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Taux de sols artificialisés : la France déjà dans les meilleurs élèves européens

Les décrets d'application de la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN) font actuellement l'objet d'intenses négociations avec les élus locaux inquiets pour le développement économique des territoires. En 2021, l'adoption massive (332 pour, 77 contre à l’Assemblée nationale) de cette loi reposait sur l’hypothèse d’une France plus mauvais élève de l’Europe dans ce domaine. Cela parce que notre pays artificialiserait 20.000 à 60.000 hectares par an. Un ordre de grandeur à prendre avec précaution, d'autant que le taux d'artificialisation de notre territoire apparait comme bien en dessous de la moyenne européenne : 5,5% contre 9,4% en Allemagne, par exemple !

Pour rappel, l'objectif du gouvernement est d'atteindre le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) en 2050, "en s’appuyant sur un premier objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) dans les 10 prochaines années".

La notion de « sol artificialisé » a beaucoup varié et reste floue. En 2019, au terme de ses études, France stratégie la qualifie d’objet mal caractérisé (voir en annexe). Et même en supposant l’artificialisation bien définie, la mesure des sols artificialisés reste difficile. Utilisant trois méthodes différentes, (Corine Land Cover, Teri Lucas, Fichiers fonciers), le rapport de France Stratégie de 2019 trouvait des chiffres allant de un à trois, de 20.000 à 60.000 hectares par an sur une même période, et même de 10.000 à 60.000 sur des dates un peu plus éloignées.

Les divergences d’appréciation entre pays européens sont sans doute encore plus fortes. Les nouvelles données publiées par le gouvernement français ont augmenté de 30% le taux d’artificialisation de l’Italie, et baisser de 20% celui de l’Allemagne.

Comparaisons internationales

Aucune étude ne permet de décider quel serait le taux d’artificialisation souhaitable des sols (certains semblent penser que 0% serait idéal). Faut-il regretter le XIXème siècle où la taille de la forêt française était deux fois plus faible qu’actuellement ? ou la situation de 1980 où les logements par habitant, de 33% plus petits qu’actuellement, avaient l’avantage d’occuper moins de terrains ? Faute de repère objectif, les responsables politiques et associatifs français ont mis en avant des comparaisons internationales pour justifier la loi ZAN. Notamment avec le tableau 3 ci-dessous tiré du rapport de France Stratégie qui montre qu’actuellement, la France artificialiserait chaque année plus de sols que des pays comparables. Pour une raison inexpliquée, l’outil de mesure choisi (CORINE Land Cover) était celui qui maximise l’artificialisation des sols en France (voir tableau 2 ci-dessus), outil pourtant jugé peu précis par France Stratégie.

Ce tableau montre que, si la France artificialise par habitant chaque année plus de sols que ses voisins, elle est considérablement moins artificialisée que ses trois concurrents développés (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni). Des données plus complètes montrent que c’est aussi vrai vis-à-vis de la Belgique et du Danemark. La comparaison des cas Belges et Finlandais montre pourquoi le critère du nombre d’hectares artificialisés par an est inapproprié, et que les Français sont absolument dans leur droit d’artificialiser plus de sols que les habitants de pays plus densément peuplés.     

Belgique vs. Finlande

Avec ses 304.316 kilomètres carrés, la Finlande héberge 5,6 millions d’habitants, tandis que les 11,6 millions de Belges occupent 30.452 kilomètres carrés. Avec un écart de densité de 1 à 20, les deux peuples vivent bien malgré des conditions très différentes.

Qui peut reprocher aux Finlandais d’occuper chacun trois fois plus de sols dits « artificialisés » que les Belges (1012 vs 315 m2) ?

Les publications qui mettent la France au dernier rang (le pire) des pays européens en matière d’artificialisation des sols font des comparaisons entre des pays très densément peuplés (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Italie) à des pays beaucoup moins densément peuplés (Espagne, France). Aussi entre pays dont le niveau de développement et de vie sont très divers. Le niveau de vie en France étant deux fois supérieur à celui en Bulgarie, il est naturel que les logements, les infrastructures et les entreprises occupent une part plus importante du territoire.

Utiliser les atouts de la France

La grande taille de la France et sa faible densité de population présentent des handicaps économiques (coût des infrastructures et des services notamment publics) : le grand nombre d’hôpitaux et d’établissements scolaires s’explique en partie par la taille du territoire. Mais la disponibilité de vastes étendues présente aussi des avantages : au Canada, l’installation massive d’éoliennes, de centrales solaires ou de mega-usines d’automobile est facile. Les 550.000 km2 de la France métropolitaine doivent permettre à la grande majorité des Français d’habiter dans les logements qu’ils souhaitent, aux entreprises de trouver les terrains dont ils ont besoin à des prix acceptables, tout en conservant de vastes étendues de nature protégée.   

Conclusion

En 2023 les problèmes critiques de la France sont le logement, le développement économique, et le faible niveau de revenu des Français, en retard de 30 à 40 % notamment par rapport à l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, les Etats-Unis, la Suisse. Pas du tout l’excès d’artificialisation. La France, en raison de sa taille et sa faible densité de population, est un pays beaucoup plus nature que ses voisins développés. Ne pas gâcher de terres est souhaitable. Priver la France des avantages que représente sa grande taille est catastrophique et n’est pas justifié. Utiliser des statistiques de consommation annuelle d’espace sans tenir compte de la place toujours disponible constitue une manipulation tendancieuses des faits.    


Annexe : définition de l’artificialisation

Centrée au départ sur la réduction des surfaces agricoles cultivées, le concept s’est beaucoup diversifié. Pour faire peur, de nombreux responsables ont utilisé le terme de « bétonnés » pour qualifier les sols artificialisés. D’après l’INSEE « sont "artificialisés" tous les sols qui ne sont pas des espaces naturels, agricoles ou forestiers, qu'ils soient imperméabilisés (bâtis, revêtus et stabilisés comme les routes, les voies ferrées, les parkings…) ou perméables (comme les parcs et jardins, les friches urbaines ». Le parc du château de Versailles comme les jardins des particuliers étaient donc classés comme artificialisés.  

L'article 192 de la loi Climat et résilience l’a ensuite défini comme "l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage." Cette définition semble un peu moins restrictive mais pas plus claire. En France, l’IGN est en charge de l’OCS GE (Occupation des sols à grande échelle) en cours de constitution et produit des référentiels consultables élaborés.

OCS GE

L’OCS GE est une base de données vectorielle pour la description de l’occupation du sol de l’ensemble du territoire métropolitain et des départements et régions d’outre-mer (DROM). Elle s’appuie sur un modèle ouvert séparant la couverture du sol et l’usage du sol (appelé modèle en 2 dimensions), une précision géométrique appuyée sur le Référentiel à Grande Échelle (RGE®) et une cohérence temporelle (notion de millésime) qui, par le biais de mises à jour successives, permet de quantifier et de qualifier les évolutions des espaces.