Pourquoi il faut rendre la CSG totalement déductible de l’IR sur les revenus d’activité
Le Président de la République a récemment évoqué lors d’une récente allocution télévisée le 15 mai dernier : « Ces Françaises et ces Français qui travaillent dur, qui veulent bien élever leurs enfants et qui aujourd’hui, parce que le coût de la vie a monté et que la dynamique des salaires n’est pas toujours là, ont du mal à boucler la fin du mois. Il faut qu’on les aide en concentrant ces 2 milliards de baisse d’impôt ». Une baisse qui pourrait être étalée jusqu’à la fin du quinquennat. Ce « Plan Marshall » envers les classes moyennes, serait toutefois extrêmement resserré, centré sur les 8,7 millions de foyers fiscaux qui gagnent entre 1.500 euros et 2.500 euros par mois. Et les allègements fiscaux extrêmement modestes, soit environ 230 euros/foyers/ans. Et les voies pour y parvenir sont pavées d’embûches : moduler l’IR est difficile dans la mesure où apparemment seuls les actifs seraient concernés et non les retraités ; moduler la CSG pourrait ne pas être considéré comme constitutionnel à cause d’une rupture devant les charges publiques ; il serait alors possible d’en passer par des crédits d’impôts, mais là encore le tuyautage semble difficile. Et si l’on s’attaquait à la part non-déductible de la CSG de la base de l’IR pour les revenus salariaux ?
Non déductibilité de la CSG à l’IR, une double imposition de droit
Pour le Conseil constitutionnel la CSG a la qualification d’une imposition de toutes natures, visée par l’article 34 de la Constitution (CC. Déc. N°90-285 DC du 28 décembre 1990). La Cour de cassation a également eu l’occasion de se positionner en faveur de cette qualification juridique (Cass. Soc. 31 mai 2012), enfin le Conseil d’Etat dans l’arrêt Dreyer du 1er juillet 2019 n°422780, la qualifie désormais de prélèvement social, sans encore revenir sur sa jurisprudence la qualifiant de cotisation sociale à l’instar de la CJUE[1]. Or ce prélèvement n’est que partiellement déductible de la base de l’IR, notamment sur les revenus salariaux à hauteur de 6,8%. Il subsiste donc une part non déductible de 2,4% pour un taux global de 9,2%. La CSG non déductible constitue donc une double imposition en venant gonfler artificiellement la base imposable de l’IR. Et même aboutit avec l’IR à faire payer un impôt sur un impôt[2].
Or désormais les cas de double imposition sont de moins en moins fréquents en droit fiscal français (si l’on fait encore abstraction des droits de succession[3]), notamment à cause de la baisse entamée des impôts de production :
- Taxe d’habitation sur la résidence principale, partageant la même base que la TFPB en 6 ans (2019-2023) ;
- CVAE en cours de suppression entre 2023 et 2024, qui fait double emploi avec la TFPB sur les biens commerciaux et la CFE (partiellement rognée, mais qui subsiste) ;
La suppression de la non-déductibilité de 2,4% sur les revenus d’activité aurait un coût de 2 milliards d’euros
La suppression de la non-déductibilité des 2,4% de CSG sur les revenus assujettis à l’IR aurait un coût dérisoire pour les finances publiques. Pour le millésime 2021, on peut chiffrer le coût budgétaire sur les seuls salaires à hauteur de 1,8 milliards d’euros.
Décile | Borne inférieure du revenu imposable | Borne supérieure du revenu imposable | Nombre de foyers fiscaux | Revenu imposable | Revenus salariaux | CSG non déductible | Impôt sur le revenu net | Minoration de l’IRPP par suppression de la CSG non déductible | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1 | 0 | 2,4 | 60 | 1 | 0,1 | 0,5 | 0,0 | 0 | 0,0 | 0,0 |
2 | 2,4 | 9,1 | 108 | 24 | 2,3 | 12,9 | 0,3 | -0,1 | -0,2 | 0,0 |
3 | 9,1 | 13,1 | 96 | 44 | 4,2 | 28,1 | 0,7 | -0,2 | -0,3 | 0,0 |
4 | 13,1 | 16,4 | 213 | 58 | 5,6 | 37,1 | 0,9 | -0,1 | -0,1 | 0,0 |
5 | 16,4 | 19,6 | 1 987 | 70 | 6,7 | 46,2 | 1,1 | 0,7 | 0,9 | 0,0 |
6 | 19,6 | 23,9 | 2 309 | 84 | 8,1 | 55,5 | 1,3 | 1,9 | 2,5 | 0,0 |
7 | 23,9 | 30,2 | 2 318 | 105 | 10,1 | 86,9 | 2,1 | 3,3 | 4,4 | -0,1 |
8 | 30,2 | 38,6 | 2 885 | 133 | 12,8 | 110,1 | 2,6 | 5,7 | 7,4 | -0,1 |
9 | 38,6 | 54,1 | 3 393 | 177 | 17,0 | 104,3 | 2,5 | 10,3 | 13,4 | -0,2 |
10 | 54,1 |
| 3 753 | 346 | 33,2 | 203,9 | 4,9 | 55,4 | 72,0 | -1,3 |
Total | 17 122 | 1 042 | 100,0 | 684,6 | 16,4 | 76,9 | 100,0 | -1,8 |
Source : Sénat, rapport annexé au PLF 2023, tome 2 volume 1, p. 31[4], DGFiP, Statistiques[5] et INSEE[6], Sécurité sociale[7], calculs Fondation iFRAP, mai 2023.
Rendre la CSG totalement déductible sur les revenus d’activité (plus larges que les seuls revenus salariaux) devrait donc représenter une perte d’IR de 2 milliards d’euros/an. Elle permettrait en outre de ne concerner que les actifs et les bénéficiaires de revenus de remplacement ou de transferts. En effet la CSG non déductible sur les revenus d’activité représente en 2021 18,64 milliards d’euros, tandis que celle assise sur les seuls salaires représente 16,4 milliards. Soit une différence de rendement de la CSG non déductible de 2,24 milliards, conduisant probablement à un coût sur l’IR de 2,05 milliards d’euros.
Evidemment, comme on le constate par décile, les bénéficiaires ne seraient identifiés qu’à compter du 7ème décile (alors que l’entrée dans l’impôt s’effectue au D6), tandis que le 10ème décile serait celui qui en bénéficierait le plus… ce qui ne correspond pas vraiment à l’objectif du chef de l’Etat ciblant les revenus d’activité compris entre 1.500 et 2.500 euros/mois. Mais le risque en accumulant encore les allègements d’impôts en bas de distribution est de nourrir la trappe à bas salaire en France. Cette approche ne serait pas injuste dans la mesure où le 10ème décile a payé +6,7 milliards d’euros entre 2019 et 2021 et contribue à hauteur de 75% à l’ensemble de la recette de l’IR.
[1] Gérard Calmette, La discrète montée en puissance de la CSG, GFP N°6-2019/Novembre-Décembre 2019, https://gfp.revuesonline.com/articles/lvgfp/pdf/2019/06/lvgfp20196p76.pdf
[2] https://www.lexbase.fr/article-juridique/3213041-textes-l-administration-persiste-et-signe-csg-il-est-legitime-de-payer-un-impot-sur-l-impot
[3] Qui ont d’ailleurs été supprimé dans la plupart des pays scandinaves, voir OCDE 2021, https://www.oecd.org/fr/fiscalite/politiques-fiscales/impot-sur-les-successions-dans-les-pays-de-l-ocde-brochure.pdf précisons que l’Australie (1979), l’Autriche (2008), le Canada (1972), Israël (1980), la Norvège (2014), la République Slovaque (2004), la République Tchèque (2014), la Suède (2004), ont supprimé leurs impôts sur les successions.
[4] https://www.senat.fr/rap/l22-115-21/l22-115-211.pdf#page=31
[5] Impôt sur le revenu : répartition des revenus catégoriels déclarés entre imposés et non imposés, https://www.impots.gouv.fr/statistiques-impots-des-particuliers
[6] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6964922
[7] Sécurité sociale, PLFSS 2023, annexe n°3, p. 49 https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLFSS/2023/PLFSS2023_Annexe%203.pdf#page=49