Assurance chômage : la clef du plein emploi britannique
3,7% au premier trimestre 2022 : le Royaume-Uni n’a pas connu un taux de chômage aussi faible depuis 1974 selon l'Office national des statistiques (ONS). Fait également historique : le pays dispose actuellement de plus d’offres d’emplois que de chômeurs. Ces constats flatteurs sont le fruit d’une politique d’emploi très exigeante à travers un modèle d’assurance chômage qui repose sur une forte conditionnalité des aides à une recherche active d’emploi. De plus, le Royaume-Uni dépense beaucoup moins pour ce modèle que la France : 0,008% de son PIB en 2019, contre 1,70% en France. Et si le marché du travail est aujourd’hui tendu et que la guerre en Ukraine a entraîné une inflation de 9,1% qui a ralenti la hausse des salaires, de nombreux secteurs recrutent et le gouvernement en appelle à la mobilité des demandeurs d’emploi.
Assurance chômage : des droits très strictement encadrés
Le modèle d’assurance chômage britannique est particulièrement exigeant. Tout d’abord, deux conditions doivent être respectées afin d’être éligible à l’allocation unique nommée New style Jobseeker’s Allowance (JSA) :
- Avoir travaillé en tant que salarié
- Avoir payé des cotisations d'assurance nationale de classe 1 (propre à tous les salariés gagnant plus de 190 £ par semaine) pendant 26 semaines (pas nécessairement continues) au cours d'au moins une des deux années fiscales complètes précédant la demande d’indemnisation[1]
Le montant l’indemnité forfaitaire unique est calculé par jour et en 2022, il s’élevait à 61,05 livres par jour pour les jeunes et 77,00 livres par jour pour les demandeurs d’emploi de plus de 25 ans. Enfin, c’est la durée d’indemnisation qui est invariable et bien plus courte que dans les autres pays : 182 jours, soit 6 mois, contre possiblement 2 ans en France et même trois ans pour les plus de 55 ans[2].
Le versement de cette allocation est, également, conditionné à une recherche active d’emploi dont le bénéficiaire doit régulièrement attester auprès de son agence. Le suivi par cette dernière est strict et les sanctions en cas de manquements observés sont sévères. Il existe ainsi trois niveaux de sanction, sachant que les sanctions durent jusqu'à ce que le demandeur d’emploi réalise l’obligation à laquelle il a manqué[3].
Synthèse des sanctions de la New Style Jobseeker’s Allowance (JSA)
Sanctions de niveau inférieur qui s’appliquent si le demandeur d’emploi :
- ne se rend pas à une convocation de son agence,
- ne participe pas à une formation,
- ne respecte pas les modalités prévues avec l’agence dans le cadre de son « contrat d’engagement ».
Nombre de manquements de niveau inférieur | Durée de la sanction |
---|---|
Première fois | 7 jours |
Deuxième fois | 14 jours |
Troisière fois | 28 jours |
Sanctions de niveau moyen qui s’appliquent si le demandeur d’emploi :
- ne respecte pas l'obligation de recherche active d'emploi,
- ne respecte pas l'obligation d'être disponible pour travailler.
Nombre de manquements de niveau moyen | Durée de la sanction |
---|---|
Première fois | 28 jours |
A partir de la deuxième fois | 91 jours |
Sanctions de niveau supérieur qui s’appliquent si le demandeur d’emploi :
- sans raison valable, ne postule à aucune offre d'emploi,
- refuse, sans raison valable, une offre d’emploi rémunéré.
Nombre de manquements de niveau supérieur | Durée de la sanction |
---|---|
Première fois | 91 jours |
A partir de la deuxième fois | 182 jours |
L'Universal Credit : une fusion des minima sociaux qui prend le relais de l'Assurance chômage
Si un demandeur d’emploi n’a plus ou pas droit à la JSA, il peut alors demander à bénéficier de l’Universal Credit. Il s’agit d’une prestation universelle de solidarité progressivement mise en place depuis 2012. L’Universal Credit est une prestation sous conditions de ressources (il faut disposer de moins de 16 000 livres de patrimoine) accessible à toute personne de plus de 18 ans vivant au Royaume-Uni. A sa création, elle fusionne et remplace six allocations préexistantes dont les allocations logement, les allocations familiales, l’aide en cas d’invalidité et les prestations d’aide de retour à l’activité. À titre de comparaison, cette prestation couvre un périmètre bien plus large que le RSA en France puisqu'elle intègre de nombreux minimas sociaux. L'objectif de ces fusions était de réduire les frais administratifs de versement, de réduire le taux de non-réclamation des aides en les rendant plus compréhensibles et automatiques et de revoir le principe de conditionnalité et d’activation des aides. Si l’allocation mensuelle de base pour un célibataire de 25 ans ou plus s’élève à 334,91 livres, elle peut être majorée selon la situation du demandeur (enfant, handicap, difficultés de logement…)[4].
Concernant le contrôle des chômeurs, ces derniers doivent conclure un accord appelé "engagement du demandeur" avec leur formateur assigné par leur agence pour l’emploi afin de convenir des étapes de la recherche d’emploi et le cas échéant, des sanctions applicables. Les obligations varient en fonction de la situation du bénéficiaire (familiale, professionnelle, financière…) et consistent principalement en la rédaction d’un CV, la recherche et la candidature à des emplois ou encore le suivi de formations. En cas de manquements, la durée de réduction de l’indemnité peut aller jusqu’à 6 mois (ou alors jusqu’à ce que le bénéficiaire réalise l’obligation à laquelle il a manqué). Le montant de la réduction est forfaitaire et dépend de la situation du bénéficiaire : pour une personne célibataire de 25 ans ou plus, la réduction s’élève à 11£ par jour en cas de sanction dite supérieure et à 4,40£ en cas de sanction dite inférieure. Le principe est en effet le même que celui de la New Style JSA avec différents niveaux de sanctions[5].
Synthèse des sanctions du système Universal Credit au 1er octobre 2021
Sanctions de niveau inférieur qui s’appliquent si le demandeur d’emploi :
- ne se présente pas à une convocation de son agence,
- ne se manifeste pas auprès de son agence,
- ne participe pas à une formation recommandée,
- ne fournit pas les documents demandés par le Department for Work and Pensions (DWP).
Nombre de manquements de niveau inférieur | Durée de la sanction |
---|---|
Première fois | 7 jours |
Deuxième fois | 14 jours |
Troisième fois | 28 jours |
Sanctions de niveau moyen qui s’appliquent si le demandeur d’emploi :
- ne réalise pas, dans la limite du raisonnable, les efforts nécessaires afin de retrouver une activité rémunérée,
- n’est pas en mesure de commencer à travailler ou de se présenter à des entretiens d'embauche.
Nombre de manquements de niveau moyen | Durée de la sanction |
---|---|
Première fois | 28 jours |
A partir de la deuxième fois | 91 jours |
Sanctions de niveau supérieur qui s’appliquent si le demandeur d’emploi :
- ne postule pas à un emploi pourtant convenable,
- refuse une offre d'emploi convenable,
- quitte un emploi ou réduit ses heures de travail pendant ou avant d’avoir bénéficié de l’Universal Credit.
Nombre de manquements de niveau supérieur | Durée de la sanction |
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Première fois | 91 jours |
A partir de la deuxième fois | 182 jours |
Des chiffres du chômage qui récompensent la rigueur britannique
En renforçant les droits et devoirs des demandeurs d’emplois, le Royaume-Uni est parvenu à se maintenir en situation de plein emploi depuis des décennies avec l’avènement d’une véritable culture du travail. Tout demandeur d’emploi, par la pression d’indemnités chômage courtes, peu élevées et assorties à de nombreuses obligations de recherche d’activité, est ainsi fortement incité à rapidement retrouver un emploi. Cela est confirmé par une forte mobilité des travailleurs britanniques et un taux de chômage historiquement bas à 3,7% au premier semestre 2022.
Données : Office for national statistics
La politique d’emploi du Royaume-Uni a, d'ailleurs, modifié pour répondre aux mouvements de la conjoncture économique. Ainsi, le premier ministre, Boris Johnson, a fait adopter en début d’année 2022 un changement exceptionnel de la règlementation des sanctions à destination des bénéficiaires de l’Universal Credit. Les demandeurs sont depuis contraints d'accepter un emploi dans n'importe quel secteur, sous peine de sanctions financières rapides. Les bénéficiaires du crédit universel n'auront que quatre semaines - contre trois mois jusque-là - pour trouver un emploi dans leur secteur de prédilection avant la menace de sanctions. Après cette période, s'ils ne font pas d'"efforts raisonnables pour trouver un emploi ou s'ils refusent une offre, quel que soit le secteur concerné, ils verront leur prestation réduite. Cette mesure intitulée « Way to work » a pour objectif de donner du travail à 500 000 personnes à court terme et à pourvoir 1,2 million de postes vacants au niveau national dans des secteurs allant du médical à la construction. Elle a déjà permis de faire davantage baisser le taux de chômage depuis janvier pour atteindre 3,7% à la fin du mois de mars contre 4% à la fin du mois de janvier.
Assurance chômage, des dépenses sous contrôle
Non seulement le modèle britannique est efficace, mais il est aussi très peu coûteux. En effet, les dépenses au titre de la Jobseeker’s Allowance en 2019 s’élevaient à 158,071 millions de livres, soit seulement 0,008% du PIB[6]. La même année, la France a dépensée 41,1 milliards d’euros en assurance chômage au profit de 2,6 millions de personnes[7], somme alors équivalente à 1,7% du PIB français. L’écart est considérable. Les prestations françaises de solidarité que sont le RSA (11,7 milliards[8]) et la prime d’activité (9,8 milliards[9]) représentaient 21,5 milliards d’euros de dépenses en 2019, soit 0,9% du PIB. Le poids des dépenses d’Universal Credit en matière d’aide de retour à l’emploi (sans prendre en compte les prestations qu’il remplace) est alors sensiblement le même, atteignant 0,96% du PIB britannique pour 18,2 milliards de livres[10].
Le système britannique d'Assurance chômage à l'épreuve de la crise économique et sanitaire L’année 2020, avec l’arrêt soudain et complet de l’activité économique, est particulièrement révélatrice des différences des modèles d’assurance chômage français et britanniques.
En 2020, les dépenses britanniques en termes de Jobseeker’s Allowance étaient toujours aussi faibles et même inférieures à l’année précédente : 104,443 millions de livres, soit 0,005% du PIB[11]. Au cours de cette même année, les dépenses de la France en matière d’assurance chômage ont quant à elles augmenté de 0,7 point de pourcentage par rapport à l’année précédente pour atteindre 2,4% du PIB : elles s’élevaient à 55,7 milliards d’euros[12]. Il faut également y ajouter les dépenses importantes de soutien à l’activité partielle entre 2020. Elles s’élèvent à 27,1 milliards d’euros[13] et se décomposent de la manière suivant : un tiers, 9 milliards, portés par l’Unédic[14], et deux tiers, les 18,1 milliards d’euros restant, à la charge de l’Etat. Si l’on soustrait ces 9 milliards portés par l’Unédic (car déjà comptabilisés dans les dépenses d’assurance chômage de 55,7 milliards), l’on obtient ainsi d es dépenses d’assurance chômage et de soutien au chômage partiel d’un montant de 73,8 milliards d’euros pour l’année 2020, c’est-à-dire 3,2% du PIB. Dès mars 2020, le gouvernement britannique a également mis en place un dispositif d’aide propre à la crise du coronavirus à destination des personnes dont l’activité a été entièrement ou partiellement suspendue. Il faut déjà noter que si les allocations pouvaient s’élever jusqu’à 80% du précédent revenu contre 70% en France, elles étaient plafonner à 2500£ par mois, soit moins de deux salaires minimums, contre 4,5 smic en France[15] ! Le Royaume-Uni a donc davantage tenté de maîtriser le niveau des aides compensatoires, et donc ses dépenses. Ce programme qui s’est étendu jusqu’en septembre 2021 avait coûté environ 61,5 milliards de livres au 14 mai 2021[16] et représentait 2,5% du PIB à date de février 2021[17]. Si les dépenses au titre du soutien au chômage partiel étaient plus importantes au Royaume-Uni en 2020, cela est compensé par une assurance chômage quasi nulle, contrairement à la France. Sur une période de référence pourtant plus longue, la somme des dépenses d’assurance chômage et de soutien à l’activité partielle pèse donc de 0,7 points de pourcentage en moins au Royaume-Uni. Le modèle britannique s’est ainsi adapté à la crise et a pu profiter d’une marge de manouvre importante en raison d’un système d’assurance chômage extrêmement peu couteux en temps normal. |
[1] Unédic, « L’indemnisation du chômage en Grande-Bretagne », février 2020
[2] Government of the United Kingdom, « Jobseeker’s Allowance Sanctions: How to Keep Your Benefit Payment », GOV.UK.
[3] Ibid
[4] Government of the United Kingdom, « Universal Credit », GOV.UK.
[5] Mental Health & Money Advice, « What Is a Universal Credit Sanction? » www.mentalhealthandmoneyadvice.org, 12 avril 2022
[6] Government of the United Kingdom, « Great Britain National Insurance Fund Account 2019 to 2020 »
[7] Rapport financier de l’Unédic 2019
[8] Rapport de la Cour des comptes, « Le Revenu de Solidarité Active (RSA) », 13 janvier 2022
[9] Minima sociaux et prestations sociales, édition 2021, DREES
[10] Office for Budget Responsability, « Welfare spending: universal credit »
[11] « Great Britain National Insurance Fund Account 2021 »
[12] Rapport financier de l’Unédic, 2020
[13] Dares – Situation sur le marché du travail durant la crise sanitaire au 2 février 2021
[14] Unédic, « Activité partielle : Etat des lieux et perpectives », février 2022
[15] Foki, Guillaume « Covid 19 : les différents systèmes d’indemnisation du chômage partiel en Europe », Unédic, janvier 2022
[16] Unédic, « Le dispositif de chômage partiel au Royaume-Uni », août 2021
[17] Coeuré, Benoît « Committee on the monitoring and evaluation of financial support measures for companies confronted with the covid-19 pandemic », France Stratégie avec l’Inspection générale des Finances, avril 2021