Chômage, baisse ou stagnation ?
Le ministère du Travail et Pôle emploi viennent de publier des statistiques du chômage pour mars 2016, cependant que de leur côté l’ACOSS publiait les chiffres des embauches pour le même mois, et que le cabinet Altarès publiait les chiffres de défaillances des entreprises, en recul de 10%. Tout semble concorder pour pouvoir dire que « ça va mieux ». La courbe du chômage s’inverse-t-elle enfin, et est-ce pérenne ?
Une tendance de moyen terme semble effectivement s’établir. Mais la prudence est de mise tant le glissement est ténu, puisqu’il ne concerne au mieux que quelques dizaines de milliers de chômeurs, soit entre 0,5 et 1% de leur total. L’analyse du détail des chiffres entrées et sorties révèle d’autre part quelques surprises et doutes sur l’interprétation qu’il faut retenir des données pour l’avenir du chômage, notamment quant au nombre toujours record des entrées à Pôle emploi et le chiffre impressionnant de la hausse des contrats aidés. Enfin, les statistiques donnent l’occasion de répéter qu’il faut cesser de s’en prendre aux CDD, dont le contingent est en baisse relative mais la nécessité toujours incontestable.
Evolution du taux de chômage de toutes les catégories
Note sur les catégories.
- catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi ;
- catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (i.e. de 78 heures ou moins au cours du mois) ;
- catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue (i.e. de plus de 78 heures au cours du mois) ;
- catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie…), sans emploi ;
- catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés).
On note sur ces graphiques que le nombre de chômeurs de catégorie A baisse de 50 milliers en un mois, mais que sur les trois catégories devant "faire des actes positifs de recherche", la baisse n'est plus que de 26.000. D'autre part l'augmentation des chômeurs de catégorie E est considérable depuis une année.
Les entrées à Pôle emploi.
En février et mars 2016, avec respectivement 509,4 et 509,1 milliers dans les catégories A, B et C (pour une moyenne d’environ 500 milliers en 2015), il n’y a jamais eu autant d’entrées à Pôle emploi depuis… fin 2009 (512,6 en novembre), ce qui est surprenant.
Quant aux motifs des entrées, les chiffres sont aussi contre-intuitifs : ce sont les fins de CDD qui baissent (110,9 milliers en mars 2016, alors que le chiffre se maintenait entre 125 et 130 milliers fin 2009, et de nouveau de fin 2011 à 2014, et encore 115,3 milliers en octobre 2015).
L’augmentation des entrées est au contraire due essentiellement à celle des premières entrées (+ 8.000 en mars 2016 par rapport à septembre 2015[1]), qui n’ont en fait jamais été aussi élevées qu’en mars 2016 depuis 2006, date des premières statistiques, et un peu à la reprise d’activité (+ 4.000). Les entrées pour « autres cas », qui comprennent les ruptures conventionnelles, sont très nombreuses, presque la moitié des motifs et le double des fins de CDD. Avec 216,4 milliers, elles baissent de 6.000 en mars 2016 par rapport au mois précédent, mais ce chiffre peut difficilement être considéré comme significatif dans la mesure où il reste supérieur à la moyenne de 2015.
Les sorties de Pôle emploi.
Compte tenu de la légère baisse générale du chômage, ces sorties sont donc plus importantes que les entrées. Le tableau ci-dessous reproduit le nombre de sorties des catégories A, B et C depuis décembre 2014 et leurs motifs détaillés. Nous avons aussi fait apparaître les sorties des demandeurs en catégories D et E en raison de l’augmentation très significative des demandeurs de la catégorie E.
Sorties et motifs de sortie de Pôle Emploi
| Décembre 2014 | Mai 2015 | Décembre 2015 | Mars 2016 |
---|---|---|---|---|
Ensemble des catégories A, B, C | 469 | 457 | 488 | 513 |
Reprise d’emploi | 88 | 89 | 99 | 101 |
Entrée en stage | 43 | 44 | 45 | 49 |
Arrêt de recherche | 37 | 36 | 39 | 40 |
Défaut d’actualisation | 205 | 194 | 208 | 226 |
Radiation | 46 | 44 | 43 | 44 |
Autres cas | 50 | 52 | 53 | 54 |
Demandeurs d’emplois en catégorie D et E.
Demandeurs catégorie D | 285 | 296 | 283 | 283 |
---|---|---|---|---|
Demandeurs catégorie E | 402 | 400 | 447 | 447 |
Total demandeurs (catégories A, B, C, D, E) | 6204,8 | 6395,8 | 6511,9 | 6486,1 |
Il faut remarquer que les sorties en catégories A, B et C ont augmenté de 44 milliers entre décembre 2014 et mars 2016, les entrées ayant quant à elles augmenté de 7 milliers soit un solde négatif (diminution du chômage) de 37 milliers durant cette période. Ce chiffre est à rapprocher de l’augmentation de 45 milliers de demandeurs de la catégorie E, qui correspondent en grande partie à des titulaires de contrats aidés. On est tenté d’en conclure que les contrats aidés ont permis de faire baisser d’autant le taux de chômage des catégories A, B et C, même si cette conclusion ne peut pas être tirée en toute rigueur, car on ignore si leurs titulaires étaient précédemment inscrits au chômage, de même que l’on ignore, pour ceux qui n’étaient pas inscrits, quelle proportion se serait inscrite en catégorie A s’ils n’avaient pas bénéficié de contrats aidés.
Par ailleurs, toujours pour la même période, les motifs de sorties des catégories A, B et C mettent en valeur une certaine augmentation des entrées en stage (+ 6 milliers), les deux motifs essentiels étant cependant les reprises d’emploi (+ 13 milliers) et les défauts d’actualisation (+21 milliers).
Rapprochement avec les déclarations d’embauche
Il est intéressant de rapprocher les statistiques du chômage de la DARES de celles des déclarations d’embauche fournies par l’ACOSS.
Celles-ci, qui portent sur les déclarations hors intérim, mettent en valeur un nette hausse des embauches de plus d’un mois au premier trimestre 2016 : + 4,8%. L’ACOSS accompagne les chiffres du commentaire suivant : « Cette évolution résulte de la forte augmentation des déclarations d’embauche en CDD de plus d’un mois (+ 5,6 % après - 0,3 % au quatrième trimestre 2015) et de la hausse, moins marquée mais néanmoins soutenue, de celles en CDI (+ 3,8 % après + 1,5 %, Les déclarations d’embauche en CDD de moins d’un mois augmentent quant à elles de 1,6 %, après + 0,9 % au trimestre précédent. Au total, le nombre de déclarations d’embauche hors intérim progresse de 2,6% au premier trimestre 2016. Sur un an, le nombre de déclarations d’embauche de plus d’un mois accélère : + 6,9% après + 3,8% et + 4,2% les deux trimestres précédents. Cette évolution résulte de la hausse conjointe des embauches en CDI (+ 7,8%) et de celles en CDD de plus d’un mois (+ 6,3%, Les déclarations d’embauche de moins d’un mois restent dynamiques (+ 3,2% sur un an), portant à + 4,4% le glissement annuel du total des déclarations d’embauche hors intérim. »
Ces chiffres des embauches corroborent les indications tirées des chiffres du chômage. On remarquera en particulier que les embauches en CDI et en CDD de plus d’un mois dominent nettement, puisque sur un an les premières augmentent de 7,8% et les secondes de 6,3%, soit plus du double de l’augmentation des CDD de moins d’un mois. En chiffres absolus, les embauches de plus d’un mois (1.865, dont 809 en CDI) restent toutefois inférieures aux embauches en CDD de moins d’un mois (4.163). Il n’en reste pas moins qu’un certain retournement de tendance se fait jour au profit des contrats de plus longue durée.
Quels enseignements peut-on tirer de ces statistiques ?
1. Tout d’abord, il est indiscutable qu’une tendance de moyen terme apparaît depuis mi-2015 en faveur d’une légère diminution, en tout cas d’une stabilisation, du chômage. Cette tendance paraît vouloir s’accélérer depuis décembre dernier. Toutefois, son peu d’importance oblige à relativiser le phénomène, puisque il est limité à 50 milliers pour la seule catégorie A, sur plus de 5 millions d’inscrits à Pôle emploi, et seulement à 26 milliers si l’on considère les trois catégories (A, B et C) des chômeurs tenus de « faire des actes positifs de recherche d’emploi ».
Comme l’ensemble des observateurs l’a remarqué, cette différence entre les catégories de chômeurs n’ayant eu aucun emploi et ceux ayant partiellement travaillé suggère qu’il s’est produit un basculement vers le travail à temps partiel (et non nécessairement vers un travail précaire car on ignore la proportion de CDI et de CDD dans les catégories B et C).
Cet apparent retournement de tendance est sans doute à rapprocher des très récentes statistiques, émanant du cabinet Altares, et montrant la baisse notable des défaillances d’entreprises, puisqu’elle a atteint 10% sur un an au cours du premier trimestre, et concerne en plus grande partie des petites entreprises, qui sont les plus pourvoyeuses d’emplois.
On peut encore rapprocher le phénomène de celui de hausse du taux de marge des entreprises, remonté de 28% à 31% environ, et aussi évoquer l’effet probable du CICE. Du fait de la construction de ce crédit d’impôt, son effet a mis longtemps à se concrétiser, mais il joue maintenant à plein, ce dont il faut se réjouir. Ce qui permet aussi au passage de faire remarquer que, quoi qu’en disent certains, les entreprises « jouent le jeu » des baisses d’impôts et embauchent dès qu’elles le peuvent et que la conjoncture les y incite ! Prudence néanmoins, car si selon l’expression consacrée les bénéfices font les investissements qui à leur tout font les emplois, il semble que la reprise des investissements fasse défaut.
2. On aurait tort d’incriminer les CDD, et de vouloir stigmatiser l’emploi précaire en le condamnant au surplus par des mesures fiscales. On a vu que non seulement un certain retournement de tendance dans les embauches s’est fait jour au profit des CDI, mais aussi que l’augmentation des sorties de Pôle emploi ne doit rien aux fins de CDD, qui sont le seul motif de sortie ayant au contraire diminué sur la période récente.
On s’attache exagérément au « marronnier » médiatique qu’est devenu le combat contre la précarité, confondue d’ailleurs avec le temps partiel. L’importance du recours aux CDD est notable depuis déjà une vingtaine d’années, sa nécessité ne peut être remise en cause, et enfin il est paradoxal de vouloir mettre fin au chômage en pénalisant la forme de contrat qui en valeur absolue contribue le plus à la baisse de ce dernier. Comme le dit la CGPME, évitons de tuer en plein vol l’hirondelle qui devrait faire le printemps de l’emploi.
3. Enfin, sur la pérennité de la baisse du chômage, il faut rester particulièrement circonspect
Certes la reprise paraît être aux portes. Mais de là à prédire que les chiffres actuels sont les prémisses d’une évolution pérenne, il y a un grand pas. Nous avons en effet noté dans les statistiques l’augmentation de 46 milliers de contrats aidés depuis le printemps 2015. Même si comme nous l’avons dit il est difficile de savoir dans quelle mesure elle a pesé sur la baisse du chômage, le chiffre est suffisamment élevé pour interpeller, surtout qu’il est plus important que celui de la baisse du chômage des catégories A, B et C…
En second lieu, le défaut d’actualisation représente le motif essentiel des sorties de Pôle emploi, et son interprétation est difficile. Dans une moindre mesure les entrées en stage apparaissent aussi en nette augmentation, et ne peuvent tenir lieu d’emploi stable.
Enfin, les entrées à Pôle emploi restent plus nombreuses que jamais en mars 2016, portées par le nombre des premières entrées. Ceci suggère l’importance du facteur démographique, qui est appelé à rester très présent dans l’avenir prévisible, et donc peser sur les chiffres du chômage.
[1] Les données de la DARES sont désaisonnalisées.