Fusion IR/CSG : la sur-progressivité en marche ?
Malheureusement, le grand Débat et le mouvement des gilets jaunes sont l’occasion d’une sorte de concours Lépine fiscal qui voit ressurgir tous les fantasmes de la réforme de la fiscalité française. Une "réforme" avance de moins en moins masquée : la fusion de l’IR et de la CSG. Comprendre : la "progressivisation" de la CSG pour faire payer encore plus ceux qui payent déjà.
Cette approche avait été pour la première fois exposée dans l’ouvrage collectif « Pour une révolution fiscale » (Piketty et alii) en 2012, puis par l’ouvrage Pour un impôt juste prélevé à la source (Ayrault, Muet, 2015). Pour la Fondation iFRAP cette approche est particulièrement « funeste », notamment à cause de la concentration déjà très importante de l’impôt sur le revenu (payé, rappelons-le, par seulement 43,1% des foyers fiscaux en 2017, aboutissant à ce que 10% des foyers les plus riches s’acquittent de 70% de son montant) et de l’ensemble des impositions directes (ces mêmes 10% paient 52% de l’ensemble des impôts directs soit 130 milliards d’euros (sur les 250 identifiés) selon nos calculs).
Pour répondre au malaise fiscal des classes moyennes il n’existe donc aucun échappatoire crédible vers le haut de la distribution des revenus pour y accroître encore la pression fiscale (la fiscalité directe ayant par ailleurs fortement progressée entre 2010 et 2017 de 25,2%, et 38% de cette hausse a concerné le dernier décile soit +24,3 milliards d’euros.). Les seules solutions crédibles résident dans un travail sur un élargissement des assiettes et la baisse des dépenses publiques. Et pourtant les jalons d’une fusion IR/CSG sont désormais plantés : il faut pour clarifier la situation parfaitement les identifier :
Etape n°1 : l'instauration du prélèvement à la source prépare l'individualisation de l'impôt
La mise en place du PAS à compter du 1er janvier 2019 est l’étape essentielle pour les tenants de la « fusion » IR/CSG. En effet, la CSG est déjà collectée à la source principalement par les URSSAF mais également par la DGFiP s’agissant des contributions pesant sur les revenus du capital. En outre une « agence commune » est en cours de constitution afin de mutualiser les services de collecte[1].
Etape n°2 : dé-familialiser l’impôt sur le revenu, parallèlement à la déconjugalisation
Cette étape est un préalable indispensable afin d’aboutir à une individualisation complète de l’IR. En substance la « dé-familialisation » suppose tout d’abord de supprimer les crédits d’impôts adossés à l’IR ayant vocation à soutenir la politique familiale. On pense notamment aux crédits d’impôt relatifs à la garde d’enfant. Une première étape est envisagée à compter de 2020 avec la transformation des crédits d’impôt pour les aides à la personne en aide directe[2]. La dé-familialisation complète suppose de mettre fin au quotient familial par ailleurs plafonné, et ses parts converties en crédits d’impôt, ce qui suppose déjà une suppression préalable du quotient conjugal, afin de procéder au rattachement des enfants et des crédits disponibles à leur endroit à l’un des deux parents, au choix de ces derniers. L’idée étant que ce sont les enfants qui doivent apporter les avantages fiscaux et non la situation maritale des parents.
Etape n°3 : dé-conjugaliser l’impôt sur le revenu, la phase centrale
Une nouvelle charge dans ce sens vient d’être opérée par des chercheurs de l’OFCE. Dans un document de travail, Imposition des couples en France et statut marital : simulation de trois réformes du quotient conjugal (Allègre, Périvier, Pucci, 2019), les auteurs soulignent l’avantage fiscal pour les couples par rapport à des impositions séparées, et énumèrent les effets pervers de cette situation : la désincitation des femmes à travailler (mettent en exergue que les ¾ des femmes en couple gagnent moins que leur maris), des effets redistributifs discutables (10% des ménages les plus aisés concentrent 53% de la valeur du quotient conjugal) et bénéficient à 70% aux couples sans enfants. Avec l’idée que le quotient familial assure une redistribution des célibataires et concubins vers les couples mariés ou pacsés. Les auteurs proposent trois scenarii pour réformer le quotient conjugal :
- Une individualisation pure et simple avec un gain que les auteurs chiffrent à 7 milliards d’euros (soit un alourdissement de l’IR de +3,7 milliards d’euros pour les 10% les plus aisés) ;
- La technique de « Procuste » avec une réduction du nombre de fractiles de parts pour les couples mariés ou pacsés (1,5 au lieu de 2), avec option d’individualisation (4,8 milliards d’euros de gain fiscal) ;
- Le plafonnement du quotient conjugal au même niveau que le quotient familial (gain de 3 milliards d’euros[3]).
Au passage, on relèvera que dans ces trois scenarii il ne s’agit en aucun cas d’alléger la pression fiscale des couples assujettis à l’IR, célibataires et concubins, mais bien d’alourdir celle des autres. Par ailleurs nous avions dès 2013 tenté de mettre en exergue les éléments qui nous semblaient aller à l’encontre de cette approche[4]. Relevons par ailleurs qu’André Sterdyniak, par ailleurs directeur à l’OFCE, a toujours soutenu une position inverse[5]. Enfin, il faudrait s’interroger sur l’autonomie des contribuables au regard des capacités contributives. Aura-t-on une augmentation des prestations sociales individualisées au motif que pour préserver l’autonomie économique des individus au sein même du couple il ne faut pas tenir compte de la capacité contributive de l’autre conjoint ? Faire l’inverse aboutirait à ce que la réforme de l’individualisation se renie elle-même, puisqu’elle tiendrait compte indirectement des revenus de l’autre conjoint et de la stabilité juridique de la situation matrimoniale (mariage avec contrat, sans contrat, en concubinage, etc.). On l’aura compris ces développements militent en réalité pour l’établissement d’un plafonnement du quotient conjugal sur le modèle du quotient familial. Une façon de nier l’équité horizontale familiale (offrir un même revenu sous forme de fraction fiscale (quotient familial) ou de contributions sociales (allocations, droits connexes) par enfant, quel que soit le niveau de revenu).
Etape n°4 : La fusion de l’IR et de la CSG pour rendre la seconde progressive
C’est l’étape ultime. Dans un état antérieur du droit nous avons soutenu qu’elle présenterait des fragilités de constitutionnalité, notamment en raison de la vocation initiale de la CSG à ne financer que des dépenses sociales[6]. C’était sans compter avec la bascule progressive du modèle social français d’un système bismarckien vers un système bevridgien[7] (donc davantage par l’impôt). Avec l’attribution de points de CSG en direction de l’assurance chômage (qui cesse de devenir pleinement assurantielle via le recours aux cotisations), et en sens inverse des rapatriements de recettes fiscales en direction de l’Etat afin de limiter les excédents techniques des ASSO. Dans cette perspective la « fusion IR/CSG » semble de moins en moins improbable juridiquement.
Conclusion
La logique incrémentale qui veut que l’on parvienne de façon rampante à une fusion IR/CSG préalable à sa « progressivisation » est en marche. Le PAS en constitue la réforme inaugurale, sans laquelle aucun rapprochement n’était possible. Lui fait suite la guerre de tranchée sur la déconjugalisation de l’IR et sa défamilialisation. Une approche qui désolidarise financièrement les familles en attribuant les parts/enfants à l’un ou l’autre membre du couple en fonction de leurs intérêts financiers individuels et collectifs bien compris (les partisans de la déconjugalisation sont d’ailleurs également ceux qui militent pour que chaque enfant, quel qu’en soit le nombre, compte pour ½ part (alors que les investissements à partir du 3ème enfant sont plus importants). Exit donc la solidarité interne au sein de la famille. Exit aussi le « gain fiscal » attribué à sa solidité juridique du mariage ou du Pacs. Par ailleurs cette approche est potentiellement inflationniste s’agissant des prestations sociales notamment lorsque l’un des conjoints a des revenus très faibles ou se retrouve sans emploi. Un non-recours caché risque de se faire jour dont les montants seront sans doute significatifs et pourraient même excéder le gain fiscal de la réforme. Il faudra alors bien en soupeser les conséquences (y compris démographiques) face au gain que représenterait également la mise en extinction programmée de l’universalité des prestations familiales. En réalité la logique "libertaire" de l'individualisation conduit à un dispositif pervers. En voulant émanciper fiscalement les individus des liens du couple et de la famille, ils préparent l'explosion des minima sociaux. En conséquence, tout porte à croire que les pouvoirs publics voudront conserver un droit de regard sur les familles afin de limiter le coût financier du dispositif, mais du même coup l'individualisation ne sera que "fiscale" (et non sociale), reniant les principes exposés plus hauts. Enfin, on risque de basculer sur un phénomène bien connu Outre-Atlantique : l'endogamie des couples en fonction du revenu (voir l'étude de France Stratégie sur la question). Est-ce à la fiscalité d'en décider ?
[1] Voir sur ce sujet notre analyse, http://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/budget-2019-la-bonne-idee-de-lagence-centrale-de-recouvrement, et qui sait peut-être un jour une mutualisation des circuits de collectes eux-mêmes, via la DSN (lorsque les tiers collecteurs en phase transitoires PASRAU basculeront définitivement dans la DSN).
[2] Consulter notre note de janvier 2019, http://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/transformation-du-credit-dimpot-des-services-la-personne-en-aide-directe-la
[3] Cette idée revient de loin, puisque l’un des auteurs, Guillaume Allègre, la soutenait déjà en 2013 dans les colonnes du journal La Tribune, « Le quotient conjugal aussi aurait dû être plafonné », 03/06/2013. https://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20130603trib000768126/le-quotient-conjugal-aussi-aurait-du-etre-plafonne.html
[4] http://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/la-deconjugalisation-de-limpot-sur-le-revenu-une-option-dangereuse
[5] https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2014-2-page-251.htm
[6] http://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/reforme-ayrault-de-la-csg-inconstitutionnelle
[7] http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_hcfips_-_etat_des_lieux_et_enjeux_de_reforme_pour_le_financement_de_la_protection_sociale.pdf