Bilan des défaillances d’entreprises en 2022 et perspectives 2023
Plusieurs études pointent un risque de remontée importante du nombre de défaillances d’entreprises pour 2023. Altarès dans son dernier bilan établit pour le T4 2022, une prévision de défaillance pour 2023 à hauteur de 55.000 entités (contre 42.500 en 2022), Allianz Trade anticipait en octobre une augmentation de 29% pour 2023 à 53.200 entités. Les premiers résultats mensuels dévoilés par la Banque de France sont pour le moment plus optimistes. Tout se passe donc comme si avec le débranchement des mesures de soutien de crise, l’activité reprenait un niveau de sinistralité d’avant crise mais avec des caractéristiques inquiétantes: les très petites et les petites entreprises sont sans doute significativement plus touchées en 2022 qu’en 2019… ainsi que les ETI-GE (+46,2%) ; de quoi nuancer très fortement ce « retour à la normale » déjà entamé en 2022, dans un climat général de croissance atone.
Un bilan 2022 qui témoigne d’une remontée certaine des radiations après le point bas de 2020
Dans leur rapport annuel les greffes des tribunaux de commerce au T4 2022[1] font état d’un nombre de radiation de +11,6% en 2022 par rapport à 2021, soit 346.511 radiations. Soit un taux de radiation (nombre de radiation/stock d’entreprises) de 6,4%. Cet indicateur est plus large cependant que celui des défaillances d’entreprises puisqu’il inclut les cessations d’activités volontaires.
Source : CNGTC, retraitements Xerfi, hors Alsace, Moselle et DROM (2023)
Premier fait à souligner, hors juin et juillet, les nombres de radiations sont constamment plus fortes en 2022 qu’en 2019 sur l’ensemble de l’année contrairement aux informations dont nous disposons voir (infra) s’agissant des défaillances strictes.
Par ailleurs, en pourcentage des variations annuelles, les secteurs d’activité où les radiations augmentent le plus sont le transport et l’entreposage (+33,2%), l’Enseignement, la santé et l’action sociale (+17,2%), et les autres activités de services (+16,3%). En revanche, le commerce, l’agriculture, les industries manufacturières et extractives, la construction ont un taux de progression compris entre +8,1% et +8,3%. Ces chiffres sont cependant plus dégradés si on extourne les activités agricoles, sylvicoles, de pêche et les entreprises individuelles. Dans ce cadre, les radiations des entreprises d’hébergement/restauration croissent de 11,1%, les entreprises de commerce de +10,2% et les activités immobilières de +10%.
En revanche si on présente hors secteur agricole et pêche, la répartition des radiations comparées au stock d’entreprises (et non plus en valeur absolue), la situation devient bien différente : on assiste à une explosion des radiations dans le commerce, soit 22,7% des radiations pour un stock d’entreprises représentant 17,2% du total. Suivie par les activités immobilières qui ne représentant que 4,6% du stock d’entreprises, fournissent 18,4% des radiations. Hors entreprises individuelles, les radiations intervenant dans le commerce arrivent en seconde position (16,7%) derrière les activités immobilières (27%).
Source : CNGTC, retraitements Xerfi, hors Alsace, Moselle (2023)
Sans surprises, en intégrant les DROM (mais sans l’Alsace et la Moselle pour le Grand-Est), Mayotte présente le taux de radiation le plus important avec +58,9% en 2022 par rapport à 2021, PACA (+48,3%), Grand Est (mais hors Alsace et Moselle) avec +31,5%), suivi par la Guadeloupe (+28,6%), la Corse (+28,1%) et la Nouvelle Aquitaine (+27,5%). En Ile-de-France ainsi qu’en Centre Val de Loire le nombre de radiations baisses (-0,4% et -8,3% respectivement), tandis que la Guyane et la Martinique ferment le bal avec -19,2% et -40,9%).
Sur moyenne période entre 2018 et 2022 (hors Moselle, Alsace et DROM), ce sont les radiations volontaires qui augmentent le plus en % des radiations selon le motif :
Evolution des radiations selon le motif entre 2018 et 2022
2019 | 2020 | 2021 | 2022 | Var 2019-22 | |
---|---|---|---|---|---|
Radiations volontaires | 45,9% | 49,8% | 47,5% | 51,9% | 6,0 |
Radiations à la suite d'une procédure collective | 33,9% | 34,8% | 34,0% | 32,5% | -1,4 |
Radiation d'office | 13,6% | 12,6% | 15,8% | 13,0% | -0,6 |
Autres | 6,6% | 2,7% | 2,7% | 2,6% | -4,0 |
Total | 100,0% | 100,0% | 100,0% | 100,0% | 0,0 |
Source : CNGTC, retraitements Xerfi (2023).
En effet, les radiations volontaires augmentent de 6 points par rapport à 2019 et n’ont jamais été aussi hautes depuis 4 ans. Inversement les radiations à la suite d’une procédure collective baissent de 1,4 point entre 2019 et 2022, tout comme les radiations d’office (-0,6 point) et autres motifs (-4 points). Entre 2021 et 2022 les radiations volontaires auront par ailleurs augmenté de 20%, contre seulement +8,8% pour les radiations à la suite d’une procédure collective.
Focus sur les ouvertures de procédures collectives Une procédure collective « désigne toute procédure dans laquelle le règlement des dettes et la liquidation éventuelle des biens du débiteur ne sont (…) pas abandonnés à l’initiative individuelle de chaque créancier, mais organisés de manière (…) que tous les créanciers puissent faire valoir leurs droits[2]. » Pour 2022, le Bilan des ouvertures de procédures collectives en 2022 affiche 37.468 ouvertures (hors Moselle et Alsace), soit une évolution de +52% par rapport à 2021, soit un taux de procédure nationale de 0,7%. Un niveau qui en 2022 plus modeste toutefois que celui atteint en 2019 au cours de l’année, soit 42.076 ouvertures avec un taux de procédure nationale de 0,9%[3] :
Source : CNGTC, retraitements Xerfi, hors Alsace, Moselle (2023) S’agissant des ouvertures de procédures collectives intervenues en 2022, le secteur du commerce arrive en tête avec 23,5% des ouvertures de procédures, suivi par celui de la construction (19,5%) et l’hébergement/restauration (14%). En pourcentage de variations annuelles en revanche, les ouvertures de procédures collectives explosent dans l’hébergement/restauration (+103,5% en 2022 par rapport à 2021) contre +70,5% dans l’Enseignement, la santé et l’action sociale… le secteur des activités de commerce arrivant à la 6ème place avec +56,1%. S’agissant des activités les plus représentées comparé au stock d’entreprises, la restauration traditionnelle et la restauration rapide sont en tête avec 6,3% et 4,6% des ouvertures de procédures pour des stocks d’entreprises représentant respectivement 2,1% et 2%. Les entreprises de maçonnerie générale et de gros œuvre souffrent également 4,6% et 4,3% des ouvertures, ainsi que les boulangeries/boulangeries pâtisseries (2,3% et 2,1% des ouvertures), mais aussi les débits de boisson (2,1%) et les coiffeurs (1,6%). Ajoutons que les SARL sont les plus concernées (74,% des ouvertures) suivies par les SAS (42,3%), les entreprises individuelles ne représentant que 6,1% des ouvertures de procédures collectives. |
Des défaillances d’entreprises qui progressent significativement en 2022
S’agissant maintenant des défaillances d’entreprises, un effort de terminologie juridique s’impose : la définition de la défaillance d’une entreprise est déterminée par l’INSEE suivant une acception beaucoup plus étroite que celle de procédure collective retenue par les greffes[4] : « il s’agit d’une entreprise qui est placée en redressement judiciaire. » Or il ne s’agit que de l’une des trois procédures collectives existantes au côté de la procédure de sauvegarde et de la liquidation judiciaire. Ainsi toutes les entreprises sous procédures collectives ne peuvent pas être considérées comme « défaillantes » au sens de l’INSEE. Par ailleurs, la radiation évoquée supra, n’intervient dans ce cas de figure qu’à l’issue de la procédure judiciaire, mais peut également se produire pour bien d’autres raisons (cessation d’activité volontaire, fusion/acquisition dans le cadre d’une reprise d’activité ou d’une action de croissance externe d’une entité tierce etc.). Cependant la définition retenue d’entreprise défaillante par l’étude trimestrielle Altarès est significativement plus large[5].
L’étude relative aux défaillances et sauvegardes d’entreprises en France publiée par Altarès[6], souligne que la France enregistre avec +49,9% d’ouvertures en plus sur un an (sur les trois segments), « la plus forte hausse des défaillances[7] jamais connue » en 2022. Soit d’après les calculs du cabinet, près de 42.500 défaillances en 2022. Il souligne en particulier que nombre de PME et de les jeunes entreprises se retrouve « en situation de vulnérabilité extrême ». En particulier, si en 2022 on relève toutefois 10.000 défauts de moins qu’en 2019 (-18,5% sur l’année), cet écart tend à se réduire drastiquement en fin d’année (-9,3%). Par ailleurs, 3.214 PME jusqu’à 100 salariés ont défailli (+78,2%) dont près d’un tiers (1.037 unités) sur le seul T4 2022. Enfin, s’agissant des PME de plus de 50 salariés, l’augmentation des défaillances représentent 52,9% et même 102,2% si l’on compare le niveau atteint spécifiquement au T4 2022 par rapport au T4 2021[8].
La menace pesant sur l’emploi représente 143.000 postes, frappant en premier les secteurs de la « restauration, maçonnerie, boulangerie, coiffure et cafés [qui] concentrent 20% des défaillances. »
Par ailleurs si les radiations concernaient au premier chef Mayotte et PACA, les défaillances se concentrent sur les Hauts de France (+77%), tandis que l’Ile-de-France (+35,3%) et PACA (+37,9%) contiennent leur propre hausse sous les 40%. En revanche, l’Occitanie (+67,9%), la Normandie (+64,5%) et la Bretagne (+60%) voient également leurs entreprises défaillantes augmenter en flèche.
2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | Evolution 2022/2021 | 2021 T4 | 2022 T4 | Evolution T4 2022/2021 | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Sauvegardes | 1061 | 973 | 833 | 729 | 1125 | 54,3% | 197 | 350 | 77,7% |
Redressements judiciaires ou liquidations judiciaires directes | 53 760 | 51 171 | 31 447 | 27 642 | 41 389 | 49,7% | 8 059 | 11 906 | 47,7% |
dont redressements judiciaires | 16 448 | 15 928 | 8 070 | 6 504 | 10 132 | 55,8% | 1 928 | 3 027 | 57,0% |
dont liquidations judiciaires directes | 37 312 | 35 243 | 23 377 | 21 138 | 31 257 | 47,9% | 6 131 | 8 879 | 44,8% |
Total France | 54 821 | 52 144 | 32 280 | 28 371 | 42 514 | 49,9% | 8 256 | 12 256 | 48,4% |
Dont PME > 50 salariés | 305 | 347 | 289 | 187 | 286 | 52,9% | 46 | 93 | 102,2% |
Ensemble des emplois menacés | 171 000 | 173 000 | 133 000 | 94 200 | 143 500 | 49 300 | 25 260 | 42 150 | 16 890 |
Source : Altarès (2023), p.3.
Altarès souligne que « depuis la crise, les liquidations directes sont devenues la norme », représentant l’ouverture de 31.257 procédures. Plus largement, les liquidations judiciaires (LJ) représentent près des trois quarts des jugements prononcés contre seulement deux tiers avant la crise Covid. Par ailleurs la nouvelle procédure de traitement de sortie de crise (PTSC) annoncée comme une procédure de redressement express afin de permettre aux entreprises de rebondir rapidement reste utilisée de façon marginale : 72 traitements seulement de sortie de crise, contre 15 en 2021.
Sur 10 ans, l’évolution des défaillances au sens élargi d’Altarès augmentent significativement comme un effet rebond après le point bas de 2021 (en phase de reprise et avec la poursuite par les pouvoirs publics de l’ensemble des dispositifs de soutien d’urgence aux entreprises).
Les entreprises concernées sont généralement des entreprises de moins de 3 salariés (31.540 sur 42.514) soit 75% de l’ensemble, suivies par les entreprises de 3 à 5 salariés (14%) et majoritairement âgées de 3 à 5 ans (30%) et de 6 à 11 ans (24%). Enfin le commerce (9.418) et l’industrie (10.033) accumulent le plus d’entreprises défaillantes, soit 23% et 24%. A eux deux ces deux secteurs représentent près de 47% des entreprises défaillantes concernées.
Les défaillances d’entreprises en 2022 en haut de spectre
Quid des ETI et des grandes entreprises ? L’étude de EY/AU Group (février 2023[9]) relative aux défaillances d’entreprises permet d’effectuer un focus sur les plus grandes entités. L’étude s’appuie par ailleurs sur celle réalisée par Allianz Trade avec les données de la Banque de France[10]. Le périmètre est légèrement différent de celui retenu par Altarès :
EY recense en particulier les 20 plus grosses défaillances en 2022, totalisant 2,289 milliards d’euros de chiffre d’affaires déclaré et 10.159 emplois :
Sources : EY/AU group février 2023.
Parmi les 20 premières entreprises en défaillance, les ETI non nombreuses (<250 salariés, >50 M€ de CA et >43 M€ de total de bilan). Sur les deux 1ers critères, ¼ environ sont des ETI (5 entités hors prise en compte de leur bilan), 3 disposent d’un CA trop faible et doivent donc être classées dans les PME, 3 ne publient pas leurs effectifs (inconnu) et 45% sont des GE (grandes entreprises).
A quoi s’attendre en 2023 ?
Les prévisions pour 2023, sont plutôt orientées en direction d’un retour à la normal, c’est-à-dire dans une situation pré-crise avec un niveau de défaillance comparable voir sensiblement supérieur à celui de 2019.
C’est en tout cas ce que prévoit Altarès, avec un niveau attendu de 55.000 défaillance en 2023, soit un niveau comparable à celui atteint en mai 2019 de 55.100 entités environ.
Source :Altarès, Bilan 2022 (février 2023).
De son côté EY, en utilisant les données de la Banque de France complétées par Allianz Trade, se positionne plutôt pour un montant total de défaillances de 59.000 entreprises (voir 1er graphique). Cependant la Banque de France semble davantage optimiste dans ses publications mensuelles[11] : elle estime en effet qu’au mois de février et pour le second moi consécutif, le niveau de défaillance des entreprises se retrouve inférieur à celui de février 2019 de près de -8,9% après -8% en janvier 2023.
En revanche le montant des défaillances des entreprises non financières exprimé en termes d’encours de crédit en montants cumulés sur les 12 dernies mois, devient significatif s’agissant des PE (petites entreprises), qui souffrent plus que les autres des difficultés actuelles. En février 2023 leur poids sur 12 mois était de 1,16% après 1,08 en janvier 2023. Ce niveau n’avait pas été atteint depuis octobre 2014.
Ce que révèle également le baromètre Banque de France, c’est qu’en glissement annuel les TPE et les PE mais aussi les ETI-GE sont beaucoup plus impactés qu’en 2019. On relève une croissance des défaillances de +36,2% pour les TPE, de 38,6% pour les PE. Attention cependant avec cette même règle de calcul, les ETI-GE voient des taux de défaillance de +46,2%.
[1] Centre National des Greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), Bilan national des entreprises, janvier-décembre 2022, Xerfi Spécific, https://statistiques.cngtc.fr/uploads/rapport/BNE%202022/BNE%20des%20greffiers%20des%20tribunaux%20de%20commerce%202022.pdf
[2] https://www.infogreffe.fr/informations-et-dossiers-entreprises/lexique-juridique/procedure-collective.html
[3] https://statistiques.cngtc.fr/bilan/bilan-national-2019-des-creations-et-radiations-dentreprises-et-des-ouvertures-de-procedures-collectives
[4] En outre ces derniers comptabilisent les ouvertures de l’année et les radiations de l’année qui interviennent une fois que l’ensemble des procédures sont closes (et qui bien souvent sont déclenchées lors des exercices précédents, les procédures de liquidation étant parfois fort longues et complexes).
[5] Voir note n°7.
[6] https://www.srogosz-avocats.fr/admin-upload/fichiers/nk8meqre-Altares_Etude_Defaillance_2022_Bilan_et_T4.pdf
[7] La notion retenue d’Altarès s’agissant des entreprises défaillantes, est donc plus large que celle de l’INSEE en retenant quasiment l’ensemble des procédures collectives : la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire directe, et non seul le second.
[8] Niveau sur 3 mois et non sur un an glissant en cumul.
[9] https://assets.ey.com/content/dam/ey-sites/ey-com/fr_fr/topics/strategy/2023/ey-fr-etude-defaillances-2023.pdf
[10] Voir en particulier la synthèse https://www.allianz-trade.fr/actualites/defaillances-entreprises-2023.html, ainsi que https://www.allianz-trade.fr/content/dam/onemarketing/aztrade/allianz-trade_fr/news/271022/2022_10_20_Business_Insolvency_AZT_FINAL.pdf ainsi que Banque de France https://www.banque-france.fr/sites/default/files/webstat_pdf/def_ent_2268_fr_si_defaillances_202302_fr.pdf ainsi que https://www.banque-france.fr/statistiques/chiffres-cles-france-et-etranger/defaillances-dentreprises/suivi-mensuel-des-defaillance
[11] https://www.banque-france.fr/statistiques/chiffres-cles-france-et-etranger/defaillances-dentreprises/suivi-mensuel-des-defaillances