseil de discipline. Et les sanctions lourdes, comme la révocation et le licenciement, se révèlent très rares. Cela s'explique par le mode de fonctionnement des conseils de discipline dans lesquels un agent ne peut être jugé que par ses pairs, c’est-à-dire par des agents de son corps d’origine et du même grade que lui. Les CAP ont aussi une influence non négligeable sur les notations annuelles des agents et l'évaluation à la performance qu'elles freinent au maximum. En réalité, on peut aujourd’hui parler de cogestion partielle de fait de l’administration par les syndicats via les CAP.
Organisation des CAP
Trois textes régissent les commissions administratives paritaires : le décret 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux CAP pour la fonction publique d’État (FPE), le décret 89-229 du 17 avril 1989 relatif aux CAP des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour la fonction publique territoriale (FPT) et le décret 2003-655 du 18 juillet 2003 relatif aux CAP locales et départementales de la fonction publique hospitalière (FPH).
Il existe ainsi dans la FPE une commission pour chaque corps de fonctionnaires, soit 349 CAP aujourd’hui, même s’il est possible de créer des commissions communes à plusieurs corps. À titre d’exemple, le ministère de l’Éducation nationale compte 32 commissions nationales (CAPN) pour les corps d’inspection générale, pour les personnels de direction, pour les enseignants, les bibliothécaires, les infirmiers scolaires, etc. Mais dans certains administrations, ces commissions nationales se divisent ensuite en commissions déconcentrées régionales ou locales. C’est le cas aux ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale par exemple, vu la taille des corps considérés. Il existe ainsi des CAP dans chacune des 30 académies et des 100 directions académiques des services départementaux de l’Éducation nationale.
Dans la FPT, les commissions s’organisent directement par catégorie de fonctionnaires (A, B et C) dans chaque collectivité, même si une collectivité peut choisir de s’affilier à un centre de gestion qui organisera des CAP regroupant plusieurs collectivités. Enfin, dans la FPH, les fonctionnaires de catégories A, B et C relèvent de 10 CAP (4 pour les corps de catégorie A, 3 pour les corps de catégorie B et 3 pour les corps de catégorie C) qui se déclinent aux échelons locaux et départementaux.
Élections et nombre de CAP
Le taux de participation aux élections aux CAP, en baisse continue depuis 1957 et avec une forte chute entre 2008 et 2011, s’établit à 59,2% dans la FPE avec 349 CAP recensées et à 54% dans la FPT.
Les syndicats FO et FSU arrivent en tête dans la FPE avec respectivement 18,8% et 18,3% des suffrages, suivis de l’UNSA (14,8%) et de la CGT (12,7%). En revanche, la CGT est en tête dans la FPT avec 28,8% des voix, devant la CFDT et FO (20,8% et 18,5%), même si chez les catégories A et B, elle n’arrive qu’en deuxième position, derrière la CFDT (28,8% chez les A et 26,6% chez les B)[1].
Composition des CAP
Pour la FPE et la FPH, les commissions sont formées par un nombre égal de représentants de l’administration et de représentants du personnel élus, alors que pour la FPT, ce sont des élus qui représentent la collectivité aux commissions.
Composition d’une CAP dans la FPE
Nombre de fonctionnaires d’un même grade | Nombre de représentants du personnel | Les représentants de l’administration | Durée du mandat[2] |
---|---|---|---|
< 20 | 1 titulaire, 1 suppléant | Fonctionnaires de catégorie A et assimilés, ou agents contractuels de niveau hiérarchique équivalent pour les établissements publics. Un agent contractuel ne peut pas présider une CAP. Une proportion minimale d’1/3 de représentants de chaque sexe est exigée | 4 ans |
≥ 20 et < 1 000 | 2 titulaires, 2 suppléants | ||
≥ 1 000 et < 5 000 | 3 titulaires, 3 suppléants | ||
≥ 5 000 ou corps avec un grade unique dont l’effectif est ≥ 1 000 | 4 titulaires, 4 suppléants |
Composition d’une CAP dans la FPT
Nombre de fonctionnaires relevant de la CAP | Nombre de représentants du personnel | Durée du mandat |
---|---|---|
< 40 | 3 titulaires dont 1 relevant du groupe hiérarchique supérieur, 3 suppléants | 4 ans |
≥ 40 et < 250 | 4 titulaires, dont 1 relevant du groupe hiérarchique supérieur, 4 suppléants | |
≥ 250 et < 500 | 5 titulaires, dont 2 relevant du groupe hiérarchique supérieur, 5 suppléants | |
≥ 500 et < 750 | 6 titulaires, dont 2 relevant du groupe hiérarchique supérieur, 6 suppléants | |
≥ 750 et < 1 000 | 7 titulaires, dont 2 relevant du groupe hiérarchique supérieur, 7 suppléants | |
≥ 1 000 | 8 titulaires, dont 3 relevant du groupe hiérarchique supérieur, 8 suppléants |
Composition d’une CAP dans la FPH
Nombre d’agents relevant de la CAP | Nombre de représentants du personnel | Les représentants de l’administration pour les CAP départementales | Les représentants de l’administration pour les CAP locales | Durée du mandat |
---|---|---|---|---|
4 à 20 | 1 titulaire, 1 suppléant | ¾ des sièges sont occupés par des membres des corps de direction, les membres restant sont désignés par le directeur d’établissement. Mêmes conditions pour les suppléants. Une proportion minimale d’1/3 de représentants de chaque sexe est exigée | 50% des sièges parmi les membres de l’assemblée délibérante (à l’exception des représentants du personnel) 50% des sièges parmi les agents titulaires de catégorie A, ou parmi les contractuels de rang hiérarchique équivalent en cas de nombre insuffisant de titulaires Une proportion minimale d’1/3 de représentants de chaque sexe est exigée | 4 ans |
21 à 200 | 2 titulaires, 2 suppléants | |||
201 à 500 | 3 titulaires, 3 suppléants | |||
501 à 1 000 | 4 titulaires, 4 suppléants | |||
1 001 à 2 000 | 5 titulaires, 5 suppléants | |||
> 2 000 | 6 titulaires, 6 suppléants |
Compétences des CAP
Les commissions administratives paritaires sont compétentes pour émettre un avis sur les décisions touchant à la carrière individuelle des agents : titularisation, avancement, promotion interne, etc. Les avis de ces commissions sont consultatifs et ne sauraient lier l’administration. Seule l’autorité administrative compétente peut prendre une décision et l’agent concerné est libre de la contester devant un tribunal administratif s’il s’estime lésé. En tout cas en théorie.
Dans les faits et cela est particulièrement prégnant au ministère de l’Éducation nationale, les CAP sont devenues des organes de cogestion de l’administration par les syndicats. La part du mérite dans la rémunération des agents administratifs a ainsi été forfaitisée dans toutes les académies, et ce, en contradiction totale avec le principe d’évaluation individuelle lié à la manière de servir et à la qualité du travail. De même, pour l’avancement d’un professeur, ou sa promotion à un grade supérieur, le recteur aura du mal à se libérer des clefs de calculs, qui sont devenues de véritables barèmes qui s’imposent à lui.
Les CAP comme recours aux évaluations professionnelles
Depuis 2010 et la fin de la notation dans la FPE[3], les agents titulaires doivent être évalués chaque année par leur supérieur hiérarchique direct lors d’un entretien professionnel. Dans la FPH, les pratiques sont plus diversifiées. En effet, les agents fonctionnaires de direction sont les seuls à être notés. Les autres agents, contractuels et titulaires, font, eux, l’objet d’une évaluation professionnelle, comme dans la FPE. Dans la FPT enfin, titulaires comme contractuels sont évalués annuellement. Pour l’ensemble des agents des trois versants de la fonction publique, cette évaluation servira par la suite à déterminer l’avancement ainsi que le montant de certaines primes.
Mais tout agent peut contester son évaluation, d’abord auprès de sa hiérarchie, puis devant une CAP en cas de réponse favorable et enfin devant un tribunal administratif. Il n’existe malheureusement pas, à notre connaissance, de données chiffrées concernant les recours devant une CAP contre les évaluations d’agents. Toutefois, il semble évident qu’une telle possibilité est un frein à la bonne conduite des évaluations. Un manager n’a en effet aucun intérêt à contrarier les syndicats en évaluant négativement un agent, s’il sait que de toute façon, son évaluation sera cassée par une CAP.
La formation en conseil de discipline des CAP
Lorsque cela est nécessaire, les CAP siègent en formation de conseil de discipline. Elles ont alors à émettre un avis sur la sanction disciplinaire à infliger à l’agent, sauf dans le cas des sanctions du premier groupe, les plus faibles, que sont l’avertissement, le blâme et l’exclusion temporaire de 3 jours (maximum). Une légère différence existe entre les conseils de discipline des FPE et FPH et ceux de la FPT. En effet, les conseils de discipline des FPE/PFH sont présidés par le président de la CAP alors que pour la FPT, ils sont présidés par un juge administratif.
Mais ce qui est le plus étonnant dans le fonctionnement des conseils de discipline, est que les agents ne peuvent être jugés que par leurs pairs, c'est-à-dire par d’autres fonctionnaires d’un grade équivalent ou supérieur au leur. Cette pratique est un héritage direct de l’Ancien régime, dans lequel les pairs de France jouissaient du privilège exceptionnel de n’être jugés que par leurs pairs, ce qui leur offrait évidemment une protection supplémentaire.
C’est bien ce qu’on retrouve dans la fonction publique, avec à peine 3.177[4] sanctions prononcées contre des agents titulaires en 2014, dont seulement 135 révocations (30 pour des détournements de fonds et autres malversations, 30 pour des affaires de mœurs). Ce chiffre de 3.177 est dérisoire en comparaison du nombre d’agents titulaires. En effet, avec 3,8 millions de statutaires, les sanctions n’auront concerné en 2014 qu’à peine 0,08% des agents. Surtout qu’il convient de noter que le ministère de l’Intérieur enregistre à lui seul 71% des sanctions.
Conclusion
Un constat s’impose : avec un nombre démesuré de CAP, une participation aux élections en baisse, un nombre de sanctions dérisoire, mais surtout un pouvoir non prévu par les textes, l’organisation et le fonctionnement des commissions administratives paritaires doivent être modernisés.
La Fondation iFRAP propose de sortir de la logique de cogestion d’une part, et de la logique de corps d’autre part, pour s’orienter vers une organisation par filière et métier dans les trois versants de la fonction publique. Dans ce sens, les commissions administratives paritaires de la FPE devraient avoir lieu au niveau des sous-directions, voire des directions et services (dans les services déconcentrés) en dessous d’un certain seuil[5] et ce, afin de coller au plus près à la réalité des organisations. Il en va de même dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières : les CAP devraient être organisées par service dans les collectivités et par établissement dans la FPH.
Mais surtout, les CAP siégeant en formation de conseil de discipline ne peuvent plus continuer à organiser une justice des pairs. À partir du moment où ils ont été élus, l’ensemble des titulaires d’une CAP doivent siéger au conseil de discipline, qu’ils soient de catégorie A, B ou C. Ainsi, la Fondation iFRAP propose de réduire le pouvoir, devenu de fait et trop important des CAP :
- en rendant aux managers plus de pouvoirs pour les notations et les évaluations aux mérites ;
- en rationalisant le nombre de CAP ;
- en organisant les CAP par sous-direction dans la FPE (par établissement pour les organismes publics et par académie pour l’Éducation nationale), par établissement dans la FPH et par collectivité dans la FPT ;
- en faisant en sorte que siègent dans les conseils de discipline l’ensemble des représentants élus de la CAP, titulaires ou contractuels, et ce, quelle que soit leur catégorie ;
- en ne permettant plus la présence des suppléants aux séances des CAP en dehors du remplacement d’un titulaire ;
- en transférant le contentieux disciplinaire aux tribunaux des prud’hommes pour les personnels non-titulaires ;
- en conservant le contentieux disciplinaire devant les tribunaux administratifs pour les seuls agents titulaires effectuant une mission régalienne.
[1] Source : Rapport annuel sur l’état de la fonction publique, DGAFP 2015.
[2] Nous devons signaler une incohérence : les textes précités sont clairs, la durée du mandat est de 4 ans (décret 82-451, art. 7 ; décret 89-229, art. 3 ; décret 2003-655, art. 43), pourtant, le rapport annuel sur l’état de la fonction publique de la DGAFP 2015 donne les durées suivantes : 3 ans dans la FPE, 4 ans dans la FPH et 6 ans dans la FPT (p.582). Nous nous en tiendrons aux textes réglementaires.
[3] Décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'État
[4] Rapport sur l’état de la fonction publique 2015, DGAFP.
[5] Il faut en effet garder en tête que certaines directions, comme la DGFiP, comptent plus de 100.000 agents, alors que d’autres n’en comptent que quelques centaines.