Interventions du FMI en Grèce, en Irlande, au Portugal : quels enseignements pour la France ?
La situation financière de la France inquiète de plus en plus. L’annonce de la dissolution, la présentation de nouveaux programmes dépensiers, les résultats des élections et l’incertitude liée à l’adoption du budget à la rentrée avec un déficit public à 5,5% du PIB et une dette à 110,6% du PIB, font peser un risque considérable sur la situation de nos finances publiques.
Ces récentes nouvelles ont fait bondir le spread (écart de taux) entre la France et l’Allemagne à plus de 81 points de base, un niveau jamais atteint depuis 2017. Dans ce climat d'incertitude, il n’est plus aberrant d’imaginer l’intervention de la troïka (trio de créanciers composé de la Commission européenne, de la BCE et du FMI) en cas de dérapage budgétaire et de perte de confiance des investisseurs. Et examiner les mesures de redressement adoptées en Grèce, en Irlande et au Portugal nous permettra de mieux appréhender les conséquences potentielles en France.
Cette instabilité se reflète aussi dans la frilosité des investisseurs envers la dette française : le taux de couverture (volume demandé/volume adjugé) lors de l’adjudication des BTF sur 12 mois par l’AFT se situait entre 4,11 et 3,6 au mois d’Avril contre 3,47 et 3,15 au mois de juin. A cela s’ajoute la forte internationalisation de la dette française, détenue à plus de 50% par des étrangers, qui rend le scénario de panique sur les marchés plus probable au moindre premier signe de faiblesse.
La dégradation début juin de la note de la France par l’agence S&P et sa mise en garde sur une possible nouvelle dégradation en cas d’impasse politique au lendemain des résultats des élections, ainsi que les perspectives négatives annoncées par l’agence Moody’s suite à la dissolution nous rappellent que l’on ne pourra pas échapper indéfiniment aux lois du marché en empruntant à des taux qui ne reflètent plus la trajectoire de notre endettement.
La Grèce
L’annonce, début 2010, de niveaux de dette publique (plus de 65 points entre 2008 et 2011) et de déficits (15,2% en 2009) considérables, suivis par une série de dégradations de la note de la dette par les agences de notation, une hausse extrême du coût de l’emprunt (les taux d’emprunt passent de 4,4% en 2009 à plus de 10% en 2010) et l’hypothèse largement répandue que la Grèce pourrait faire faillite ont fait intervenir la troïka en urgence. Ainsi, 110 milliards d'euros ont été prêtés en 2010 par le FMI (30 milliards) et les pays de la zone euro (Greek Loan Facility). En février 2012, un deuxième plan de sauvetage d’un montant de 130 milliards d’euros a été engagé, dont 28 milliards provenant du FMI et le reste du FESF (Fonds européen de stabilité). Et enfin, en août 2015, le dernier soutien a principalement été pris en charge par le MES (mécanisme européen de stabilité) pour garantir la soutenabilité de la dette grecque et recapitaliser les banques.
Les mesures prises par le gouvernement grec dans le cadre du PAE
Mais pour obtenir de tels prêts dans de telles conditions, la Grèce a dû s'engager à mettre en œuvre un ensemble de mesures d'austérité imposées par le FMI et la Commission pour redresser les finances publiques et éviter le défaut de paiement. Ainsi, l’accès aux différentes tranches des trois prêts était conditionné à la mise en œuvre du programme d’ajustement donné par la troïka. C’est pourquoi la Grèce s’est retrouvée sous tutelle pendant plus de 4 ans.
LeProgramme d’Ajustement Economique (PAE) sur lequel se sont accordés le FMI, la Commission et la BCE avait pour principal objectif de restaurer la crédibilité de la Grèce sur les marchés financiers. Les mesures inscrites dans le programme suivaient exactement les recommandations du rapport du Conseil ECOFIN sur la situation de la Grèce de février 2010. La prescription centrale était la réduction du déficit primaire, qui est la différence entre les recettes et les dépenses, hors intérêts.
Secteur public
Le secteur public a été un levier important de réduction dépenses :
- Baisses significatives des salaires : sur la période de 2010 à 2013, on estime entre 20 et 30% les baisses de salaire nominales des fonctionnaires, qui s’ajoutent à la hausse du nombre d’heures de travail qui passe de 37,5 heures à 40 heures par semaine (qui n’a pas été accompagnée d’une hausse de salaire).
- Gèle des pensions entre 2011 et 2013 ;
- Réduction des effectifs : au total, plus de 275 000 fonctionnaires ont été licenciés entre 2009 et 2013, ce qui équivaut à une réduction de 30% des effectifs. Les mesures de gel des embauches en 2010 et l'application de la règle d'une embauche pour cinq départs à la retraite ont contribué à cette diminution.
Dans le cadre des mesures de rationalisation, la Grèce a réduit les dépenses des collectivités territoriales de près de 40% entre 2009 et 2014. Pour y parvenir, le programme Kallikratis a imposé une réduction importante du nombre de municipalités et de régions en les fusionnant. Le système administratif est simplifié, passant de cinq à trois échelons. Le nombre de communes et collectivités locales est plus que divisé par trois, passant de 1014 à 325 ce qui permet de diviser par deux les effectifs des collectivités (50 000 à 25 000). Rien qu’en 2010, les dotations de l’Etat central aux communes ont été réduites de 27,5% et les dépenses de fonctionnement de 10% dans les ministères et collectivités locales. Cette concentration au niveau régional a permis de réaliser des économies d'échelle et de réduire les coûts administratifs. Par ailleurs, le gouvernement a pris des mesures pour limiter les emprunts des autorités locales et a imposé une règle de non-déficit prévue jusqu'en 2014 (rapport annuel de la Banque de Grèce, 2010).
En 2013, le gouvernement a même décidé de fermer la radiotélévision publique grecque (ERT) sous pression des créanciers, avant de la rouvrir suite aux protestations sociales.
Santé & éducation
Le gouvernement a réformé en profondeur le système de santé avec pour objectifs un meilleur contrôle des dépenses et une rationalisation de la gestion des hôpitaux. Par ailleurs, des restrictions budgétaires ont été appliquées aux dépenses de santé, qui ont été plafonnées à 6% du PIB à partir de 2012, ce qui a terriblement affecté l’ensemble du secteur pendant la crise (réduction du personnel, fermeture d’hôpitaux, hausse de la part des frais à la charge du patient). Et entre 2009 et 2014, les dépenses de santé ont diminué de près de 50%.
Du côté de l’éducation, les coupes budgétaires ont entrainé la fermeture de 1053 écoles et une baisse des salaires des enseignants de plus de 30% entre 2008 et 2011 tandis que 1933 établissements ont fusionné. Ce qui a contribué à une réduction de 22 % des dépenses d'éducation entre 2009 et 2014.
Par ailleurs, les dépenses de protection sociale diminuent de 20% sur cette même période.
Défense
Le budget de la défense n’est pas non plus épargné : les dépenses sont réduites de moitié entre 2009 et 2013. Ainsi, les achats d’équipements sont gelés, les effectifs sont réduits (principalement par le non-remplacement des départs à la retraite) et certaines bases militaires sont fermées ou fusionnées.
Retraites
L'âge de départ à la retraite a été reporté à 65 ans en 2010 (contre 60 ans avant) puis à 67 ans en 2012 et les pensions ont été plafonnées et continuellement réduites. Par exemple, en 2012, toutes les retraites sont diminuées de près de 15% suite à la suppression du 13ème et 14ème mois habituellement versés aux retraités. De même, les pensions principales supérieures à 1400 euros ont été réduites de 12% et d’autres baisses entre 10 et 20% ont eu lieu sur les retraites complémentaires. Les départs à la retraite anticipée et autres exceptions propres à chaque profession ont été en grande partie restreints. Enfin, les réformes ont aligné les retraites des fonctionnaires sur celles du privé, éliminant ainsi tous les dispositifs favorables. Toutes ces mesures s’inscrivaient dans une série de prescriptions provenant des programmes d’ajustement, visant à diminuer les dépenses de retraite, principalement entre 2011 et 2013.
Fiscalité
En novembre 2012, toujours sous la pression de la troïka, la Grèce crée le Secrétariat Général Indépendant des Recettes Fiscales (SGIRF) dans le but d’augmenter l’efficacité des mesures fiscales de manière totalement indépendante du gouvernement et lutter contre l’évasion fiscale très présente avant la crise.
Les taux de TVA sont relevés, passant ainsi de 4,5%, 9% et 19% en 2009 à 5%, 11% et 23% en 2010 (soit une hausse de 4 points pour le taux normal). Les taxes sur les carburants sont augmentées de 10% et de nouvelles taxes sur l’électricité sont introduites. Le seuil d’imposition sur le revenu passe de 12 000 à 5 000 euros en 2011 et de nouvelles tranches d’imposition plus élevées sont ajoutées. En plus de mesures fiscales visant directement à augmenter les recettes de l’Etat, de nombreux ajustements structurels ont été adoptés pour rationaliser l'administration fiscale et élargir l'assiette fiscale.
Privatisations
Le programme de privatisation mis en place par la Grèce était une composante majeure des mesures d'austérité exigées par la troïka. Le gouvernement avait ainsi l’objectif de lever 50 milliards entre 2010 et 2015 à travers la création d’un fonds spécialisé. Cette politique incluait de nombreux ports (dont le port de Pirée et celui de Thessalonique), plus d’une dizaine d’aéroports nationaux (comme l’aéroport d’Athènes), une grande partie du parc immobilier, des compagnies d’eau et d’électricité ou des loteries nationales. Mais le climat n’étant pas propice à la cession d’actifs (conditions de marché, opposition politique et sociale), l’objectif des 50 milliards a été de nombreuses fois revu à la baisse et reporté dans le temps.
Compétitivité et croissance
Pour rendre les ajustements durables, les conditions du PAE incluaient d’autres réformes structurelles visant à rétablir et améliorer la compétitivité et la croissance de l'économie grecque. Il s'agissait notamment de réduire le salaire minimum, qui diminue de plus de 22% entre 2012 et 2013, de réviser les lois protégeant les travailleurs contre le licenciement, de réduire les indemnités de licenciement, de libéraliser certaines professions protégées contre la concurrence, de limiter le rôle de la négociation collective et de contraindre les conventions collectives, dont le nombre est passé de 65 à 10 entre en 2010 et 2016 (rapport sur le programme SBA du FMI, 2010).
Bilan de l’austérité
La « thérapie de choc » a sorti le pays de la crise : les dépenses publiques ont diminué de 30% entre 2009 et 2014, entrainant une réduction du déficit primaire qui passe de plus de 10% du PIB en 2009 à 1,4% en 2012. Le taux des obligations à 10 ans grecques passe de 40% début 2012 à 8% en mars 2013.
Pourtant, de nombreuses critiques sont apparues sur l’intervention du FMI et des institutions européennes en Grèce, jugée beaucoup trop brutale et destructrice pour l’économie. Mais c’est oublier que c’est le prix à payer pour le sauvetage d'un pays au bord du gouffre dont le déficit a plus que doublé, dont la dette a pris 48 points en seulement deux ans, et qui a, par conséquent, perdu toute la confiance des marchés (réponse d’Olivier Blanchard sur la critique de l’intervention du FMI en Grèce).
L’Irlande
Le soutien apporté par l'État irlandais après l'effondrement de l'économie, causé par l'éclatement de la bulle immobilière et l'implosion du secteur bancaire (surexposé à l'immobilier), a fait exploser la dette, qui passe de 40% du PIB en 2008 à 120% en 2012. Le déficit public ne cesse de se creuser, passant de 7% en 2008, 14% en 2009 à 32% en 2010. Le dérapage est tel que le redressement engagé par le gouvernement depuis 2008 ne suffit pas et un plan de soutien d’urgence de la troïka d’un montant de 67,5 milliards d’euros est adopté en novembre 2010.
Le système de prêt est divisé par tranches dont le déblocage est conditionné à la mise en œuvre du plan et à l'évaluation des efforts par la troïka. Mais à la différence des programmes portugais ou grecs, le prêt accordé par la troïka repose principalement sur un plan élaboré par le gouvernement irlandais depuis 2009 (National Recovery Plan), qui a été légèrement ajusté. Ainsi, trois objectifs sont affichés :
- La recapitalisation des banques ;
- Le retour à un déficit public inférieur à 3% en 2015 ;
- La relance de la croissance par des réformes structurelles (il s’agit principalement de flexibiliser le marché du travail).
Les efforts budgétaires entrepris par l’Irlande
Tout d’abord, un prélèvement direct de 17,5 milliards sur le Fonds de réserves des retraites irlandais a permis de recapitaliser les banques (10 milliards) et financer une partie du déficit budgétaire.
Le programme de l’Irlande pour redresser ses finances publiques repose essentiellement sur une baisse des dépenses (2/3 de l’effort budgétaire). La fonction publique constitue le principal levier de baisse des dépenses. En effet, l’accord de Croke Park de juin 2010 et le plan Howlin permettent :
- La réduction des effectifs de la fonction publique. Le nombre d’agents passe de 325 000 en 2008 à 293 000 en 2014, soit une baisse de plus de 10% (non-remplacement des départs à la retraite, interruption des recrutements et suppressions de postes).
- Une baisse des salaires de 14% en moyenne entre 2009 et 2010.
- La hausse du temps de travail de 35 à 37 heures ou de 37 à 39 heures selon les secteurs d’activité.
- Le relèvement de l’âge minimum de départ à la retraite.
Les collectivités locales
Et pour les collectivités locales exclusivement, les dépenses sont réduites de 60% entre 2009 et 2014 principalement par :
- La baisse du nombre d’autorités locales, qui est presque divisé par quatre, passant de 114 à 31.
- Le nombre d’élus locaux diminue ainsi de 40% (de 1627 à 949).
- Les baisses de salaire atteignent 20% dans la fonction publique territoriale et les pensions sont diminuées de 10% entre 2008 et 2012.
En plus des mesures annoncées dans la fonction publique, le gel des recrutements dans la police entre 2009 et 2014, la suppression des heures supplémentaires, et la fermeture de certains commissariats ruraux ont permis de réduire les dépenses liées aux services de police de 23% entre 2008 et 2014.
Les dépenses publiques consacrées aux prisons ont aussi été coupées de près de 60% sur la même période par la libération anticipée de certains prisonniers, l’introduction de peines alternatives à l'emprisonnement pour les délits mineurs et le report de certains projets de construction de prisons.
De même, l'Irlande a mis en place des partenariats public-privé afin de diminuer les coûts publics associés à la gestion des infrastructures de sécurité et de justice.
D’autres économies ont été réalisées, notamment dans le secteur des transports, où les dépenses ont diminué de plus de 60% entre 2010 et 2013.
Les dépenses sociales
Les dépenses sociales sont principalement gelées et accompagnées de baisses ciblées, avec principalement :
- La baisse des allocations chômage et de la durée de versement (pour les jeunes et en cas de refus d’un emploi ou d’une formation) et des allocations familiales.
- La mise sous condition de l’aide médicale gratuite.
Entre 2011 et 2015, les coupes budgétaires ont entrainé une chute des dépenses de santé en pourcentage du PIB de 35% (passant de 8% à 5,2% du PIB) et des dépenses d’éducation de plus de 33%. Et les dépenses de protection sociale baissent de 12% entre 2009 et 2014.
Fiscalité
Mais la consolidation budgétaire a été aussi en partie menée par une hausse de la fiscalité (très faible avant la crise). Ainsi la hausse des recettes pour remplir les engagements se résume à :
- l’introduction d’une taxe foncière en juillet 2013,
- l’augmentation de la taxe sur l’immatriculation des véhicules, l’alcool et le tabac,
- la mise en place d’une taxe carbone sur les combustibles,
- la fiscalisation des indemnités du congé maternité,
- l’introduction en 2015 d’une taxe sur l’eau (abandonnée en 2017),
- la hausse du taux de TVA qui passe de 21% en 2013 à 23% en 2014.
On notera par ailleurs que le FMI a fait preuve de flexibilité : il choisit en effet de ne pas inclure dans les conditions du programme une augmentation du taux d'imposition sur les sociétés (12,5%), respectant ainsi la stratégie économique irlandaise.
Réformes structurelles
Mais le programme de la troïka s’accompagne aussi de réformes structurelles comme le passage de l’âge de départ à la retraite à 66 ans en 2014 et de réformes du marché du travail pour réduire le taux de chômage et redynamiser l’économie (accompagnement des chômeurs par la formation, réduction des indemnités chômage et de la période d’indemnisation). Par ailleurs, le gouvernement entreprend à partir de 2010 une réforme visant à rationaliser et à réduire considérablement l'organisation administrative de l'État.
L’Irlande a aussi créé en 2011, sous l’impulsion de la troïka, le Conseil budgétaire irlandais (Irish Fiscal Advisory Council) qui est l’équivalent du Haut Conseil des finances publiques en France.
Les résultats de la politique menée
Ainsi, le rebond de la croissance couplé aux hausses de la fiscalité a permis à l’Irlande de parfaitement respecter la trajectoire du programme d’aide de la troïka. Le déficit public passe de 13,6% du PIB en 2011 à 3,6% en 2014 puis 2% en 2015. De même, le dégonflement de la dette publique est spectaculaire, passant de 120,1% du PIB en 2013 à 76,5% en 2015, ce qui représente une baisse de 44 points en deux ans. Et quelques semaines après la fin officielle du programme d’aide en décembre 2013, l’Irlande a emprunté 3,75 milliards d’euros à 10 ans à un taux de 3,54%, contre 14,45% en juillet 2011 au plus fort de la crise.
Et après avoir demandé un remboursement anticipé du prêt du FMI en 2014, l’Irlande a fini de rembourser les 22,5 milliards prêtés par le FMI et les prêts bilatéraux de la Suède et du Danemark en 2017. De plus, les améliorations successives de la note de l’Irlande par les agences de notation à partir de 2014 témoignent de l’assainissement budgétaire et de la reprise de confiance des investisseurs envers la dette irlandaise.
Le Portugal
La crise économique portugaise a débuté en 2009. Les principales causes de cette crise étaient :
- Des finances publiques qui dérapent avec un déficit public atteignant 9,9% du PIB en 2009 et 11,4% en 2010. Une dette publique qui passe de 87 à 100% du PIB en 2010, avec un niveau d'endettement public extérieur particulièrement élevé (dette négociable détenue à 85% par des investisseurs étrangers, CPIS).
- Contexte de crise politique avec la démission du Premier ministre Sócrates face à l’opposition parlementaire.
- L’atmosphère de tension sur les marchés avec la crise de la dette grecque.
- L'augmentation des taux d'emprunt suite aux dégradations successives de la note de la dette souveraine par les agences de notation.
- Et une croissance faible de 0,6% en moyenne entre 2001 et 2009 qui rend la hausse des dépenses insoutenable.
En réponse, le gouvernement en place a élaboré un plan d’austérité pour éviter la « thérapie de choc du FMI ». Cependant, les mesures d’austérité proposées par le gouvernement portugais en septembre 2010 ont été rejetées par le Parlement.
Ainsi, après la Grèce et l’Irlande, le Portugal se retrouve contraint en avril 2011 de faire appel au programme de soutien de la troïka : le plan d’aide prévoit un prêt de 78 milliards d'euros, répartis entre le FMI, le MESF (mécanisme européen de stabilité) et le FESF (fonds européen de stabilité) par groupes de 26 milliards, avec une maturité moyenne de 20 ans.
En contrepartie, le Portugal doit mettre en place un plan de réduction du déficit public avec des objectifs initialement fixés à 5,9% en 2011, 4,5% en 2012 et 3% en 2013.
Les mesures prises par le Portugal
Les deux tiers de la consolidation budgétaire ont été réalisé par des économies de dépenses (FMI Janvier 2013 – FMI évaluation post-programme).
Réduction des dépenses par la rationalisation de la fonction publique
- Les salaires des agents de la fonction publique ont été réduits de 5% en moyenne en termes nominaux. Mais la suppression du 13ème et 14ème mois pour les fonctionnaires (et les retraités dont les revenus sont supérieurs à 1 000 euros par mois) a entrainé une baisse mécanique des salaires supplémentaire de 15%. Et les bonus et les promotions ont été supprimés.
- Les effectifs ont aussi été réduits de 10% entre 2011 et 2014 par les vagues de licenciement au cours du programme, le gel des embauches et le remplacement d’un départ à la retraite sur deux.
- Passage de 35 à 40 heures de travail sans hausse de salaire.
Par ailleurs, le gouvernement a entrepris un programme de rationalisation des collectivités locales (baisse des dépenses de 22% entre 2010 et 2012) et de l’ensemble du secteur du transport public (réduction des dépenses de près de 50% entre 2010 et 2013), avec notamment la suppression de lignes de bus, la fermeture du métro plus tôt le soir, etc.
Dans le secteur de la santé, la réduction de 20% des dépenses entre 2009 et 2012 se traduit principalement par une hausse des frais à la charge des patients, des fermetures de services d’urgences, une hausse du prix de la consultation et une réduction (suppression ou fusion) d’hôpitaux.
Les dépenses publiques liées à l’éducation diminuent d’environ 25% entre 2010 et 2012. Les mesures inclues notamment l’augmentation du nombre d’élèves par classe, la baisse de 25% du nombre d’enseignants du primaire et la restriction de l’accès aux bourses étudiantes.
Les retraites
Les différentes réformes des retraites ont repoussé l'âge de départ de 60 à 65 ans, puis à 66 ans en 2014. Les pensions de retraites sont gelées à partir de 2010 et en 2011 le gouvernement instaure une cotisation spéciale sur les pensions supérieures à 1500 euros par mois. Par ailleurs, les pensions sont désormais calculées sur la base de la moyenne des salaires versés durant toute la carrière professionnelle et non plus les quinze dernières années, ce qui réduit mécaniquement le montant des pensions en moyenne.
Fiscalité
La fiscalité a contribué à la hause des recettes avec principalement l’augmentation de 2 points du taux de TVA, qui passe désormais à 23% et le passage de nombreux biens et services du taux réduit au taux normal. En 2013, le nombre de tranches d’imposition passe de 8 à 5 et le taux marginal est porté à 48% pour la dernière tranche.
En 2012 et 2013, le gouvernement introduit une taxe supplémentaire de 3,5% sur les pensions supérieures à 1500 euros par mois et une taxe de 0,3% sur les transactions boursières.
Réformes du marché du travail
Les réformes du marché du travail, visant à stimuler la croissance dans le cadre de l'accord avec la troïka, comprenaient notamment :
- L’allongement du temps de travail par l’augmentation directe de la durée de travail de 30 min par jour mais aussi par la suppression de jours de congé et de 4 jours fériés ;
- L’assouplissement des conditions de licenciement ainsi que la réduction et le plafonnement de l’indemnisation ;
- La limitation des allocations chômage ;
- La baisse de 20% du montant des allocations du RSI (revenu social d’insertion) ;
- La réduction par deux du paiement des heures supplémentaires ;
- Et la dérégulation des professions et secteurs protégés (professions libérales, taxis, services postaux, énergie et télécommunication).
Privatisations
Le plan de privatisation a permis au pays de réaliser 9 milliards d’euros de recettes, avec principalement :
- Les deux compagnies d’électricité et de gaz (EDP et REN) pour 3 milliards d’euros ;
- L’opérateur aéroportuaire portugais (ANA) pour 3 milliards d’euros ;
- L’opérateur postal (CTT) pour près d’un milliard d’euros ;
- La filiale d’assurance de la Caixa Geral pour environ 1,6 milliard d'euros.
Bilan de l’austérité
Les conséquences directes de l’application du programme du FMI et l’UE ont eu, comme pour la Grèce et l’Irlande, des conséquences directes sur le chômage et le niveau de vie de la population. En revanche, le déficit public a été plus que divisé par deux sur la durée du programme, passant de 11,4% à 5,1% du PIB en 2013. Et le déficit primaire est passé de plus de 7% du PIB en 2009 à 0,3% en 2013, ce qui témoigne de l’effort budgétaire considérable entrepris par le Portugal. La trajectoire de la dette a été inversée : après avoir augmenté de plus de 50 points entre 2008 et 2012, elle a diminué de 16 points entre 2014 et 2019.
De même, l’intervention a réussi à rassurer les investisseurs sur les marchés : les taux d’emprunt à 10 ans sont passés de 17,35% au plus haut en janvier 2012 à 1,6% début 2015.
Le Portugal est officiellement sorti du programme en Mai 2014 mais le pays reste sous la surveillance du FMI et de la Commission européenne (qui s’assurent que la trajectoire de discipline budgétaire soit bien respectée) jusqu’à ce que 75% du prêt ai été remboursé, estimé à 2035 par la Commission.
Et Chypre ? En 2013, Chypre a reçu un plan de sauvetage de la Commission Européenne de 10 milliards d’euros en échange d’une taxation des dépôts bancaires et d’épargne des entreprises et des ménages (résidents ou non) de 6,7% pour les dépôts inférieurs à 100 000 euros et de 9,9% au dessus. Cette mesure, contraire à la garantie des dépôts inférieurs à 100 000 euros dans la zone euro, devait rapporter 5,8 milliards d’euros de recettes. Mais la mesure a finalement été annulée quelques mois plus tard, suite à une ruée de la population vers les distributeurs et de violents mouvements de contestation. |
Le scénario à envisager en cas d’intervention du FMI en France
Avec le climat d’incertitude que connait actuellement la France, un décrochage sur les marchés peut survenir soudainement et de manière complètement imprévisible. Alors la France devrait faire face à des taux d’emprunt beaucoup plus élevés, faire intervenir le FMI et la Commission européenne si la situation venait à se dégrader davantage, et le payer ensuite sur 15 ans de remboursement d’intérêts et plusieurs années de politique d’austérité, de mise sous tutelle et de surveillance de l’état des finances publiques. Le retour sur terre pourrait être brutal.
A partir de ces trois exemples et de la trajectoire des finances publiques françaises, on peut estimer de quelle manière le FMI et l’UE interviendraient en cas d’explosion des taux d’emprunt et de perte de confiance des investisseurs.
Tout d’abord, on peut supposer, étant donné le niveau des prélèvements obligatoires (48% en 2022 soit le taux le plus élevé de l’Union Européenne), que la troïka se focaliserait davantage sur la réduction des dépenses que sur l’augmentation des recettes. Dans les trois pays qui ont subit la « cure d’austérité », les principaux leviers de baisse des dépenses étaient :
- Une baisse des effectifs et des salaires de la fonction publique, comme en dans les autres pays où la troïka est intervenue (baisse de l’emploi public de 30% en Grèce et baisses des salaires estimées entre 20 et 30% et baisse de 10% des effectifs et de 15% des salaires au Portugal et en Irlande avec une hausse du temps de travail). Les avantages sont aussi supprimés et les régimes sont ajustés sur le privé. Ce serait d’autant plus probable pour la France étant donné la proportion élevée des agents de la fonction publique dans l'emploi total en France (21,13% en 2021 qui place la France parmi les pays de l’OCDE avec la part la plus élevée).
- En termes de réformes structurelles de réduction des dépenses, on peut penser que la troïka préparerait un programme de regroupement de communes et collectivités comme cela a pu être fait en Grèce et en Irlande, où le nombre de collectivités locales a été divisé respectivement par trois et par quatre. Une réforme de grande ampleur permettrait une réduction drastique des coûts par la mutualisation des ressources et des services, la possibilité de réaliser des économies d’échelles, la rationalisation des dépenses, la simplification et la réduction des doublons administratifs.
- Une réforme des retraites, presque inévitable, serait un levier considérable pour réaliser des économies, et plus généralement une réforme de la protection sociale (dépenses de prestations sociales à 32,2% du PIB en 2022, un record en Europe).
- Des réformes de flexibilisation du marché du travail, de réduction du coût du travail et d’amélioration de la compétitivité de la France qui incluraient une baisse du Smic, comme en Grèce où il a été réduit de 22% en 2013. Pour rappel, la France est la 4ème pays de l’Union Européenne avec le coût horaire de la main d’œuvre le plus élevé fin 2023, derrière le Luxembourg, le Danemark, et la Belgique - Rexecode).
Le rapport annuel du FMI sur la France de mai 2024 (avant dissolution de l’Assemblée) préconise l’adoption de mesures ciblées pour réduire les dépenses courantes et les plus inefficientes. Plus précisément, le FMI recommande de mieux cibler les allocations chômage, de réformer les dépenses fiscales et de contenir l’augmentation de la masse salariale du secteur public en réduisant les échelons administratifs. |
- La vente d’actifs nationaux et des privatisations pour générer rapidement des liquidités afin de réduire directement le montant de la dette et financer le déficit. Le rapport de l’Agence des Participations de l’Etat (APE) de 2023 montre le poids des différentes participations de l’Etat dans les sociétés cotées et non-cotées. Elles pourraient donc être cédées dans le cadre d’un programme de redressement du FMI en cas d’intervention.
- Une hausse des taux de TVA. La TVA est la principale source de revenus de l'État en raison de sa large assiette fiscale, ce qui en fait un levier rapide et efficace pour générer des recettes : le taux normal a augmenté de 4 points en Grèce, de 2 points en Irlande et au Portugal et de nombreux bien et services sont passés du taux réduit au taux normal. En France, on estime qu’une hausse d’un point du taux normal de TVA (20%) permettrait de réaliser environ 8,2 milliards d’euros, 1,6 milliard pour le taux réduit de 10% et 2,3 milliards pour le taux réduit de 5,5% (Fipeco).
La question de la souveraineté
Avec la question de la brutalité des mesures de redressement imposées par la troïka, se pose aussi un problème de souveraineté. En Grèce, en Irlande et au Portugal, une partie du processus de mise en œuvre des mesures a été considéré comme une atteinte à la souveraineté nationale et au processus démocratique. La troïka a dicté des mesures drastiques associées à un coût social considérable, dans le but de réduire au plus vite le déficit. Ces pays ont été placés sous le supervision directe du FMI et de la Commission qui effectuaient des évaluations régulières pour mesurer l’avancée des efforts et identifier les aspects à corriger. Les gouvernements en place n’ont eu d’autres choix que d’appliquer ces recommandations (la plupart du temps par simples décrets ministériels), au risque de ne pas pouvoir obtenir le reste des fonds nécessaires pour financer le déficit et rétablir la stabilité.
C’est pourquoi, il serait plus judicieux de mettre en place les mesures de redressement des finances publiques avant la catastrophe, pour ne pas avoir à subir la situation dramatique de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal 10 ans auparavant. L’immunité sur la dette française pourrait ne pas durer éternellement. Et comme observé précédemment, en cas d'intervention, le FMI ne se souciera guère de vendre des actifs nationaux ou de couper dans les dépenses de santé et d’éducation. Dans ce type d'intervention, son objectif principal à court terme se limite à la réduction du déficit, tout en s’efforçant d’éviter une grave récession pour ne pas faire chuter les recettes de l’Etat.
La Commission européenne a engagé en juin dernier une Procédure de déficit excessif (PDE) pour la France selon les critères suivants :
Le déroulé de la procédure pour déficit excessif se fait en plusieurs étapes : Evaluation, dans un premier temps, par la Commission européenne des Etats-membres présentant un déficit excessif. Ensuite, le Conseil de l'UE procède au vote pour rendre la décision officielle. Ainsi, le pays concerné doit présenter une série de mesures pour réduire son déficit, dont l’application sera suivie par le Conseil, qui peut imposer des sanctions, allant jusqu’à 0,1% du PIB, si les efforts sont jugés insuffisants. Pour rappel, la première PDE de la France a démarré en 2003 et a été clôturée en 2007, après que la France ait ramené son déficit sous les 3%. Puis, une nouvelle procédure a été engagée entre 2009 (après la crise financière) et 2018. Et en 2020, la procédure avait été temporairement suspendue en raison de la crise du Covid. |