Actualité

Aides aux entreprises : 81,4% des subventions d’Etat vont aux entreprises publiques

Haro sur les aides aux entreprises ! Il s’agirait d’un gisement intéressant pour réaliser des économies et des hausses d’impôts afin d’ajuster nos comptes publics. Pour en avoir le cœur net, une Revue de dépenses a été diligentée sur ce point par le Gouvernement d’Elisabeth Borne et ses conclusions rendues en mars 2024. Conclusions de l’IGF (inspection générale des finances) missionnée sur ce point, sur les 64 milliards d’aides analysées (36 milliards de niches fiscales et 28 milliards d’aides budgétaires), des économies de 3 milliards pourraient être dégagées à horizon 2027, correspondant à 935 millions d’économies budgétaires (33,2%) et 1,880 milliards de niches fiscales en moins (66,8%). En gros une répartition des efforts de 1/3, 2/3… pour des proportions de -3,3% et de -5,2% par rapport aux enveloppes susmentionnées. L’analyse a-t-elle été si égalitaire ? Que nenni ! Etonnement, le périmètre des dotations publiques se réduit comme peau de chagrin dans l’analyse puisque au vu du temps imparti elle n’a pas pu analyser tout le périmètre proposé initialement : « la mission a travaillé sur un périmètre de 22,9 milliards d’aides dont 4,5 milliards d’aides budgétaires et 18,4 milliards d’aides fiscales » soit 4 fois plus… il faut dire que les dépenses budgétaires en faveur des entreprises sont massivement orientées vers… les entreprises publiques, à près de 81,4% au minimumExplications :

Un périmètre des aides aux entreprises très variable selon les études

Comme le note l’Institut Rexecode dans une note de juillet 2023[1], « Le concept « d’aides aux entreprises » recouvre un ensemble hétéroclite de dispositifs publics de subvention, de réduction de prélèvements, de dépenses fiscales, ou encore de participations financières à destination des entreprises » (mais aussi de taxes affectées[2] – dans le cadre de la démarche de l’IGF) dont « le recensement dépend du périmètre considéré et de la norme prise en référence, de sorte que les montants agrégés varient d’une estimation à l’autre. »

L’Institut en propose deux exemples comparés très illustratifs à l’appui de son propos (année de référence 2019):

Agrégats année de référence 2019 (Md€)

France stratégie 2020

CLERSE 2022

Dépenses fiscales

66

61

Allègements de cotisations

55

64

Dépenses budgétaires

45

32

Participations et financements

11

 

Total

179

157

Dépenses fiscales déclassées

44

48

Total y compris dépenses fiscales déclassées

223

205

Source : Calculs Rexecode, France Stratégie (2020[3]) et IRES[4] (2022)

Les principales différences de ces deux études portent essentiellement sur l’inclusion par France Stratégie du recensement des prêts et avances remboursables et garanties par l’Etat (dans son bilan et hors bilan) ainsi que des allègements de charge plus importants dans l’étude CLERSE, tout comme le périmétrage des dépenses fiscales déclassées.

Pour sa part, l’IGF pour la revue de dépenses, prend un périmètre différent de 104 milliards d’euros en 2022 :

Milliards d’euros en 2022

Aides d'Etat

Aides des APUL

Aides des ASSO

UE

Total

Total

86

7

2

9/10

104/105

Dont dépenses budgétaires

28

7

2

9/10

46/47

Dont dépenses fiscales

36

 

 

 

36

Dispositifs en extinction

15

   

15

Compensations de dépenses sociales

7

   

7

Source : IGF (mars 2024), retraitements Fondation iFRAP, septembre 2024.

Sur ce champ, la mission met en exergue un total d’aides de l’Etat de 86 milliards d’euros, sous la forme de 28 milliards de dépenses budgétaires (et ITAF), de 36 milliards de dépenses fiscales, mais aussi de 15 milliards de dispositifs « mis en extinction », (soit 6 milliards de créances de CICE résiduelles, mais aussi des dispositifs de crise, compensation d’EDF après mise en place du bouclier tarifaire (4,6 Md €) et PGE (prêts garantis par l’Etat) de 1,4 Md €), ainsi que 7 milliards de compensations de dépenses sociales. Au sein de ce périmètre l’IGF n’a travaillé que sur 64 milliards d’aides fiscales (36 Md €) et budgétaires (28 Md €), et situées exclusivement sur le champ de l’Etat

Ainsi les aides aux entreprises (7 milliards d’euros minimum, hors aides transitant par des opérateurs locaux, ou des exonérations fiscales et taux réduits décidés par les APUL qui ne sont pas recensées) n’ont pas été auditées par la mission. Ces 7 milliards se ventilent à hauteur de 40% par les régions, 34% par le bloc communal et 26% par les départements et autres entités locales.

Enfin la mission n’a pas non plus pris en considération les aides européennes aux entreprises françaises. Elles s’élèveraient entre 9 et 10 milliards d’euros en 2022, se répartissant entre :

  • 9 milliards dans le cadre des FEAGA/FEADER (moyenne annuelle 2023-2027) ce qui représentent des aides agricoles dans le cadre de la PAC (politique agricole commune) ;
  • 40 millions d’euros/an dans le cadre du FEAMPA (affaires maritimes et pêche) ;
  • 300 millions d’euros/an dans le cadre du FEDER/FTJ, lié au développement régional et à la transition juste ;
  • Enfin 10 millions/an porté par le BAR (réserve d’ajustement dans le cadre du Brexit)

N’y figure pas également d’autres crédits européens inscrits sur les programmes du fonds européen de défense (FEDef), Horizon Europe et Europe Créative. 

Les entreprises françaises ont reçu entre 2013 et 2022 moins d’aides publiques que les entreprises allemandes

Du point de vue européen, le scoreboard state Aid Data[5], permet de suivre le volume des aides d’Etat accordées par la France et déclarées à l’Union européenne. Il s’agit d’un instrument commode pour réaliser des comparaisons internationales en la matière :

Source : Scoreboard, state Aids data, Commission européenne. Consulté en septembre 2024.

Il apparaît en particulier que la France avec un montant d’aides d’Etat notifiées en 2022 à 0,94% du PIB, se retrouve à un niveau comparable au niveau d’aides publiques de 2018 (0,95%) pour ce qui a trait aux aides hors crise. Si on y ajoute les aides publiques liées aux mesures de soutien et de relance, les montants sont beaucoup plus importants (1,7% du PIB) mais en baisse rapide sitôt la pandémie de Covid-19 achevée (et malgré le début de la guerre en Ukraine en février 2022). 

Le match France Allemagne sur ce registre montre que l’Allemagne n’a baissé drastiquement ses aides aux entreprises qu’à compter de 2022 afin de financer ses aides de crise (alors qu’entre 2013 et 2022, elle affichait des aides d’Etat aux entreprises bien supérieures à celles de la France). Si l’on ne considère que les aides aux entreprises hors crise, la chronique depuis les années 2000 en points de PIB est la suivante :

Source : Scoreboard, state Aids Monitor data, Commission européenne. Consulté en septembre 2024. 

La revue de dépenses de l’IGF porte sur un périmètre finalement très restreint de 5 ministères

Mais même au sein du budget de l’Etat les aides aux entreprises n’ont été identifiées par l’IGF que pour 5 ministères renvoyant pour les autres aux missions en cours relatifs à la production cinématographique et audiovisuelle, aux dispositifs en faveur de la jeunesse et à la formation professionnelle. Seules les deux dernières revues de dépenses ont été rendues publiques et aucune ne s’intéresse particulièrement aux aides aux entreprises. Ainsi le périmètre passe-t-il de 64 milliards (28+36) à seulement 35,7 milliards d’euros détaillés dans le tableau suivant :

Ministères en 2022

Nbre de dispositifs d'aides

Montant des dispositifs d'aides (Mds €)

Aides budgétaires

Aides fiscales

Aides budgétaires

Aides fiscales

de l'économie et des finances

42

39

3,1

7,9

de l'énergie

13

10

7,8

0,9

de la recherche

4

2

0,2

7

des transports

10

6

5,3

1,5

de la transition écologique

11

33

1,1

0,9

Total examiné par la mission

80

90

17,5

18,2

Total des mesures existantes

(sur le champ Etat)

  

28

36

Proportion des dispositions examinées  

62,5%

50,6%

Source : Revue des dépenses IGF, présentation Fondation iFRAP, septembre 2024. 

S’agissant des aides budgétaires stricto sensu, il s’agit d’un véritable lit de Procuste :

Note de lecture : Les montants initiaux sont de 28 milliards d’euros, d’ont on « sort » 10,5 milliards de dotations/ITAF qui ne sont pas délivrés par les 5 ministères retenus, desquels ensuite on retire 12,9 milliards d’aides budgétaires.

La mission passe en effet d’un périmètre restreint de 17,5 milliards d’euros à un montant de 4,5 milliards en ne retenant pas volontairement un certain nombre de subventions publiques à des entreprises publiques, notamment :

  • 7,8 milliards d’euros de compensations pour charge de service public de l’énergie. Il s’agit de rembourser à EDF et aux entreprises locales de distributions, leurs contrats d’obligation d’achat d’électricités produites par des énergies renouvelables (et donc les tarifs de rachats sont artificiellement plus élevés afin d’inciter à la mise en place de ces énergies) ;
  • 5,1 milliards de versements effectués à la SNCF au titre des subventions de fonctionnement (redevances d’accès aux TER et aux TET[6] et au déficit d’exploitation de ces derniers) et de subventions d’investissement (plan de régénération du réseau ferré national).

L’analyse de l’IGF est donc biaisée par le volume de l’échantillon retenu, extrêmement réduit pour les subventions à un périmètre de 4,1 milliards d’euros et beaucoup plus étendu s’agissant des dépenses fiscales (18,4 milliards). Cette réduction inédite du périmètre des subventions budgétaires accordées aux entreprises s’explique par le poids très important des entreprises publiques qui en bénéficient.

Les entreprises publiques sont les bénéficiaires de 81,4% des dotations budgétaires de l’Etat

En effet nous avons vu que sur le champ de l’Etat les subventions publiques allaient à hauteur de 7,8 milliards d’euros en direction d’EDF et des entreprises locales de distribution, à hauteur de 5,1 milliards d’euros aux versements effectués au bénéfice de la SNCF, à hauteur de 4,016 milliards d’euros aux subventions publiques des régimes spéciaux de la SNCF (3,239 Md € en 2022) et de la RATP (0,7 Md € en 2022)[7], mais aussi le soutien au fret ferroviaire (hors compensation fret pour 0,125 Md €), ainsi que le soutien à l’audiovisuel public (3,65 Md €[8]) via la CAP (contribution à l’audiovisuel public, jusqu’à son remplacement en 2023). Cet ensemble représente près de 20,57 milliards d’euros sur les 28 milliards identifiés par la mission, soit 73,5%.

Mais il s’agit encore d’un minimum, puisqu’on pourrait également y ajouter les moyens identifiés pour partie dans les 4,1, soit les crédits affectés aux réseaux consulaires (85 millions d’euros de crédits budgétaires et 740 millions d’euros de taxes affectées (fiscalité additionnelle), les 38 millions de crédits attribués à BPI France pour son rôle de conseil aux entreprises, ainsi que les financements au groupe La Poste sur deux segments en particulier : le service universel du courrier (SUP courrier) pour 520 millions d’euros, l’aide à la Presse (196 millions d’euros[9]), les missions d’aménagement du territoires (avec les 17.000 points de contact, soit 140 millions d’euros), ainsi que la mission MAB (accessibilité bancaire) pour 392 millions d’euros. Cela représente tout de même des montants de l’ordre de 2,1 milliards d’euros supplémentaires en 2022. On atteint alors les 81,4%

Or c’est précisément sur ces subventions qui représentent généralement des « missions de service public » qu’il conviendrait de s’interroger afin de réaliser des économies plutôt que de chercher à réduire des incitations fiscales qui bénéficient d’abord aux entreprises du secteur privé
 


[1] O. Redoulès, J. Faudemer, Aides aux entreprises de quoi parle-t-on ? Repères #7, 12 juillet 2023, Institut Rexecode.

[2] Voir sur ce sujet la dernière note du CPO n°8, mai/septembre 2024, Les impôts et taxes affectéeshttps://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-impots-et-taxes-affectes

[3] V. Aussilloux, Ph. Frocrain, M. Harfi, R. Lallement, Les politiques industrielles en France – évolutions et comparaisons internationales, novembre 2020, https://www.strategie.gouv.fr/publications/politiques-industrielles-france-evolutions-comparaisons-internationales 

[4] Etude CLES, Un capitalisme sous perfusion, IRES, octobre 2022 https://ires.fr/publications/cgt/un-capitalisme-sous-perfusion-mesure-theories-et-effets-macroeconomiques-des-aides-publiques-aux-entreprises-francaises/

[5]https://competition-policy.ec.europa.eu/state-aid/scoreboard/scoreboard-state-aid-data_en

[6] Trains express régionaux et territoriaux. 

[7] Voir le rapport du Sénat, https://www.senat.fr/rap/l23-128-325/l23-128-3251.pdf#page=29

[8] Voir rapport IGF, mission relative à l’audiovisuel public, 2022, https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/Rapports%20de%20mission/2022/2021-M-071-04_Rapport_Financement_Audiovisuel_public.pdf#page=25

[9] Une partie seulement des aides totales à la Presse qui s’élèvent à 419 millions d’euros en 2022.