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Revalorisation des taxes foncières en 2023 : un impact sévère pour les entreprises

A bas bruits, en cette période estivale, les travaux se poursuivent pour procéder à la réactualisation des valeur locatives cadastrales des locaux professionnels. Il faut dire que la nouvelle vague d’actualisation doit intervenir pour la Taxe foncière et la CFE (cotisation foncière des entreprises) au 1er janvier 2023, sur la base des remontées de loyers de 2021. Un processus qui a lieu en principe tous les 12 ans, mais qui par exception depuis la réforme de l’évaluation des valeurs locatives lancée en 2017 intervient 6 ans plus tard. Malheureusement, tout ne se passe pas tout à fait comme prévu puisque sur le terrain où des aberrations sont constatées.

Une procédure qui prend théoriquement en compte les remontées du terrain

Un décret n°2022-127 du 5 février 2022 précisant la méthode applicable pour l’actualisation des paramètres collectifs d’évaluation des valeurs locatives des locaux professionnels, a lancé la campagne de réactualisation en début d’année. Les commissions départementales des valeurs locatives (CDVL) ont ensuite été chargées de fiabiliser et de valider les projets d’actualisation qui ont ensuite été transmis aux commissions intercommunales et communales (CIID/CCID) pour avis motivé et qui ont eu jusqu’au 10 juillet pour présenter leurs observations[1].

En pratique chaque commission doit actualiser à partir des données locatives remontées en 2021 (loyers réellement constatés), trois paramètres départementaux d’évaluation des locaux professionnels qui servent à établir l’assiette des locaux professionnels pour les impôts directs locaux. En sont exclus les locaux à usage d’habitations (particuliers, dont la réforme devrait intervenir… en 2026), les locaux industriels évalués selon la méthode comptable[2] et les locaux professionnels évalués sur la méthode du barème (autoroutes et dépendances, ports de plaisance[3]). Ces trois paramètres sont les suivants :

  • Chaque local est rattaché à une des 38 catégories identifiant des activités principales ou spécifiques, identifiées au niveau départemental ;
  • Des tarifs au m² sont déterminés dans chaque secteur d’évaluation (il y en a 6) ; allant des secteurs les plus démunis aux plus rentables ;
  • Enfin des coefficients de localisation peuvent être appliqués (de -30% à +30%) afin de tenir compte de la situation de la parcelle identifiée (enclavée, bien desservie, etc.)

Précisons que les tarifs et la sectorisation correspondent à la moyenne des loyers constatés sur le terrain par les services fiscaux (en excluant les extrêmes).

En pratique les CDVL[4] qui se sont réunies entre février et mai ont proposé un avant-projet aux CIID/CCID qui ont dû émettre un avis motivé d’ici le 10 juillet, qui est transmis à nouveau aux CDVL qui examineront ces derniers début septembre. Le décret prévoit qu’en cas de désaccord entre la CDVL et la CIID, le préfet tranchera. Il n’est pas précisé dans le décret si cette décision peut-être elle-même susceptible de recours juridictionnel. En théorie elle devrait l’être comme tout acte administratif en cas d’erreur manifeste d’appréciation.

Les remontées difficiles de la campagne de réactualisation 2022

Une actualisation de la valeur locative en fonction des loyers réellement pratiqués dans la zone géographique considérée… tout pourrait se dérouler le mieux du monde et pourtant… comme l’indiquaient les rapports expérimentaux transmis aux parlementaires en 2011 et 2015[5], il y a nécessairement des effets de report d’imposition importants à recettes fiscales inchangées.  Notamment des activités économiques en périphérie en direction des centres-villes.  Mais indépendamment des effets de redistribution de l’assiette fiscale au sein de chaque territoire d’autres évolutions sont constatées :

Ainsi l’AMF a écrit au gouvernement « pour lui signaler que « dans certains territoires, le nombre et la configuration des secteurs d’évaluation risquent d’être profondément modifiés par rapport aux résultats 2017 de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels[6] » :

Plusieurs « chocs » sont en effet constatés en pratique :

  • Dans l’Essonne, « la sectorisation se basait jusqu’alors sur la catégorie de local la plus représentée dans le département. Il s’agissait des magasins « sur rue » (MAG1). Dorénavant ce sont les bureaux « anciens » (BUR 1). » On y constate donc une réévaluation des catégories qui bouleverse en retour le découpage des secteurs fiscaux. Ainsi « seules 7 communes sur 194 conserveraient plusieurs sections fiscales reflétant la diversité de leur tissu urbain ». En pratique cela se traduit par une revalorisation des secteurs de référence dans un très grand nombre de communes, « certaines basculent du secteur 1 au secteur 6 ». Enfin on observe toujours dans l’Essonne une homogénéité des tarifs entre certains secteurs : quelle que soit la catégorie d’activité les tarifs des deux premiers secteurs sont désormais identiques, tandis que certains tarifs deviennent régressifs : plus faibles en secteur 6 qu’en secteur 5[7].
  • En Loire Atlantique, le sénateur Joël Guerriau (Indépendants) s’interroge[8] : « certains tarifs proposés par secteur et par catégorie de local professionnel, établis sur la base d’un recensement des loyers commerciaux déclarés aux services fiscaux du département, sont incohérents au regard du marché locatif actuel et risquent de pénaliser lourdement certains commerces de proximité. » et de citer en particulier les magasins classés MAG 1, 3 et 4 « qui pourraient subir des hausses de 35% à 73% ».

L’ensemble de ces phénomènes sont malheureusement explicables et prévisibles : Comme le relève le sénateur Guerriau, « Dans certains secteurs la collecte des loyers est parfois faible pour avoir un reflet fidèle du marché locatif. » Même son de cloche du côté de l’AFIGESE[9] : « alors que les estimations de 2017 ont été établies sur environ la moitié des loyers, l’avant-projet de cette révision sexennale ne dépasserait pas le tiers, selon les évaluations de la DGFiP. »

Par ailleurs d’autres phénomènes jouent également : tout d’abord les reports périphéries/centre, ce qui aboutit à la fixation de tarifs « favorisant la grande distribution au détriment du commerce de proximité » ce qui joue contre la politique actuelle de « revitalisation des centres-villes ». En effet, même avec une revalorisation des valeurs locatives cadastrales, le montant des taxes peut baisser, dans le cas où « la hausse de la valeur locative du local ou (…) de sa catégorie (…) est inférieure à la hausse moyenne de la valeur locative de l’ensemble des locaux professionnels.[10] » ce que l’on constate précisément dans la grande distribution par rapport aux commerces de centre-ville.

Des solutions existent et devraient être implémentées dès le PLF 2023

Forts de ces constats, la DGFiP tente de temporiser en renvoyant vers des correctifs dans le cadre du PLF 2023[11]. En effet différentes méthodes de « neutralisation » de la réforme de 2017 existent et ont été utilisées conjointement à cette occasion[12] :

  • L’introduction d’un coefficient de neutralisation afin de garantir des ressources constantes aux collectivités ; Ce coefficient est égal au total des anciennes bases d’imposition d’un territoire donné divisé par le total des bases d’imposition révisées. Au sein de ce territoire, la TFPB se comporte comme un impôt de répartition dans la mesure où « l’objectif recherché avec ce coefficient de neutralisation est de maintenir une neutralité de la pression fiscale et de conserver la même pression fiscale pour les locaux des particuliers et ceux des entreprises, à partir de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels et dans l’attente de la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation.[13] »
  • Un « planchonnement » sur cette valeur neutralisée permettant d’en limiter les variations à la hausse (plafond) et à la baisse (plancher). Concrètement celui-ci diminue de moitié l’écart entre l’ancienne valeur locative et la nouvelle valeur révisée neutralisée ;
  • L’existence d’un mécanisme de lissage sur 10 ans (2017-2026), afin de rendre progressive la variation de l’imposition par rapport à l’ancien système d’évaluation (1/10ème/an), après division par 2 de la base d’imposition et application du taux d’imposition[14].

Malheureusement comme l’indique la DGFiP elle-même, ces mécanismes ne sont pas modifiés et restent figés à la situation du 1er janvier 2017. Il est donc nécessaire d’adapter au plus vite les modalités de neutralisation/planchonnement et de lissage qui doivent encore fonctionner pour les 3 ans à venir. Enfin, le décret du 5 février permet également aux CIID/CCID de sous-sectoriser, ce qui pourrait permettre d’assouplir un peu les effets de bords fiscaux en prenant en compte encore plus finement les réalités locales.

Les angles morts restent nombreux avant le choc de 2026

Tout d’abord sur la méthode, les élus locaux dans les CIID/CCID n’ont pas bénéficié de simulations territoriales de la campagne de réactualisation en cours au motif que les paramètres de calcul des bases n’étaient pas encore totalement fixés. Or c’est précisément leur variation en fonction des incohérences constatées qui auraient dû permettre de réaliser des arbitrages les plus justes au plus près du terrain.

Ensuite, les délais extrêmement contraints pour se prononcer et l’insuffisance des remontées des loyers, fortement perturbés par la crise du Covid en 2020 qui rétroagissent sur 2021. Là encore, les élus locaux pourraient solliciter le report de l’opération à 2023 pour 2024, le temps de collecter des informations locatives supplémentaires pour parvenir à des remontées de 50%.

La plupart des professionnels seront impactés qu’ils soient propriétaires ou locataires

Les baux commerciaux sont beaucoup plus souples que les baux d’habitation qu’ils soient nus ou meublés car ils sont négociés par les parties. En substance, le bail commercial permet au bailleur de prévoir aux termes du contrat de bail que c’est le locataire qui paie la taxe foncière… à condition qu’une clause spécifique soit insérée à cette fin et suffisamment précise. Ainsi pour les baux commerciaux la taxe foncière fait partie des charges récupérables par le bailleur, tout comme la TEOM/REOM qui l’est aussi. Dans les faits la plupart des baux commerciaux conclus comportent cette clause, ce qui fait supporter au locataire professionnel le poids de la taxe foncière en sus de ses charges locatives courantes.

La récupération des charges par le bailleur sur le preneur n’est pas sans limite, notamment s’agissant des grosses réparations quand bien même le bail stipulerait que « le locataire s’est engagé à prendre les lieux dans l’état où ils se trouvent au moment de l’entrée en jouissance » depuis les baux conclus depuis 2014 (liste des travaux non transférables).

Enfin, quid de 2026 ? En 2026, année des élections municipale, il s’agira de mettre en place la réforme des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation. A cette date :

  • L’ensemble des mécanismes de neutralisation de la RVLLP et de la TFPB pro seront théoriquement supprimés.
  • En conséquence le coefficient de neutralisation qui permettait de maintenir la « parité » entre les valeurs locatives d’habitation et les valeurs locatives professionnelles ne fonctionnera plus, chaque enveloppe évoluant séparément.
  • Pour les entreprises, la valeur locative brute des locaux professionnels sera désormais retenue à 100%, ce qui devrait entraîner une hausse considérable de la taxe foncière des locaux professionnels.
  • Lorsqu’un lissage « positif » existe, celui-ci prendra fin la même année, ce qui constituera un second facteur de hausse de la TFPB pro, avec le contrecoup éventuel de l’absence de nouveau mécanisme de lissage correctif à compter de 2023 (si rien n’est fait en PLF 2023 en ce sens).
  • En tout état de cause des mécanismes d’amortissement devront être pris pour les entreprises et les particuliers à cause du rôle central désormais dévolu au taux de la TFPB au sein des taxes locales : jusqu’à la suppression de la taxe d’habitation, c’était cette dernière qui servait de taux pivot aux autres taxes locales (chaînage des taux)… sauf de la TFPB dont les taux restaient libres[15]. Désormais ce sont les taux de la TFPB qui servent de pivot pour la CFE, la TFNB et la THRS (taxe d’habitation sur les résidences secondaires).

Conclusion

Longtemps repoussée (initiée en 2010 activée en 2017) la réforme des valeurs locatives professionnelles (RVLLP) continue de créer des effets de bords à l’occasion de sa première révision malgré les mécanismes de lissage existants. En cause, un manque de remontée des loyers professionnels encaissés en 2021 et un manque d’anticipation des conséquences de la réforme à l’occasion des phases de révisions. Le dialogue avec les élus locaux est toujours aussi « vertical », sans leur fournir les outils de simulation leur permettant de préserver leurs ressources et d’amoindrir le choc pour les acteurs économiques installés sur leur territoire. Il est donc impérieux, soit de repousser d’1 an le processus de révision, soit d’actualiser les mécanismes de correction, coefficient de neutralisation/planchonnage et lissage afin de tenir compte des évolutions en cours. Mais il importe de viser plus loin : si la campagne de 2023 constitue un premier choc, un tout autre interviendra en 2026 lorsque la réforme des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation verra le jour… l’année des élections municipales. Raison de plus pour voir loin bien au-delà de 2026 et dès maintenant pour les entreprises, sinon, les baisses d’impôts de productions au bénéfice de l’industrie risquent d’être plus que compensées au détriment des autres entreprises et avant tout pour les petits commerçants/artisans.


[1] https://www.apvf.asso.fr/2022/06/16/finances-locales-la-reactualisation-des-valeurs-locatives-des-locaux-professionnels-pose-des-difficultes/

[2] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/finances-locales/reforme-des-valeurs-locatives, c’est en pratique grâce à la méthode comptable qu’une réfaction de la moitié du montant de la TFPB pour les locaux industriels a pu être accordée dans le cadre de la LFI 2021.

[3] https://www.impots.gouv.fr/professionnel/les-grands-principes-de-la-revision-des-valeurs-locatives-des-locaux-professionnels

[4] Les CDVL sont composées de représentants des élus locaux, des professionnels et des parlementaires.

[5] En particulier DGFiP, Rapport au Parlement sur les conséquences et les résultats de l’expérimentation menée en 2011,  ainsi que DGFiP Simulation relative à la révision locative des locaux professionnels, Novembre 2015.

[6] Maire info, Actualisation des valeurs locatives des locaux professionnels : les commissions locales des impôts ont deux mois pour examiner leur projet départemental, Edition du jeudi 2 juin 2022, https://www.maire-info.com/fiscalite-locale/actualisation-des-valeurs-locatives-des-locaux-professionnels-les-commissions-locales-des-imp%C3%B4ts-ont-deux-mois-pour-examiner-leur-projet-departementa-article-26486

[7] Lettre des Présidents d’EPCI et des Chambres consulaires de l’Essonne aux membres de la Commission départementale des valeurs locatives de l’Essonne.

[8] https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701420.html

[9] https://www.lagazettedescommunes.com/811402/une-reactualisation-a-laveugle-des-valeurs-locatives/?abo=1

[10] Voir, Maitre Philippe IMBERT, La taxe foncière de 2026 et la possible fin du coefficient de neutralisation pour les locaux professionnels, consulté le 21/07/2022.

[11] https://www.lagazettedescommunes.com/811729/811729/?abo=1

[12] https://www.impots.gouv.fr/professionnel/les-grands-principes-de-la-revision-des-valeurs-locatives-des-locaux-professionnels

[13] Maître Philippe Imbert, op.cit.

[14] https://mataxefonciere.com/methode-calcul-taxe-fonciere-local-professionnel.php

[15] https://www.lagazettedescommunes.com/649218/la-suppression-de-la-taxe-dhabitation-prevue-au-plf-2020-impacte-les-regles-de-lien-entre-les-taux/?abo=1