Actualité

Fraude aux cotisations sociales : une estimation à 10 milliards d’euros

Une fraude qui génère aussi 2,5 milliards d'aides indues

Le Haut Conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) est non seulement mandaté par les pouvoirs publics pour analyser les finances de la protection sociale mais également le travail dissimulé en sa qualité d’Observatoire en vertu d’une recommandation du CNIS (Conseil national de l’information statistique) de 2017. Les derniers chiffres estimés font état d’un manque à gagner en matière de cotisations/contributions s’agissant de la fraude relative au travail dissimulé mais aussi des omissions intentionnelles (fraude) et des erreurs déclaratives résultant des contrôles comptables d’assiette au sein du secteur privé entre 8,9 et 11,3 milliards d’euros. Ce qui témoigne de l’importance et de la gravité du volume de la « fraude » aux cotisations/contributions sociales. Par ailleurs des effets induits sur les prestations existent. Le chiffrage officiel actuel les estime (hypothèse ultra-basse) de l’ordre de 440 millions d’euros au maximum. Nous estimons que si cette fraude induite ne touchait massivement que le 1er décile, elle pourrait s’élever à près de 2,5 milliards d’euros.

Un manque à gagner conséquent entre 8,9 et 11,3 milliards d’euros en 2021

Ce chiffre est documenté via les contrôles aléatoires relatifs à la LCTI (lutte contre le travail illégal), mais aussi via le contrôle comptable d’assiette (CCA) qui relève d’un contrôle planifié et contradictoire de la situation de l’entreprise par les URSSAF (ou la CCMSA) et auxquels on ajoute également l’impact des contrôles réalisés par l’UNEDIC (allocations chômage). Les chiffres sont les suivants :

 

2021

 

Minima

Maximum

Travail dissimulé

3,9

5,0

Hors travail dissimulé

1,2

1,4

dont redressements

1,6

1,9

dont restitutions

-0,5

-0,2

Total- URSSAF CN – hors SPNA (sect.privé.agricole)

5,1

6,4

UNEDIC

0,5

0,7

Agirc-Arrco

1,7

2,1

Secteur agricole (SA)

0,5

0,5

Travailleurs indépendants non micro-entrepreneurs

0,1

0,1

Micro-entrepreneurs

1,0

1,5

dont utilisateurs de plateformes

0,1

0,1

Total - secteur privé

8,9

11,3

Sources : HCFiPS ainsi que CNIS[1].

Le travail dissimulé en tant que tel représenterait entre 1,7% et 2,1% des cotisations déclarées et éludées, soit entre 3,9 milliards d’euros et 5 milliards d’euros. S’y ajouterait la fraude et les erreurs détectées par l’intermédiaire du contrôle d’assiette, soit un solde (entre trop perçu et trop versé) compris entre 1,6 et 1,9 milliard d’euros. Au total le contrôle assuré sur le champ URSSAF pour les entreprises (hors indépendants et micro-entrepreneurs) identifierait entre 5,1 et 6,4 milliards de fraudes/erreurs aux contributions en 2021.

On doit y ajouter le coût des fraudes aux allocations chômage (UNEDIC) pour un montant compris entre 0,5 et 0,7 milliard d’euros auquel s’ajouterait la fraude aux cotisations des organismes complémentaires (Agirc-Arrco), soit entre 1,7 et 2,1 milliards d’euros.

Nous avons par ailleurs agrégé également les retours de la CCMSA (Caisse centrale de la MSA) pour le secteur agricole (mais qui exclut pour le moment les travailleurs agricoles), représentant une estimation de fraude de 0,5 milliard d’euros, puis les dernières estimations disponibles concernant les travailleurs indépendants non micro-entrepreneurs (entre 75 millions et 105 millions d’euros), ainsi que les micro-entrepreneurs dont la part des cotisations éludées représenteraient entre 17% et 26% en 2020 et dont l’extrapolation en 2021 atteindrait entre 1 et 1,5 milliard d’euros.

Les auto-entrepreneurs utilisateurs de plateformes 66% de sous/non déclarations

L’étude 2022 porte spécifiquement sur la fraude des micro-entrepreneurs utilisateurs de plateforme, qui représenterait grâce au croisement des données fournies par les plateformes à la DGFiP (le nom, prénom, date de naissance, adresse mail[2]) et celles déclarées aux URSSAF, un manque à percevoir de 144,2 millions d’euros. Le volume de fraude en lui-même n’est pas massif mais ce qui frappe c’est surtout la part des AE (auto-entrepreneurs) dont le chiffre d’affaires notifié aux URSSAF est inférieur aux montants déclarés aux plateformes : 66% toutes activités confondues dont 89,6% pour les VTC, 72,6% dans le domaine de la livraison, 50,2% dans le commerce.

Une fraude aux cotisations qui induit à son tour une fraude aux prestations

L’intérêt de l’approche développée par le CNIS est qu’elle identifie un lien d’induction entre la fraude aux cotisations et la fraude aux prestations. En effet les personnes qui exercent une activité dissimulée (tout ou partie) peuvent en même temps bénéficier de la générosité nationale qu’il s’agisse des droits au chômage (non évalué encore par Pôle Emploi et l’UNEDIC) ou du bénéfice du RSA (ce qui concerne alors également les collectivités territoriales). Ainsi que l’évoque le CNIS dans sa note : « Ce coût pour les finances publiques est imputable principalement à un trop-versé de RSA. (…) les principaux canaux de transmission entre le travail dissimulé et les finances publiques, hors cotisations et contributions sociales et hors chômage concernent le budget de l’Etat (prime d’activité, aides au logement, impôt sur le revenu) ou des collectivités territoriales (RSA). »

Afin de réaliser ce chiffrage, deux scénarios polaires ont été retenus, calibrés sur un volume total de masse salariale dissimulée de 5 milliards d’euros (soit l’évaluation maximale du tableau précédent) :

  • Scénario n°1 : un scénario où l’ensemble du travail dissimulé correspondrait à de la dissimulation totale ;
  • Scénario n°2 : un scénario où l’ensemble du travail dissimulé correspondrait à de la dissimulation partielle ;

Les résultats sont alors les suivants :

 

2021

 

Scénario 1: dissimulation totale

Scénario 2: dissimulation partielle

 

Minima

Maxima

Minima

Maxima

Trop versé brut de prestations sociales

0,37

0,72

0,37

0,72

Economies sur le versement de la PA

-0,36

-0,51

-0,15

-0,28

Trop versé net

0,01

0,21

0,22

0,44

Sources : CNIS 2022 et calculs Fondation iFRAP décembre 2022.

Dans le scénario n°1 « la sous-déclaration des revenus d’activité engendré un trop versé des prestations sociales (hors allocations chômage) qui varie entre 10 millions et 210 millions d’euros par an », ce coût étant amoindrit par des économies sur le versement de la prime d’activité (entre 360 et 560 millions d’euros). Au contraire dans le second scénario l’impact du versement de la PA serait plus modéré, aboutissant à des dépenses supplémentaires comprises entre 220 et 440 millions d’euros.

Notons toutefois que ces estimations n’intègrent pas la fraude éventuelle aux prestations de chômage, ce qui pourrait là encore faire substantiellement augmenter le coût net estimé. D’une façon générale il s’agit de simples mesures exploratoires… il faut donc s’attendre dans les années à venir à une explosion de cette dernière catégorie induite… en effet, la dernière étude sur le sujet de l’INSEE[3], montre qu’en gros au 1er décile de population, les prestations monétaires s’équilibrent avec les prélèvements (soit 33 milliards d’euros dans les deux sens). Si l’on soustrait les prestations retraites, le D1 dispose de 17% de l’ensemble des autres transferts monétaires, mais de seulement 3% des cotisations sociales. Si le travail dissimulé se focalise sur les prestations de ces profils particulièrement pauvres, et que la fraude aux cotisations représente jusqu’à 2,1% de l’ensemble des sommes cotisées, les effets induits sur les prestations offertes devraient être beaucoup plus massifs… sans doute dans un rapport de 1 à 5,7… ce qui pourrait aboutir à un impact budgétaire de l’ordre de 2,5 milliards d’euros en lieu et place des 440 millions maximum jusqu’ici identifiés.  

L’avenir fructueux du recoupement des données entre la DGFiP et les URSSAF

L’intérêt de l’expérience réalisée s’agissant des auto-entrepreneurs (AE) utilisateurs de plateforme, montre tout le fruit qu’il peut être tiré d’un croisement des données collectées par les DGFiP (de par la loi via les plateformes en vertu de l’article 242 bis du CGI et de l’article 10 de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude) et les URSSAF (en vertu de l’article L.114-19-1 du CSS[4]). Pour cela il faut sans doute encore avancer dans le rapprochement du recouvrement entre les URSSAF et la DGFiP, ce qui constitue tout le projet de l’initiative France Recouvrement[5][6] (si on excepte l’intégration très sensible des cotisations retraites[7]).

Cela montre en tout cas tout le potentiel de recoupement/rapprochement des données en matière de lutte contre la fraude, entre les deux versants des finances publiques : les finances de l’Etat et les finances sociales. Mais pour aller plus loin il importe désormais :

  • De procéder à une évaluation de la fraude aux cotisations à 360° (or l’ensemble des secteurs professionnels et des risques ne sont pas encore couverts et vont faire l’objet de nouvelles enquêtes en 2023 (régimes des salariés agricoles pour la CCMSA, les micro-entrepreneurs sur les secteurs comme : le commerce sur les marchés, la construction, la production de films, les transports, la sécurité privée, le nettoyage des bâtiments, les agences immobilières, les établissements scolaires).
  • Par ailleurs les liens entre la fraude aux cotisations et les surcoûts des prestations seront étendus à la complémentaire santé solidaire, aux allocations chômage, « estimation qui nécessitera probablement de s’appuyer sur un grand nombre de conventions (durée des contrats, rechargement des droits, alternances des périodes travaillées et sans activité…) »
  • De permettre une convergence accrue entre le revenu fiscal et la mise en place d’un revenu « social » de référence à rebours des conclusions du rapport du Conseil d’Etat relatif aux conditions de ressources dans les politiques sociales[8].

Il est en effet évident que si l’on veut lutter efficacement contre le phénomène de la fraude sociale (aux cotisations/contributions comme aux prestations), il importe d’aboutir à une fiscalisation au 1er euro des revenus quelles que soient leurs origines : du travail, de remplacement comme issus de la solidarité (y compris droits connexes, dont les montants devraient être notifiés par les organismes verseurs directement à la DGFiP et aux organismes sociaux[9]).


[1] Voir en particulier, HCFiPS, Observatoire du travail dissimulé, réunion du 10/11/2022, https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/HCFIPS/2022/2022-11-10%20HCFIPS%20-%20Travail%20dissimul%c3%a9.pdf, ainsi que CNIS, Les avancées dans la mesure statistique du travail dissimulé, cinq ans après le rapport du groupe de travail CNIS, Chroniques n°29, juin 2022 https://www.cnis.fr/publications/liste-des-chroniques-du-cnis/

[2] Mais pas via un SIREN puisque l’activité n’en suppose pas l’obtention, ni via le NIR qui ne fait « pas partie des informations communiquées. »

[3] https://www.irdeme.org/Inegalites-des-revenus-selon-l-INSEE-tout-est-a-revoir ainsi que https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371275, voir également https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/le-cumul-des-aides-nationales-et-locales-peut-depasser-le-smic

[4] Dans le sens DGFiP vers URSSAF Caisse nationale.

[5] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/france-recouvrement-quelles-economies-la-cle

[6] https://www.ifrap.org/retraite/transfert-de-la-collecte-des-cotisations-retraites-aux-urssaf-et-si-commencait-par-la

[7] Notamment à cause des difficultés de travailler à la maille individuelle. Voir supra.

[8] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/les-120-milliards-daides-sociales-doivent-etre-soumis-limpot

[9] Ce qui pourrait permettre d’éliminer les effets indus d’une accumulation des droits connexes entre l’action sociale des organismes sociaux eux-mêmes (CAF, CCAS/CIAS, départements etc.).