Imposition mondiale à 15% et répartition équitable des profits… ça va rapporter ou coûter à la France ?
La réunion du G7 de Londres a vu l’accord de principe des pays participants (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Japon, Etats-Unis, Canada) pour la mise en place d’un impôt sur les sociétés minimum mondial à hauteur de 15%, au moins. Presque immédiatement, Bruno Le Maire, ministre des Finances, a indiqué que la France essaierait « d’avoir un taux plus ambitieux ». Reste que pour que l’accord puisse avoir une portée véritablement « mondiale », il faudra d’abord réussir à s’entendre sur la question, au G20 de Venise du 10 juillet prochain, avec des partenaires aussi réfractaires que la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite ou la Turquie. Il faudra ensuite convaincre l’ensemble des 139 pays partenaires de l’initiative BEPS (Lutte contre l’érosion des bases fiscales) dans l’enceinte de l’OCDE, dont l’Irlande (taux effectif marginal à 8,6%) et le Luxembourg (taux effectif marginal à 7,7%).
En réalité, deux dispositifs bien distincts sont en négociation :
- Le pilier n°1 qui vise à une répartition plus « équitable » des profits entre les « pays de siège » (là où sont implantés les structures faîtières des multinationales) et les « pays de marchés » (là où se réalise le chiffre d’affaires des entreprises). Sont concernées les entreprises réalisant plus de 20 milliards (de dollars) de chiffre d’affaires et disposant d’une marge bénéficiaire de plus de 10%. Le projet prévoit que la quotité supérieure à 10% soit taxée dans la limite de 20% au profit des pays où ces groupes opèrent ;
- Le pilier n°2 qui prévoit la mise en place d’un impôt minimum sur les bénéfices des sociétés d’au moins 15%, appliqué pays par pays pour les entreprises réalisant plus de 750 millions (d’euros cette fois) de chiffres d’affaires.
Si l’idée est, en partie, louable au nom de la justice fiscale, est-elle efficace en pratique ?
Tout d’abord, on doit constater qu’en l’état actuel du dispositif, la France n’y sera pas nécessairement gagnante… ni ses entreprises. Première chose, à ce jour, l’impact des mesures n’a pas été évaluée pour notre pays. S’il y a bien eu des évaluations de l’OCDE en octobre 2020, elles ne sont pas détaillées publiquement pays par pays. L’observatoire fiscal européen a, néanmoins, estimé que le pilier 2, pour un taux de 15%, représenterait un « gain » pour la France de 4,7 milliards d’euros : une estimation qui semble surévaluée d’autant plus qu’elle ne prend pas en compte l’impact du pilier n°1 sur les multinationales. Le risque que prend la France, c’est de pousser à un impôt mondial afin de mieux taxer les GAFAM mais « en même temps » de desservir ses propres grandes entreprises domestiques qui réalisent un chiffre d’affaires conséquent à l’étranger, principalement le secteur du luxe et de la cosmétique. Sur ce point, rien n’est encore certain en termes de pertes ou de gains pour nos finances publiques.
En second lieu et pour les entreprises elles-mêmes, le taux de 15% pourrait ne pas être un taux marginal mais un taux effectif d’imposition et cela devrait conduire à une charge administrative supplémentaire. En effet, la notion de taux effectif n’est pas fiscale, ni comptable, mais statistique, ce qui veut dire que des retraitements supplémentaires devraient être réalisés dans la consolidation des comptes afin de pouvoir identifier la matière imposable. De plus, si c’est le taux effectif (le moins biaisant) qui est retenu, il est fort probable que de nombreuses grandes entreprises françaises soient déjà à des taux inférieurs à ceux de 15%, dans certains pays du moins. Pour rappel, le taux effectif marginal moyen pour le France est d’environ 16% selon l’OCDE. En conséquence, ces dernières verront bien leur imposition augmenter.
Si tout n’est pas encore clair, on peut néanmoins déjà affirmer que, pour les entreprises, nous allons droit vers une nouvelle usine à gaz avec des coûts de compliance élevés et une forte insécurité juridique. Le risque est grand de jouer les apprentis sorciers fiscaux sans prendre le temps de mener des études d’impact sérieuses et, pour la France, de se tirer une balle dans le pied. Cela ne serait pas la première fois.