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Collectivités territoriales : quelle stratégie pour faire baisser leurs déficits ?

Les comptes publics prévisionnels sont formels, les collectivités locales pourraient afficher un déficit pour 2024 estimé à -16 milliards d’euros en lieu et place d’une estimation initiale de -1,8 milliards d’euros. Cet écart de 14,2 milliards d’euros en comptabilité nationale. En ce sens, les collectivités territoriales participent bien au creusement des déficits publics. D’ailleurs cette mauvaise performance se reporterait sur l’ensemble des APUL (administrations publiques locales) dont l’agrégat afficherait un déficit de -0,7 point de PIB en 2024, dispositif qui en dépit des mesures de régulations programmées (voir infra) devrait rester stable et aussi dégradé en 2025 d’après les derniers documents budgétaires associés au PLF 2025.

APUL en % du PIB

2023

2024

2025

Recettes

10,8

10,8

10,7

Dépenses

11,2

11,5

11,4

Solde

-0,4

-0,7

-0,7

Source : RESF 2025 et calculs de la Fondation iFRAP octobre 2024.

APUL Md€

2023

2024

2025

Variation
Recettes

305,7

315,6

322,0

6,4

Dépenses

315,6

336,0

343,0

7,0

Solde*

-9,9

-20,4

-21,0

-0,6

Source : RESF 2025 et calculs de la Fondation iFRAP octobre 2024.* estimatif pour 2024 et 2025

Cette contribution des collectivités territoriales à la détérioration du solde public est également identifiée s’agissant de la décomposition de la variation du solde public par mesures entre 2023 et 2024, puis entre 2024 et 2025.

MesuresMontantsMesuresMontants
Solde structurel public 2023

-5,1

Solde structurel public 2024

-5,7

Dynamisme des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales

-0,1

Croissance des investissements des collectivités locales

-0,1

Dynamisme des dépenses d'investissement des collectivités territoriales

-0,2

Dynamisme spontané des pensions de retraite

-0,1

Revalorisation des prestations vieillesse

-0,4

Moindre dynamisme des P.O. à la croissance

-0,2

Moindre dynamisme des P.O. à la croissance

-0,5

Hausse de la charge de la dette

-0,2

Hausse de la charge de la dette

-0,2

Dynamique spontanée des dépenses de l'Etat et de l'ONDAM

-0,3

Autres mesures

-0,1

Autres dispositions

-0,5

Hausse des dépenses de PIA

-0,1

Extension des boucliers énergétiques

0,2

Sortie progressive des mesures exceptionnelles de protection liées aux prix

0,7

Economies en dépenses

1,1

Annulation de crédits par décret des ministères (10 Md€)

0,3

Recettes supplémentaires

0,8

Solde structurel public 2024

5,7

Solde structurel public  2025

5,0

Source : PLF 2025, Dossier de Presse, et calculs Fondation iFRAP octobre 2024.

On relèvera en particulier que le dynamisme des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales contribuerait à la dégradation du solde public de 0,1 point, puis de leurs dépenses d’investissements de 0,2 point entre 2023 et 2024. En 2025 cette contribution au déficit se ralentirait pour ne représenter que 0,1 point de PIB porté uniquement par les dépenses réelles d’investissement en dépenses. En raison des mesures d’ajustement proposées par l’Exécutif (voir infra). 

Le bilan des pactes de Cahors effectué par la Cour des comptes

La Cour des comptes a effectué un premier bilan des Pactes de Cahors suspendus pendant la crise dans le cadre de la parution en octobre du second volume de son rapport relatif aux collectivités territoriales en 2024[1]. Et elle pointe le bilan en demi-teinte du dispositif de 1ère génération : en effet d’après elle ces derniers ont constitués « une incitation à la modération des dépenses des collectivités qui a produit des résultats partiels » En particulier, si « le dispositif de contractualisation entre l’Etat et les collectivités a contribué à la modération des dépenses réelles de fonctionnement en 2018 et 2019 » et que « sur l’ensemble de la période 2018-2020, l’objectif d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement a été atteint pour l’ensemble des collectivités (sous contrat et hors contrat) […] la Cour (…) [a mis en avant] les marges de progrès du dispositif pris en compte (qui excluait les budgets annexes). » Par ailleurs la Cour souligne que « les contrats de Cahors ont eu un impact modéré sur l’investissement public local, comme en témoigne la nette reprise des dépenses d’investissement des collectivités en 2018 (+5,2%) et en 2019 (+13,7%) » tandis que l’objectif de réduction annuelle du besoin de financement à hauteur de 2,6 Md€ n’a été atteint sur aucuns des années concernées.

Ainsi « en exerçant une contrainte sur l’évolution des dépenses de fonctionnement, le dispositif des contrats de Cahors a favorisé leur modération dans les arbitrages internes aux collectivités. Néanmoins, il n’a pas démontré son efficacité pour l’amélioration du solde et la réduction de l’endettement des collectivités. » Il n’a en effet pas été capable de modérer les dépenses d’investissement des collectivités (situées hors champ du dispositif de contractualisation) qui ont d’ailleurs eu d’autant plus recours à l’endettement que leur trésorerie s’améliorait du fait même de la modération des dépenses de fonctionnement. 

Pourquoi les collectivités peuvent elles être déficitaires en comptabilité nationale ?

C’est un mantra des élus locaux et de leurs associations représentatives : les budgets de fonctionnement des collectivités doivent être votés à l’équilibre. Et pourtant en comptabilité nationale apparaît des déficits. Comment cela est-il possible : tout simplement parce que si la section de fonctionnement des collectivités doit être présentée à l’équilibre et même en excédent pour financer la section d’investissement, celle-ci en revanche peut se financer par des ressources excédentaires de la section de fonctionnement mais aussi par l’emprunt. Or en comptabilité nationale, ce qui compte c’est le solde des deux sections exprimé en comptabilité nationale, et s’il y a financement par endettement sans que la trésorerie soit suffisante dans les comptes, le solde comptable apparaît en déficit. Voir sur ce sujet notre note spécifique dédiée[2].

Il semble donc aujourd’hui nécessaire de changer d’approche et la Cour comme les pouvoirs publics estiment qu’une modération de la ressource, devrait permettre d’avoir des effets plus importants et plus durables qu’une approche par la régulation de la seule dépense.

Les propositions faites par la Cour des comptes

Ainsi que le relève avec pertinence la Cour, le dérapage des finances publiques locales survenu à compter de 2023 (passage d’un solde de -1,1 milliards d’euros des APUL en 2022 à -9,9 milliards d’euros un an plus tard) provient quasi-exclusivement de l’absence de contractualisation faisant suite aux Pactes de Cahors et suspendus pendant la crise Covid dès 2020. Ce risque qui avait bien été perçu par les pouvoirs publics dès 2022 s’était traduit dans le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 déposé le 26 septembre 2022 à l’Assemblée nationale. Il constituait une version renforcée et améliorée des contrats de Cahors : assujettissement des collectivités dès des DRF (dépenses réelles de fonctionnement) de 40 M€ au lieu de 60 M€ (permettant d’impliquer 488 collectivités contre 321 collectivités pour les anciens contrats, soit +52%). Par ailleurs les contrats de nouvelle génération étaient personnalisés en ce sens que les DRF de chaque signataire aurait été appréciées par rapport à une cible par catégorie de collectivité. Les sanctions du volet correctif prenaient la forme d’une exclusion des dotations de l’Etat à l’investissement dès la 1ère année de dépassement (dans l’attente d’un accord avec l’Etat de retour à la trajectoire d’évolution des DRF conforme à sa strate). La loi de programmation 2023-2027 rejetée à l’A.N. n’a cependant été adoptée au Sénat que contre l’exclusion de cette disposition spécifique. L’absence d’encadrement des dépenses des collectivités a ensuite produit tous les effets susmentionnés sur les finances publiques justifiant l’appréciation du HCFP dans on avis publié un an plus tard sur le Programme de stabilité 2024-2027 : « en l’absence de mécanisme contraignant, le ralentissement des dépenses de fonctionnement est loin d’être acquis. » Et ne le sera évidemment pas.

Tirant les conclusions de cet échec, la Cour propose de procéder par une autre voie : ralentir l’évolution des recettes des collectivités territoriales. Les propositions sont multiples :

  • Supprimer l’indexation automatique des valeurs locatives cadastrales qui a prévalu depuis 2018 en utilisant un coefficient forfaitaire tenant compte de l’IPCH publié par l’INSEE au mois de novembre précédant la taxation. Cette indexation automatique « favoriser la hausse des recettes immédiatement employables par les collectivités. » Or comme le relevait dernièrement un récent rapport[3] « les recettes sont le principal facteur explicatif des dépenses des communes et des intercommunalités, c’est-à-dire que plus une collectivité dispose de moyens financiers, plus elle a tendance à les dépenser. »
  • Réduire le FCTVA : le FCTVA stimule en effet l’investissement local de manière indiscriminé et notamment des investissements « bruns » qui ne sont pas écologiquement prioritaires. Par ailleurs le FCTVA ne tient pas compte de la richesse relative des collectivités et ne suit pas les besoins de financement des collectivités (puisqu’il est versé à raison des dépenses effectuées en n-2). Le taux de retour du FCTVA (16,666%[4]) pourrait être minoré pour les investissements non verts. Par ailleurs les dotations à l’investissement se cumulent avec le FCTVA. Par ailleurs les dotations et subvention à l’investissement ne sont pas pleinement efficaces : entre 20% et 30% ne se répercuteraient pas dans les dépenses d’investissement mais contribueraient à réduire l’autofinancement ou l’endettement des collectivités. Par ailleurs l’investissement induit des charges de fonctionnement externes et de personnel conséquents[5].
  • Elargir le champ de la norme d’évolution des transferts de l’Etat : les transferts de l’Etat représentent aujourd’hui notamment à la suite de la suppression de certains impôts locaux (ou fractions) près de 53,5% des recettes des collectivités territoriales (en 2023). Une modération de leur évolution pourrait également constituer un frein efficace des dépenses locales. A cette fin la fixation d’un objectif pluriannuel d’évolution des transferts financiers de l’Etat aux collectivités locales couvrant la totalité de leurs montants permettrait de s’assurer du ralentissement des dépenses locales souhaitées :
    • en majorant les réductions des « variables d’ajustement » ;
    • en procédant à l’écrêtement d’une partie de la dynamique de la fiscalité transférée notamment via la TVA et la TSCA (dont le produit écrêté reviendrait alors à l’Etat et contribuerait à due concurrence à la baisse de son propre déficit) ;
  • Consacrer la dynamique de la fiscalité transférée au renforcement des dispositifs collectifs de résilience : Cette approche alternative ou cumulative aux mécanismes d’écrêtement de la fiscalité transférée, affecter une partie du produit de la dynamique des recettes fiscales à des fonds de résilience financière par catégorie de collectivité. 

Les arbitrages du Gouvernement dans le cadre du PLF 2025 des économies de 6,5 milliards d’euros

L’exécutif a largement puisé dans la panoplie des mesures proposées par la Cour des comptes pour dégager des mesures d’économies indirectes en 2025 au niveau des collectivités territoriales, permettant ainsi d’améliorer leur situation financière globale. L’effort global serait de l’ordre de 5 milliards d’euros :

  • Tout d’abord la mise en place d’un mécanisme d’auto-assurance ou de « précaution », permettant de générer une économie indirecte de 2,8 milliards d’euros. Situé à l’article 64 du PLF, il s’agirait d’effectuer un prélèvement dans la limite de 2% des RRF sur le montant des impositions versées aux collectivités dont les DRF des BP (budgets principaux) en 2023 étaient supérieure à 40 millions d’euros, ce qui concernerait environ 450 collectivités, eu égard à l’exclusion de celles les plus en difficultés (dont une trentaine de départements). Le prélèvement de 2% maximum serait mis en place uniquement lorsque serait constaté le dépassement d’un solde de référence[6]. Ce produit abondera un fonds dont la provision sera ensuite ventilée en 2026 dans les systèmes de péréquation horizontaux existants par niveaux de collectivités (FPIC[7] pour le bloc communal, FNP DMTO[8] pour les départements et FSR[9] pour les régions). 
  • Ensuite, le gel de l’évolution annuelle des recettes de TVA, ce qui permettrait à l’Etat de récupérer pour 1,2 milliard d’euros de dynamique de recettes[10] (et symétriquement contraindre les dépenses locales d’un même montant pour les collectivités cibles) ;
  • Un ajustement à la baisse de 2 points du FCTVA (fonds de compensation de la TVA) qui passerait ainsi de 16,6% à 14,85% à compter de 2025, avec exclusion de l’assiette de toutes dépenses de fonctionnement. Des économies sont attendues à hauteur de 0,8 milliard d’euros. 
  • Ponction de 1,5 milliard d’euros réalisée sur le fonds vert.

Ces dispositions sont par ailleurs accompagnées de mesures complémentaires telles que : le gel de la DGF et sollicitation des collectivités territoriales éligibles au titre des variables d’ajustement à hauteur de 487 millions d’euros

En sens contraire cependant, la DSU et la DSR (composantes de péréquation internes à la DGF, dotations de solidarités urbaine et rurale) sont revalorisées en 2025 pour respectivement 290 millions et de 150 millions d’euros, tandis que la suppression de la CVAE est suspendue et reportée de 3 ans, soit un effet de maintien de sa recette (hors effet base) 1,1 milliard d’euros. 

Conclusion

Le Gouvernement Barnier a su capitaliser sur l’échec de la 2ème vague de contractualisation avec les collectivités pour s’assurer d’une participation plus active des collectivités territoriales au redressement des finances publiques. Cependant, le dispositif innovant imaginé, nous semble perfectible sur plusieurs points :

  • Tout d’abord les pouvoirs publics n’ont pas fait droit à un correctif au coefficient de revalorisation des bases des impôts fonciers. Or comme a pu encore très récemment le montrer le rapport de l’Observatoire des taxes foncières de l’UNPI[11], il existe souvent un écart significatif entre l’IPCH de novembre et l’IPC de l’année. En conséquence, le fonds de résilience mis en place pourrait également comporter un compartiment individuel de lissage permettant de corriger le coefficient retenu ex post. Le manque à gagner lorsqu’il serait constaté en cas de révision à la baisse de l’indexation pourrait être compensé aux communes participantes via la partie individualisée de ce fonds. 
  • Ensuite, un discours souvent entendu est celui de la non prise en compte dans ces mécanismes de correction de la trajectoire propre de chaque collectivité et du caractère « vertueux » de sa gestion[12]. Bref de parvenir à « individualiser » la logique du rabot. Une telle approche ne serait possible que si l’on définissait une comptabilité analytique locale harmonisée et obligatoire, permettant en vraie comparabilité des politiques publiques. Une telle démarche a été réalisée par l’Italie avec la diffusion d’une approche dite des « coûts standards » (fabbisogni standard), débouchant sur la mise en place du portail Opencivitas.it. Cette démarche pourtant étudiée par le Sénat en France, n’a cependant pas encore été développée dans notre pays à l’heure actuelle. Or il n’y aura jamais d’individualisation sans comparabilité, une démarche qui supposerait de dépasser le dogme de la « neutralité du mode de gestion » cher à certains élus locaux.
  • Pour y parvenir il faudrait que les collectivités puissent déjà s’inscrire dans une démarche de certification obligatoire de leurs comptes – démarche qui au-delà de l’expérimentation récente réalisée par la Cour des comptes, est pour l’instant restée sans lendemain.
  • La mise sous tension des finances locales, ne constitue pas un tremplin pour favoriser les fusions de communes et leur rapprochement avec les EPCI existant via le dispositif de communes-communautés. Or permettre aux communes concernées de pouvoir déroger à toute ou partie du dispositif contre l’engagement de s’investir dans une telle démarche aurait pu constituer un vecteur de simplification du mille-feuille local appréciable. Il n’a pas encore été activé. 
  • Enfin on peut analyser la mise en place du fonds de résilience comme une montée en puissance de la péréquation horizontale, autorisant une rétractation progressive de la péréquation verticale. Il ne s’agit donc pas véritable d’un fonds local de mise en réserve pour faire face à la conjoncture…  Or c’est de cela qu’un vrai fonds de résilience aurait besoin. Peut-être la mise en place d’un second compartiment sera-t-elle mise en place en ce sens en 2026 ?

[1] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-10/20241002-finances-publiques-locales-fascicule-2.pdf#page=55 

[2] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/stock-malgre-une-obligation-de-voter-des-budgets-lequilibre-les-collectivites-sendettent-bien

[3] Voir Maire Info, 16 octobre 2024, Finances locales : la foire aux mauvaises idées est ouvertehttps://www.maire-info.com/finances-locales/finances-locales-la-foire-aux-mauvaises-idees-est-ouverte-article-29014 voir également https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/finances-publiques-la-fin-des-illusions.pdf 

[4] Pour un retour de taux de 20%/120% (prix TTC). 

[5] La revue de dépense de l’IGF relative aux investissements locaux de mai 2024 annexe I, p.134 et suivantes, isole des charges externes induites en 2020 de 14,4 milliards d’euros et de 16,4 milliards en 2022 auxquelles sont associés des charges de personnel de 18,1 milliards d’euros en 2020, voir https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/Rapports%20de%20mission/2024/

L'investissement%20des%20collectivit%c3%a9s%20territoriales_Version%20Web.pdf

[6] Voir par exemple, Maire Info, 11/10/2025, Collectivités : ce que contient le projet de budget pour 2025

[7] FPIC : fonds de péréquation des ressources communales et intercommunales.

[8] FNP DMTO : fonds national de péréquation des DMTO (droits de mutation à titre onéreux) ;

[9] FSR : Fonds de solidarité régionale ;

[10] Pour mémoire les collectivités territoriales en 2023 ont encaissé pour 52,1 milliards d’euros soit une augmentation de 1,9% sur un an à périmètre constant. 

[11] UNPI, Observatoire des taxes foncières sur les propriétés bâties, octobre 2024, https://unpi.org/files/Rapport_2024_Observatoire_national_des_taxes_foncieres.pdf

[12] https://www.maire-info.com/finances-locales/finances-locales-la-foire-aux-mauvaises-idees-est-ouverte-article-29014