2,4 ou 3,3 millions journées de travail perdues pour grève en France ?
En 2021, une année peu marquée par les conflits sociaux, on aura décompté près de 2,5 millions de jours de grève en France dans le secteur privé et la fonction publique d'État. Un chiffre qui peut doubler lors des années conflictuelles, comme 2019 et 2022 par exemple, et les mouvements contre une réforme des retraites... Et un chiffre qui ne compte ni la fonction publique territoriale, ni la fonction publique hospitalière pour lesquelles ils n'existent aucune donnée officielle ! Or de l'analyse des bilans sociaux locaux par la Fondation IFRAP, c’est plus de 900 000 jours de grève qui ne seraient pas décomptés, nous portant à près de 3,3 millions de journées de travail perdues pour fait de grève par an.
Si l’on se penche sur les données sur le nombre de journées de travail perdues pour fait de grève lors des six dernières années, on constate un nombre moyen annuel de journées de grève perdues de 2,4 millions pour l’ensemble des salariés du privé et la fonction publique d’État, soit environ 20,5 millions de salariés et 2,5 millions d’agents publics.
22 % des jours de grève liés à la fonction publique d’État
Entre 2017 et 2022, les agents de l’État ont regroupé 22,2 % des journées perdues, soit une surreprésentation de +10,7 points en moyenne par rapport à leur part dans l’effectif total. Un pic ayant également été atteint en 2019 quand les agents de l’État ont comptabilisé 33,2 % des journées perdues, soit une surreprésentation de +21,9 points. Cette année-là, d’ailleurs, les agents du ministère de l’Éducation nationale représentaient 79 % des journées perdues pour fait de grève dans la fonction publique d’État. En 2e position, on trouve les agents des ministères économiques et financiers avec 13 % des journées de grève. Des ordres de grandeur que l’on retrouve d’année en année.
Lors des années conflictuelles, le secteur des transports est également particulièrement présent dans les statistiques entourant les grèves. Il n’y a qu’à suivre les changements méthodo- logiques de la Dares pour s’en rendre compte. Ainsi, depuis 1975, la Dares comptait les conflits localisés dans les entreprises y compris les entre- prises publiques du secteur des transports (SNCF, RATP, Air France, etc.), mais après le conflit social de 1995, la Dares a ingénieusement choisi de présenter des données redressées portant sur les entreprises privées… hors transports ! Ce qui a entraîné une division par deux du nombre de journées perdues enregistrées. Un biais corrigé depuis 2005 puisque, désormais, la Dares pré- sente le nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève pour 1 000 salariés en emploi, dans les entreprises de 10 salariés ou plus du secteur marchand non agricole.
Un choix temporaire d’exclure le secteur des transports des données qui traduit le poids de ce secteur dans les grèves. Si l’on se penche sur les statistiques pour 2019 (une année de conflits sociaux liés aux négociations autour de la réforme des retraites), on constate que la RATP et la SNCF qui représentent 14 % des effectifs du secteur transport, pèsent pour 39 % des journées de grève. Ainsi, on peut dire que la fonction publique d’État, la RATP et la SNCF représentaient, en 2019, 45,6 % des journées de travail perdues pour fait de grève.
L’inconnue du nombre de jours de grève dans la fonction publique territoriale et hospitalière
À ce jour, il n’existe pas de données consolidées et publiées sur les journées de grève, ni pour la fonction publique territoriale, ni pour la fonction publique hospitalière, soit un angle mort sur les journées de grèves d’environ 3 millions d’actifs. Ce manque de transparence sur les chiffres est un problème car il occulte, en partie la très forte surreprésentation du secteur public dans le nombre de journées perdues pour fait de grève. En avril 2024, la DGCL présentait une synthèse des RSU, rapport social unique des collectivités, et comptait 225 300 jours de grève répartis dans 3 300 collectivités, soit 9% des collectivités. La DGCL ne précise le nombre d'agents concer- nés et comme 60% des effectifs de la territoriale sont répartis dans les collectivités employant plus de 350 agents, impossible d'extrapoler.
Néanmoins, la Fondation IFRAP qui travaille sur les données des RSU depuis plusieurs années a exploité les data liées aux jours de grève dans 96 de ces employeurs publics en 2021. L’échantillon analysé couvre plus de 430 000 agents, soit 14 % des effectifs de la fonction publique territoriale et hospitalière, et cumulant 132 564 jours de grève comptabilisés au niveau local. Si ce ratio était rapporté à l’ensemble des effectifs locaux, c’est plus de 900 000 jours de grève qu’il faudrait rajouter au compte de la France, nous portant à près de 3,3 millions de journées de travail perdues pour fait de grève par an.
Cet exercice est perfectible. Cependant il permet de souligner que des données existent mais qu’elles ne sont pas exploitées au niveau national et que le nombre de jours de grève en France est, très certainement, sous-estimé. Enfin, l’ex- ploitation des RSU a mis en évidence l’absence d’harmonisation dans le remplissage des RSU, un document obligatoire, par les employeurs locaux. Un très grand nombre d’employeurs locaux ne fournissent pas les données liées aux grèves quand certains ne comptabilisent que les « mouvements de grève » au lieu du nombre de jours. Et quand c’est le nombre de jours qui est présenté, des doutes existent par- fois sur la fiabilité des données tant l’écart à la moyenne est fort. Ainsi, alors que la moyenne des 31 grandes villes est de 2 890 jours de grève en 2021, on peut s’interroger sur les données four- nies par la ville de Marseille : 225 jours de grève décomptés pour un effectif de 11 928 agents. À titre de comparaison, la même année, la ville de Paris pointait 61 041 jours de grève pour 52 250 agents et la ville de Lyon, 7 1137 jours de grève pour 7 063 agents.