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Situation budgétaire de l'État à fin octobre : 157 milliards de déficit

La direction du budget vient de publier la situation budgétaire de l’Etat d’octobre. Celle-ci présente des caractéristiques à priori encourageantes par rapport à celles de l’année précédente : les dépenses semblent en baisse de -6,9 milliards d’euros tandis que les recettes elles seraient plus dynamiques à hauteur de 10,6 milliards. Il en résulterait un effet positif sur le solde public de 20,3 milliards à date. Celui-ci ressortant à -157,4 milliards d’euros en octobre 2024 contre -177,7 milliards d’euros en octobre 2023. L’analyse fine cependant appelle à être beaucoup plus circonstancié. Ces bonnes nouvelles apparentes en cachent d’autres, surtout en matière de recettes fiscales qu’il faut bien appréhender.

Une situation en apparence meilleure qu’escomptée en octobre 2024 :

Si l’on regarde en perspective cavalière sur un an glissant la situation budgétaire de l’Etat entre octobre 2024 et octobre 2023, certains indicateurs sont au beau fixe :

 

Cumul fin octobre

 
 

2022 retraité 

des R&D

2023

2024

Ecart 24-23
Solde du budget général

-143,7

-164,6

-147,1

17,5

Dépenses (BG + PSR)

429,0

434,9

427,9

-6,9

Recettes

285,3

270,3

280,9

10,6

Solde des comptes spéciaux

0,5

-13,1

-10,3

2,8

dont avances aux coll terr

-1,0

-4,1

-0,6

3,4

Solde des budgets annexes    
Solde général

-143,2

-177,7

-157,4

20,3

Source : Ministère des finances, novembre 2024.

Le solde du budget général affiche une amélioration de près de 17,5 milliards d’euros, sous l’effet de dépenses (BG + prélèvements sur recettes en direction des collectivités territoriales et de l’UE) en baisses en valeur de près de -6,9 milliards d’euros, conjugué à des recettes plus allantes de +10,6 milliards. Pour arranger le tout, le solde des comptes spéciaux est moins déficitaire en octobre 2024 qu’il ne l’était un an plus taux, ce qui améliore encore le solde général de 2,8 milliards d’euros. Le tout (puisque le solde des budgets annexes n’est pas encore connu) aboutissant à dégager un solde budgétaire général de l’Etat plus haut que l’année précédente de près de 20,3 milliards d’euros en octobre.

Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Il faut pour cela regarder la situation détaillée et la comparer avec celle dessinée initialement en LFI 2024.

Une situation comparative détaillée qui livre une vision nettement plus inquiétante… :

Le détail des dépenses permet de comprendre comment les économies apparentes en octobre par rapport à l’année précédente sont dégagées :

 ExécutionLFI

Cumul fin octobre

Dépenses totales nettes du BG

2023

2024

2023

Ecart Oct-Ex 2023

2024

Ecart oct-LFIEcart 24-23
Dotation des pouvoirs publics

1,077

1,138

1,077

0

1,138

0,0

0,061

Dépenses de personnel

144,807

153,542

119,284

-25,52

126,759

-26,8

7,475

Dépenses de fonctionnement

74,179

70,917

64,147

-10,0

66,875

-4,0

2,728

Charges de la dette de l'Etat

54,78

52,182

51,149

-3,63

44,581

-7,6

-6,568

Dépenses d'investissement

18,696

21,720

15,022

-3,67

15,862

-5,9

0,84

Dépenses d'intervention

158,315

146,072

123,524

-34,79

114,444

-31,6

-9,08

Dépenses d'opérations financières

2,712

7,67

2,333

-0,38

1,758

-5,9

-0,575

Dépenses du budget général

454,565

453,241

376,536

-78,03

371,417

-81,8

-5,119

PSR au profit des coll terr

44,254

45,057

37,83

-6,42

38,479

-6,6

0,649

PSR au profit de l'UE

23,873

21,61

20,516

-3,36

18,044

-3,6

-2,472

Prélèvements sur recettes

68,127

66,667

58,346

-9,78

56,523

-10,1

-1,823

Dépenses totales (BG+PSR)

522,692

519,908

434,882

-87,81

427,94

-92,0

-6,942

Source : SMB octobre 2024, et PLF 2025.

On constate que la baisse cumulée des dépenses d’interventions de près de 9,08 milliards intervenues en octobre permettent de juguler la hausse de 10,2 milliards d’euros des dépenses de personnel (+7,4 milliards) et de fonctionnement (+2,73 milliards d’euros) des ministères. Les dépenses d’investissement semblent contenues par rapport à l’année précédente, et leur hausse elle aussi partiellement compensée par la baisse des dépenses d’opérations financières. Ainsi la seule baisse ayant un vrai effet sur le solde du budget général est constituée par les charges de la dette de l’Etat, en replis de -6,6 milliards d’euros sur un an. Une bonne tenue qui devrait fondre à terme puisque le service de la dette a été budgété à hauteur de 52,2 milliards d’euros en replis de -2,6 milliards d’euros entre l’exécution 2023 et la LFI 2024.  Le solde général est encore amélioré de 1,8 milliard par la baisse des prélèvements sur recettes en faveur de l’Union européenne (-2,4 milliards) tandis que les PSR en direction des collectivités augmenteraient elles de 650 millions d’euros par rapport à octobre 2023. 

Du côté recettes en revanche la situation semble beaucoup plus inquiétante :

 ExécutionLFI

Cumul fin octobre

Recettes totales nettes du BG

2023

2024

2023

Ecart Oct-Ex 2023

2024

Ecart oct-LFIEcart 24-23
Recettes fiscales

322,903

348,482

254,366

-68,537

255,671

-92,811

1,305

Impôt sur le revenu

88,589

93,364

62,765

-25,824

61,628

-31,736

-1,137

Impôt sur les sociétés

56,825

72,047

38,711

-18,114

40,565

-31,482

1,854

TICPE

16,804

15,39

13,592

-3,212

13,654

-1,736

0,062

Taxe sur la valeur ajoutée

95,188

100,806

80,781

-14,407

80,958

-19,848

0,177

Autres recettes fiscales

65,497

66,875

58,518

-6,979

58,867

-8,008

0,349

Recettes non fiscales

25,139

22,704

10,334

-14,805

18,803

-3,901

8,469

Recettes du BG (hors FDC et ATP)

348,042

371,186

264,7

-83,342

274,474

-96,712

9,774

FdC et ATP

6,492

7,399

5,601

-0,891

6,406

-0,993

0,805

Recettes du BG (avec FDC et ATP)

354,534

378,585

270,301

-84,233

280,88

-97,705

10,579

Source : SMB octobre 2024, et PLF 2025.

Les recettes fiscales ne seraient plus dynamiques en cumulé en octobre 2024 que de 1,3 milliard d’euros par rapport à la situation d’octobre 2023. En particulier l’IR chuterait de près de 1,1 milliard, avec une légère plus forte dynamique s’agissant de l’IS (+1,8 milliard d’euros).

En revanche la comparaison entre les encaisses de recettes fiscales d’octobre 2024 et celles de 2023 par rapport à la LFI 2024 et à l’exécution 2023, serait beaucoup plus cruelle : il resterait près de 92,8 milliards à encaisser en octobre 2024 d’ici la fin de l’année pour respecter la perspective financière initiale, contre seulement 68,5 milliards d’euros entre octobre 2023 et son exécution définitive. 

On peut matérialiser à cet égard un tableau des écarts des écarts (différentiel entre l’écart octobre 2023 – exécution 2023 et l’écart octobre 2024 – LFI 2024) :

Recettes totales nettes du BGEcart des Ecarts
Recettes fiscales

-24,3

Impôt sur le revenu

-5,9

Impôt sur les sociétés

-13,4

TICPE

1,5

Taxe sur la valeur ajoutée

-5,4

Autres recettes fiscales

-1,0

Recettes non fiscales

10,9

Recettes du BG (hors FDC et ATP)

-13,4

FdC et ATP

-0,1

Recettes du BG (avec FDC et ATP)

-13,5

Source : SMB octobre 2024

En particulier les recettes octobre 2024 seraient plus en retard que celles d’octobre 2023 de près de 24,3 milliards, dont 13,4 milliards sur l’IS, 6 milliards sur l’IR, 5,4 milliards sur la TVA.

En revanche, s’agissant des recettes non fiscales, l’amélioration glissante d’octobre à octobre serait de près de 8,5 milliards, et en variation des variations de près de 10,9 milliards, ce qui témoigne d’une très bonne tenue attendue sur ce segment au contraire des rentrées fiscales. 

Si l’on utilise la même méthodologie des écarts des écarts du côté des dépenses, la situation montre des risques de dépassement en matière de dépenses de fonctionnement (6 milliards d’euros), mais aussi en matière de dépenses d’interventions (+3,2 milliards), second point qui était très favorable en 1ère analyse sur un an glissant. Il semble donc que les dépenses d’intervention pourraient donc devenir plus allantes en fin d’année, annulant une partie des économies dégagées.

Dépenses totales nettes du BGEcart des Ecarts
Dotation des pouvoirs publics

0,0

Dépenses de personnel

-1,3

Dépenses de fonctionnement

6,0

Charges de la dette de l'Etat

-4,0

Dépenses d'investissement

-2,2

Dépenses d'intervention

3,2

Dépenses d'opérations financières

-5,5

Dépenses du budget général

-3,8

PSR au profit des coll terr

-0,2

PSR au profit de l'UE

-0,2

Prélèvements sur recettes

-0,4

Dépenses totales (BG+PSR)

-4,2

… Mais conforme à la loi de fin de gestion adoptée le 4 décembre 2024

Il faut bien entendu prendre en considération également la loi financière de fin de gestion que le Parlement vient d’adopter après une commission mixte paritaire conclusive le 4 décembre dernier[1].

 LFI 2024Révisé PLF 2025PLFG

Ecart PLFG 2024 LFI 2024

 

2024

2024

2024

Dépenses du BG + PSR

512,5

507,2

505,7

-6,8

dont Dépenses BG

445,8

440,1

438,5

-7,3

dont PSR

66,7

67,2

67,2

0,5

PSR - CT

45,1

44,9

44,9

-0,2

PSR - UE

21,6

22,3

22,3

0,7

Recettes fiscales nettes

348,5

322,5

324,1

-24,4

Recettes non fiscales

22,7

23,4

23,7

1

Solde des comptes spéciaux - Hors FMI

-5,7

-5,4

-5,6

0,1

Solde des budgets annexes

0,2

0,2

0,2

0

Solde Etat - hors FMI

-146,9

-166,6

-163,2

-16,3

Source : PLFG 2024, PLF 2025 calculs Fondation iFRAP décembre 2024.

Si la loi de fin de gestion était respectée en exécution, les dépenses du budget général et des PSR seraient bien toujours orientées à la baisse, ce qui est cohérent avec la situation différentielle s’agissant des dépenses identifiée plus haut (différentiel des écarts). Les gains sur l’UE d’octobre se résorberaient en fin d’année tandis que des économies modestes seraient in fine constatées sur les collectivités territoriales.

S’agissant des recettes fiscales, les impasses seraient en exécution d’un même montant (-24,4 milliards d’euros) que celles détectées en octobre 2024 par écart des écarts (voir supra, soit -24,3 milliards). On peut donc en déduire que la situation d’octobre est globalement en phase avec le projet de loi de finances de fin de gestion, avec un solde budgétaire de l’Etat en dégradation de près de 16,3 milliards d’euros par rapport à la situation initiale en LFI 2024.

Tout repose donc sur la capacité du futur Gouvernement (la censure du Gouvernement Barnier étant intervenue le 4 décembre) de procéder aux annulations de crédits reportés de fin de gestion permettant de limiter la dégradation du solde (pour mémoire hors R&D, les reports de crédits de 2023 sur 2024 représentaient près de 16,1 milliards d’euros). Il n’y a par contre rien à faire du côté des recettes fiscales de l’Etat dont les rendements plafonnent depuis 3 ans (2022-2024) entre 323 et 324 milliards d’euros. 


[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/plffg2024