PLF 2017 : Omerta sur la masse salariale publique
Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur effective de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) en 2006, le PFL 2017 et ses volumineuses annexes ne comporte aucune mention utilisable relative à la masse salariale publique. Ainsi les projections en comptabilité nationale s’arrêtent timidement en 2015 ; seule la masse salariale des collectivités territoriales est entrevue dériver en 2016 (+1% pour les APUL) et surtout en 2017 (+2,1%). En ligne de mire, la volonté de ne pas assumer pleinement le coût des nouvelles embauches dans l’armée (modification de la LPM), dans la sécurité (police/gendarmerie), la justice et l’administration pénitentiaire… et l’inévitable augmentation des dépenses de masse salariales qu’elles occasionnent. Mais surtout les conséquences bien visibles des mesures de revalorisation des salaires publics : revalorisation du point de fonction publique mi-2016 et 2017, impact de la négociation PPCR (plan de reclassement indiciaire), etc. Tentons d’avancer les premiers chiffres :
Une vue globale du montant des rémunérations des personnels des APU
La dépense totale des rémunérations dans les administrations publiques n’est connue de façon fiable que jusqu’en 2015, en septembre 2016 par l’intermédiaire de l’INSEE. Elle s’élève à 281,5 milliards d’euros, soit 12,91% du PIB. Elle présente une augmentation moyenne de 5,1 milliards d’euros/an sur la période.
- Il apparaît en particulier qu’en valeur absolue, la rémunération des dépenses centrales, croissent régulièrement d’environ 1 milliard par an, les opérateurs parvenant à une stabilisation (provisoire ?) de leur masse salariale à compter de 2015.
- Les APUL (administrations publiques locales), voient croitre leur masse annuellement en moyenne de 2,4 milliards d’euros, dont 1,7 pour les seules collectivités territoriales
- Enfin la Sécurité sociale au sens large (y compris la fonction publique hospitalière), voit sa masse salariale dérivée de 1,4 milliards d’euros/an dont 1,2 milliard pour la seule FPH.
Sources : INSEE septembre 2016, Banque Postale mai 2016, RESF PLF 2017 septembre 2016
En réalité, si l’on exprime maintenant les dépenses en volume par rapport au PIB, la perspective ressort différemment et 2015 apparaît alors comme une période d’inflexion. Comme le démontre le graphique suivant, 2015 voit la masse salariale baisser à 12,91% du PIB, alors que 2014 avait atteint un plus haut à 13,02% à presque à égalité avec l’année 2009 (13,10%) au cours de laquelle en pleine crise des subprimes, le PIB nominal s’était effondré de près de 45 milliards d’euros (passage de 1.995,8 milliards d’euros en 2008 à 1.939 milliards d’euros en 2009.
Les raisons de craindre le pire pour le PLF 2017
Les premiers résultats de l’INSEE pour l’année 2016 ne seront connus qu’à compter de la publication de mai 2017. Cependant plusieurs éléments peuvent dès à présent susciter l’inquiétude.
- Pour la première fois, le PLF 2017 ne fait aucune mention de l’évolution de la masse salariale de l’Etat. Or dans une note récente, le site Fipeco, a mis en garde contre un dérapage très important de la masse salariale de l’Etat[1]. L’auteur met en particulier en lumière après calcul directement à partir des « bleus » budgétaires, que si la LFI 2016 prévoyait une exécution à hauteur de 83,7 milliards d’euros (à périmètre 2017), l’exécution provisoire devait s’entendre plutôt autour des 84,5 milliards d’euros (dérive de 0,8 milliard), quant au PLF 2017 il pourrait atteindre près de 87 milliards d’euros, soit une dérive par rapport à la LFI 2016 de 3,3 milliards d’euros et de 2,5 milliards par rapport à l’exécution 2016. Cette dérive serait ventilée comme suit :
- Variation des effectifs (570 millions d’euros[2]), mesures générales (revalorisation du point) pour 690 millions d’euros, GVT solde pour 370 millions d’euros ;
- Les mesures catégorielles pour 1,380 milliard d’euros s’expliquent par les effets de la réforme PPCR pour 750 millions d’euros, 30 millions d’euros pour le RISFEEP (rattachées à la manière de servir), et la montée en puissance de mesures catégorielles diverses pour 600 millions d’euros créées tous azimuts[3].
Et ces premières manifestations ne sont que le prélude aux effets en année pleine pour l’ensemble des trois fonctions publiques des dispositifs de revalorisation annoncés et qui ne se manifesteront pleinement qu’à compter de 2020 en rythme de croisière, impactant du même coup le quinquennat suivant :
Milliards d’euros (trois versants FP)
| 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | |
---|---|---|---|---|---|---|
Point FP | 0,6 | 2,2 | 2,4 | 2,4 | 2,4 | |
Plan de reclassement indiciaire (PPCR) | 0,0 | 1,0 | 1,2 | 1,5 | 2,0 |
- Des risques anticipés sur la masse salariale des collectivités territoriales. PPCR et la revalorisation du point de fonction publique risquent d’impacter la FPT respectivement de 200 millions d’euros/an et de 330 millions en 2017 (mais 648 millions en année pleine à compter de 2017[4]), soit une augmentation de 530 millions d’euros. Ces éléments rentrent en concordance avec ceux développés dans le RESF 2017, p.94, sur une évolution anticipée de la masse salariale des APUL de 1% en 2016 et de 2,1% en 2017, soit une augmentation de la masse salariale divisée par deux par rapport à celle vécue entre 2007 et 2015 (+2,4 milliard/an). Avec +0,8 milliard d’euros en 2016 et +1,7 milliard d’euros en 2017. En clair, le freinage à contretemps des dépenses de fonctionnement et de rémunération des collectivités territoriales (lié à la baisse des dotations aux collectivités territoriales) serait gravement amoindri par les effets de la revalorisation du point de fonction publique dans la territoriale et la montée en charge des mesures PPCR, laissant les élus en situation de compétence liée[5].
- S’agissant de la FPH aucun élément n’a pour l’instant été publié sur la tenue de sa masse salariale. L’impact de PPCR devrait être de 100 millions/an, tandis que la revalorisation du point de fonction publique devrait alourdir de 220 millions d’euros en 2017 avant un coût en année pleine évalué à 552 millions d’euros.
Conclusion
L’absence de communication dans les documents budgétaires transmis ou produits par l’Assemblée sur l’évolution de la masse salariale publique et plus précisément sur la masse salariale de l’Etat est très préoccupante, alors même qu’une baisse (en volume) était constatée en 2015. Les risques de dérapages reconstitués sont pourtant loin d'être anodins, avec +3,3 milliards d’euros sur l’Etat, et sans doute près de 1,7 milliard sur la territoriale (la masse salariale des ASSO n'étant pas encore connue). De quoi rendre malheureusement la tâche encore un peu plus dure pour le futur locataire de l’Elysée à compter de juin 2017. Espérant que le Sénat saura se saisir de la question afin de l’instruire à bon droit durant la discussion budgétaire du PLF 2017 devant la Haute assemblée. Lorsqu’une chambre est défaillante, l’autre peut apporter les éclaircissements nécessaires aux citoyens. C’est aussi cela l’intérêt du bicaméralisme.
[1] Voir en ce sens la note en date du 25 octobre 2016 sous la plume de l’Economiste et ancien magistrat de la Cour des comptes, François Ecalle. http://www.fipeco.fr/actualite2.php?nom=L%27augmentation%20de%20la%20masse%20salariale%20de%20l%27Etat%20en%202017
[2] Estimation qui valide notre propre chiffrage des mesures annoncées par Hollande dès novembre 2015, voir notre note, que nous évaluions provisoirement à 460 millions d’euros environ. Il doit s’y ajouter d’autres entrées ou de moindres sorties (départs à la retraites plus faibles, dus au report de l’âge légal à la retraite). http://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/chiffrage-des-annonces-de-francois-hollande-devant-le-congres
[3] L’auteur en donne la liste suivante : « la revalorisation de « l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves » du primaire public (194 M€) et privé (34 M€) ; la création d’une « indemnité d’absence de leur garnison cumulée à partir de 150 jours » pour les militaires (38 M€) ; la « majoration de l’indemnité de sujétions spéciales de la police » (14 M€ pour la police ; 9 M€ pour la gendarmerie) ; l’augmentation de la prime « allocation des missions judiciaires de la gendarmerie » (5 M€) ; la revalorisation de la prime de fonction des chefs de juridiction (2 M€) ; la « prime de fidélisation » des personnels de l’administration pénitentiaire (2 M€) ; l’amélioration du régime indemnitaire des corps techniques de la navigation aérienne (15 M€) et de l’indemnité de fin de carrière des « ingénieurs » du contrôle de la navigation aérienne (3 M€) ; la « prime de sujétion des encadrants » de la direction générale des finances publiques (2 M€) ; la « revalorisation indemnitaire des personnels administratifs et techniques » de l’administration territoriale (3 M€). »
[4] Voir notre note suite aux annonces de François Hollande, en date du 17 mars 2016 http://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/revalorisation-du-point-de-fonction-publique-chere-et
[5] Avec des collectivités territoriale avec une masse de 65 milliards (Banque Postale, note de conjoncture sur les finances locales, tendances 2016, https://www.labanquepostale.com/content/dam/groupe/actus-pub/pdf/etudes/finances-locales/2016/NC_finances-locales_LBP_20160511.pdf), ce qui supposerait de la part des ODAL (organismes satellites, une baisse de 0,3 milliard de leur masse salariale en 2016 et de 0,1 milliard en 2017).