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Vrai ou faux : l'Etat maîtrise sa masse salariale...

En transférant plus de 10.000 agents vers ses opérateurs

Bernard Cazeneuve affirme que « la masse salariale de l'État diminue de 200 millions d'euros en 2013 [1] » par rapport à 2012, est-ce pour autant l'annonce d'une maîtrise « très exceptionnelle » des dépenses de personnel ? Nous avons voulu en avoir le cœur net.

Et les constats sont les suivants :

  • Si on se fixe, non sur le montant des dépenses de personnel de l'État en 2012, mais sur le montant de la loi de finances initiale pour 2013, les dépenses de personnel n'ont pas été réduites de 200 millions d'euros mais ont augmenté de… 400 millions d'euros, passant de 80,2 milliards d'euros à 80,6 milliards, et ce en raison d'une sous-budgétisation des dépenses de personnel.
  • Une partie de la réserve de précaution aurait semble-t-il été utilisée en 2013 pour combler cet écart dans une fourchette de 100 et 400 millions d'euros.
  • Cela dit, une baisse des dépenses de personnel par rapport à 2012 est effectivement constatée sur l'exécution 2013 mais elle provient en partie du fait qu'en 2013 l'État a transféré 10.868 agents à ses opérateurs (Pôle emploi, VNF, INSEE… mais surtout aux universités et établissements supérieurs de recherche) soit 10.472 équivalents temps plein (voir notre étude sur le budget 2014) ce qui représente a minima une économie pour la masse salariale de l'État de… 300 millions d'euros. « Economie » pleinement payée par les subventions aux opérateurs et/ou les taxes affectées aux opérateurs.
Le Conseil stratégique de la dépense publique annoncé par le président de la République dans le cadre du Pacte de responsabilité, devrait réunir autour du président de la République les principaux ministres dépensiers ainsi que, sur un mode plus informel, d'autres ministres ainsi que « des organismes ayant à connaître de la dépense publique ainsi que toute personnalité qualifiée » [2] afin de dégager les économies rapides et nécessaire d'un montant minimum de 50 milliards d'euros à horizon 2017 [3]. Or l'un des postes majeurs de dépenses (en dehors des dépenses sociales et locales) reste celui de la maîtrise de la masse salariale de l'État, des collectivités locales et des Hôpitaux.

200 millions d'économies, ou dérive de 400 millions sur les dépenses de personnel ?

En effet, il ne fait aucun doute que la décélération progressive des dépenses de personnel est plutôt la norme puisqu'en 2012 déjà la Cour des comptes avait pointé une hausse spontanée de seulement 0,1% lors de l'exécution budgétaire. Il ne s'agissait pas néanmoins d'une vraie stabilisation. En réalité, pour bien cerner les affirmations du ministre s'agissant de l'exécution du budget 2013 il faut nuancer immédiatement le propos à l'aide de deux éléments complémentaires :

  • D'une part, tout dépend des données de référence : si l'exécution budgétaire de 2013 et ses premiers chiffres provisoires permettent de mettre en évidence par rapport à l'exécution définitive de 2012 une baisse des dépenses de personnel de 200 millions d'euros, celles-ci passant de 80,8 milliards d'euros à 80,6 milliards, la maîtrise est beaucoup moins bonne si l'on prend comme référence la LFI 2013 puisque dans ces conditions les dépenses de personnel semblent progresser au contraire de 400 millions d'euros.
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  • Par ailleurs, si l'on regarde maintenant les décrets d'avance pris entre la LFI et la LFR 2013, on constate que les dépenses de personnel ont été réévaluées de 500 millions d'euros, en particulier du fait d'un dérapage de la masse salariale du ministère de la Défense (sous la forme de décrets d'avance).
  • Le réajustement semble avoir été partiellement effectué via la réserve de précaution, qui s'agissant des mises en réserve à la suite de la LFR 2013, disposait de crédits d'environ 493 millions d'euros et a été remarquablement sanctuarisée pendant les trois premiers trimestres de 2013.

En exécution, il semble à première vue que l'on puisse anticiper [4] une mobilisation partielle de la réserve de précaution à hauteur de 100 millions d'euros, sans annulation totale des crédits de personnel mis en réserve (afin de permettre la passation de décrets d'avance pour 2014 par exemple, ou autoriser à effectuer des reports de crédit).

En tout état de cause, il apparaît que les crédits de personnel en LFI 2013 ont été fortement sous-budgétés. Les causes peuvent être diverses :

  • Une mauvaise anticipation du coût des opérations extérieures ;
  • Une sous-budgétisation « cosmétique » permettant de facialement afficher son volontarisme (baisse de 600 millions d'euros en LFI 2013 par rapport à l'exécution 2012) ;
  • Une insuffisante maîtrise des départs à la retraite des fonctionnaires (qui en sens inverse, permet une meilleure maîtrise du CAS pension, d'ailleurs en sous-exécution de 1,3 milliard par rapport à la LFI 2013, ce qui est beaucoup plus significatif).

Le tour de passe-passe des dépenses allégées de personnel par rapport à 2012 :

Cependant, indépendamment du fait que l'on assiste, par rapport au budget 2013, à une « dérive » de 400 millions d'euros entre la programmation initiale et les premiers chiffres exécutés des dépenses de personnel, il est indéniable (en attendant les résultats définitifs) que par rapport à l'exercice 2012, les dépenses de titre 2 sont en baisse. Une baisse de 200 millions d'euros. Voyons comment cette « maîtrise » est obtenue. Plusieurs éléments doivent être pris en considération :

  • Tout d'abord le gel du point d'indice. Cette non-revalorisation depuis 2010 permet d'éviter une « envolée » des dépenses de 800 millions d'euros/an sur la masse salariale des agents de l'État (pour une revalorisation de 1% du point). C'est l'élément décisif de la maîtrise des dépenses, un élément qui pourrait être remis en cause prochainement, Marylise Lebranchu affirmant qu'il pourrait être mis fin à ce gel avant 2017 [5] ;
  • Ensuite, la division par deux des avantages catégoriels. Ceux-ci passent d'une enveloppe de 600 millions d'euros à un montant de 300 millions environ ;
  • Enfin, la recherche d'un ralentissement du GVT (glissement vieillesse/technicité), c'est-à-dire de baisser le nombre des promotions et des évolutions de carrières (GVT positif) tout en supprimant des postes dans les ministères jugés non prioritaires (hors Justice, Police, l'Education nationale et l'enseignement supérieur), ce qui permet de dégager là encore des économies (les salaires des nouveaux agents étant plus faibles que les salaires de sortie de carrière).

Jusqu'à présent, la technique principale a consisté à s'appuyer sur le transfert de personnel via la décentralisation (transferts quasiment complets dès 2012), mais surtout via la dévolution de personnel aux universités et aux instituts de recherche dans le cadre de l'autonomie des universités. On peut ainsi vérifier assez aisément les mouvements de transfert. Nous les mettons ci-dessous en évidence entre 2012 et 2014 (voir tableau ci-contre) :

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Les transferts de personnel sous-plafond qui permettent de « maîtriser » les dépenses de titre 2 sont mis en évidence par les lignes marquées en orange. On vérifie d'ailleurs que le passage d'une comptabilité en ETPT (équivalents temps pleins travaillés) pour l'État à une comptabilité en ETP (équivalent temps plein) des emplois est quasiment indifférente s'agissant de ces transferts. En 2013 le transfert (ou décentralisation) de 10.868 ETPT se traduit par des transferts de +10.472 ETP au sein des opérateurs. Le même phénomène se reproduit en 2014 avec le transfert de 4.801 ETPT de l'État qui se retrouvent sous la forme de 4.802 ETP au sein des opérateurs. Avec un coût moyen de 30.000 euros/an/agent public, il est possible d'évaluer le volume de la « maîtrise » au niveau central des coûts : -326 millions d'euros en 2013 et -144 millions d'euros en 2014. Une somme que l'on retrouve d'ailleurs partiellement dans les subventions pour charge de service public (titre 3) des opérateurs. Celles-ci passent en effet entre 2012 et 2013 de 25,57 milliards d'euros à 26,28 milliards d'euros. Cela représente une augmentation de 2,8%, soit 716 millions d'euros. Or si l'on applique un coefficient d'inflation de 2%, on trouve tout de même une augmentation de 204 millions d'euros environ. Nous pensons donc que les Subventions pour charge de service public se "chargent" progressivement de dépenses de personnel, le reste étant ventilé entre des dépenses de transfert (titre 6), l'augmentation des recettes fiscales (+1,5% entre 2012 et 2013) et bien sûr les ressources propres.

Il est d'ailleurs significatif que la réserve de précaution qui doit théoriquement « taxer » à 0,5% les montants de titre 2 de l'État (soit 600 millions d'euros CAS pension inclus) complété par une taxation de 7% des autres missions pour un montant de 7,3 milliards, a débouché sur un dégel immédiat de 1,016 milliard d'euros au titre du dégel des subventions pour charge de service public (titre 3) en lien avec la masse salariale des opérateurs.

Conclusion :

Parvenir à réaliser des économies « historiques » de 200 millions d'euros en transférant pour près de 300 millions d'euros de dépenses de personnel aux opérateurs ne peut se traduire que par une hausse en réalité « structurelle » de 100 millions d'euros. Une hausse quasi-inévitable si l'on ne fait pas d'effort suffisant de suppression de postes dans les ministères les plus importants en termes d'effectifs (notamment l'Education nationale), et par le jeu simple du déclanchement de la GIPA (62,6 millions d'euros en 2011 derniers chiffres disponibles).

Pour tenir véritablement les dépenses de personnel, redonner des perspectives de carrière et à terme dégeler le point de fonction publique, il sera nécessaire de s'attaquer aux effectifs eux-mêmes. Sinon, le jeu de bonneteau ne pouvant plus durer (puisque les recettes affectées aux opérateurs sont désormais plafonnées) il faudra continuer de geler les rémunérations bien au-delà de 2017. Un sujet essentiel que le Conseil stratégique de la dépense publique serait bien avisé d'aborder en priorité.

La Fondation iFRAP se prononce :

  • Pour un enrichissement du jaune budgétaire consacré aux opérateurs en l'élargissant à l'ensemble des ODAC (organismes divers d'administration centrale) selon la méthodologie retenue par l'IGF ;
  • Pour l'inscription au sein du « jaune » de la part des subventions pour charge de service public représentant des dépenses de personnel sous plafond des opérateurs et au-delà des différentes « agences » ;
  • Pour la réinscription dans la seconde loi de modernisation de l'action publique territoriale de la nécessité d'un rapport annuel de la Cour des comptes sur les finances locales, avec un suivi précis des transferts de personnel aux collectivités ou à leurs propres EPCI ou EPIC locaux en provenance de l'État mais aussi des opérateurs (dans le cadre d'une remise à plat des compétences et des périmètres d'action publique), afin de retracer précisément les flux.

[1] Propos rapportés par le journal Les Échos, mardi 21 janvier 2014 et tenus devant la commission des Finances de l'Assemblée nationale, voir, Fonctionnaires, la masse salariale a diminué de 200 millions en 2013, assure Cazeneuve.

[2] Voir le décret de constitution du Conseil stratégique de la dépense publique n°2014-46 du 22 janvier 2014. Précisons que sa fréquence qui devrait être mensuelle n'est pas précisée par le décret, ni les règles de pilotage qui devraient reposer sur un engagement personnel de chaque ministre sur les économies qu'il entend réaliser pour l'année en cours au sein du budget de son ministère, en lien avec la lettre de cadrage nominative qui lui est désormais adressée. Voir le Figaro et pour les réunions techniques, LegiFrance.

[3] Sans doute significativement plus, étant donné l'objectif de gage d'une partie du CICE, soit environ 13 et 14 milliards sur les 20 nécessaires en rythme de croisière (puisque l'augmentation des taux de TVA devait rapporter entre 6 et 7 milliards d'euros prélevés sur les ménages).

[4] Ce que la Cour des comptes avait analysé dans son rapport sur l'exécution 2012 avec un volume « neutre » pour les finances de l'État d'environ 2 milliards. Voir Cour des comptes, rapport sur l'exécution budgétaire 2012. L'hypothèse inverse voudrait que l'on assiste à une dérive des dépenses de personnel d'environ 900 millions d'euros, contrebalancées par des annulations de crédit de 500 millions d'euros, d'où un différentiel par rapport à la LFI de 600 millions d'euros.

[5] Mais dans ce cas on ne comprend pas comment tenir autrement le poste des dépenses de personnel, sauf à couper plus avant dans les effectifs ou à ralentir très fortement les promotions (agir sur le GVT positif), mais en ce cas en dégradant progressivement le GVT solde (puisque les départs baisseraient également), ce qui jouerait en définitive plus sur le niveau du CAS pension que sur la masse salariale (cf. supra). Par ailleurs, l'effet indirect sur les autres fonctions publiques ne serait pas négligeable avec une augmentation de 1 milliard d'euros sur les deux autres fonctions en cas de revalorisation de 1%.