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Passoires thermiques : et si les DPE étaient tous faux ?

Une nouvelle étude publiée par le Conseil d’analyse économique montre que le DPE, diagnostic de performance énergétique, est un outil largement imparfait pour estimer la projection de la consommation d’énergie. C’est une critique de plus contre cet outil sur lequel les pouvoirs publics s’appuient pour orienter la politique publique de rénovation et d’efficacité énergétique des logements. Le gouvernement devrait revoir son mode de calcul urgemment alors que le secteur du logement est confronté à une grave crise de l’offre, provoquée, entre autres, par une surabondance de normes environnementales.

On reprochait au DPE (diagnostic de performance énergétique) d’avoir de nombreux effets collatéraux sur le marché de l’immobilier : une accélération de la mise en vente des passoires thermiques pour échapper à la réglementation sur l’interdiction de louer des logements classés F ou G, avec pour conséquence une embolie du marché locatif, privé de plusieurs milliers de logements au moment même où les primo-accédants devaient renoncer à leur projet à cause de la hausse des taux d’intérêt.

On a vu aussi que le mode de calcul du DPE contribuait à défavoriser le chauffage électrique au bénéfice du chauffage au gaz en complète contradiction avec les objectifs de décarbonation du secteur résidentiel.

On apprend maintenant que les classes énergétiques induites par la mise en place du DPE sont insuffisantes à prédire la consommation réelle des occupants. C'est le Conseil d'analyse économique (CAE) qui s'est penché sur la question et qui rappelle que le DPE est la boussole de la politique du gouvernement en matière de rénovation énergétique. Le DPE sert à estimer la consommation énergétique primaire et les émissions de CO2 d’un logement. Avec la loi climat et résilience, par exemple, c’est justement le DPE qui sert à diriger l’effort de rénovation dans le parc locatif privé sur les passoires thermiques. Le DPE est aussi obligatoire pour les acquisitions et sert à estimer les potentiels travaux de rénovation énergétique. Cet outil de diagnostic joue donc un rôle central dans la mise en œuvre des politiques publiques en faveur du logement. 

Le CAE commence par détailler les hypothèses qui font du DPE un outil imparfait :

  • Les températures cibles dans le logement fixent le confort thermique à 19° en hiver et 28° en été.

  • La modélisation de la consommation induite à partir d’éléments du bâti peut être faussée par des cas de malfaçons, ou de rénovations successives…

  • La taille du logement contribue proportionnellement à des DPE plus mauvais pour les logements de petite taille puisque celui-ci est rapporté au m² : ainsi des murs mal isolés, des fenêtres en mauvais état contribueront à dégrader d’autant plus le DPE d’un logement de petite surface

  • Enfin, le CAE note que le DPE est sans doute encore trop subjectif avec une sur représentation des logements présentant une consommation au seuil des étiquettes d’attribution.

Mais le point central c’est d’évaluer à quel point la prédiction de consommation du DPE se rapproche de la consommation réelle. Or, la demande de confort thermique est inversement proportionnelle à son coût rappelle le CAE qui en tire la conclusion simple que plus un logement est mal isolé et plus l’occupant aura tendance à réduire sa consommation, par sobriété. A l’inverse dans un logement bien isolé, l’occupant pourra moduler sa consommation pour profiter du confort : on se trouve alors dans le cas d’un effet rebond : la performance énergétique n’entraîne pas la baisse de consommation espérée. Et donc avec le risque qu’on surestime les économies d’énergie.

Dans cette étude, le CAE s’appuie sur des données des comptes bancaires Crédit Mutuel Alliance Fédérale appariées au DPE du logement des clients (statistiques Ademe) (voir le détail du calcul dans la note publiée). L’échantillon est important puisqu’il représente 178 000 ménages et a été corrigé de différents biais.

Les résultats sont les suivants :

Tout d’abord, le CAE a cherché à savoir si le DPE était un bon outil de prédiction de la consommation réelle : le résultat est que le rapport des consommations réelles d’énergie entre les étiquettes AB et G est divisé par 6 par rapport à celui prédit par le modèle du DPE.

Ensuite, le CAE constate que la progressivité est variable selon la taille du logement. Il apparaît que la dépense énergétique n’est pas progressive selon la classe énergétique pour les logements de grande taille. Pour les logements de petite taille, la dépense est plus fortement progressive selon la classe énergétique. Toutefois, les différences ne sont pas statistiquement significatives pour que des gains budgétaires soient associés à un changement de classe, par exemple de D à C.

L’étude souligne aussi que le revenu médian de l’occupant ainsi que l’âge de l’occupant ont une influence sur la consommation réelle : ainsi la dépense énergétique varie du simple au double entre un ménage du revenu médian et un ménage du dernier vingtile de revenus. De même elle est 40% plus élevée pour un ménage de plus de 65 ans par rapport à un ménage de moins de 25 ans.

Le CAE mesure ensuite l’écart entre la consommation réelle et la consommation prédite du DPE[1] (qui est une variable de la classe énergétique). Ces résultats confirment les premières conclusions à savoir que le DPE surestime la consommation des classes peu performantes (D à G) et sous-estime les consommations des classes performantes (A à C).

C’est particulièrement vrai pour les grands logements. Le mode de calcul du DPE part de l’hypothèse que la consommation est une fonction linéaire avec la surface du logement, ce qui n’est pas vérifié. On peut s’attendre à un effet rebond plus important dans les grands logements. Les grands logements ont aussi plus la possibilité de moduler leur consommation. Ce point contribue à faire du DPE un outil peu fiable pour estimer la consommation réelle, et par conséquent pour projeter les réductions de consommation d’énergie et d’émissions de CO2.

Dans la dernière partie de l’étude, le CAE s’attache à déterminer si la différence de consommation résulte d’une erreur de modélisation ou bien d’un biais comportemental. Le résultat est que l’ajustement du comportement explique une part prépondérante mais pas la totalité de l’écart particulièrement sur les logements appartenant aux classes énergétiques les moins performantes : environ les deux tiers sont expliqués par le comportement mais un tiers provient du mode de calcul du DPE.

En résumé selon le CAE :

  • Les usagers adaptent leur comportement en fonction de la performance du logement

  • Les usagers adaptent leur comportement en fonction d’autres critères socio-démographiques (âge, revenu)

  • Le DPE tend à surestimer la dépense énergétique à partir de la classe D et cela va en s’accentuant à mesure que la classe se dégrade. La dépense est en revanche sous-estimée pour les logements de classe AB.

  • Plus la superficie du logement est grande plus l’écart s’accroît entre consommation réelle et consommation estimée et moins la progressivité est forte.

Si le CAE en conclut, notamment du dernier point, que cela devrait conduire à remettre en cause le mode de calcul unique du DPE à tous les logements pour en faire un indicateur plus fiable, cette étude nous montre surtout que le gouvernement ne devrait pas trop se fier à sa « boussole » pour fixer le cap des politiques publiques du logement.

Ces résultats sont conformes à d’autres études que nous avions déjà citées :

L’économiste Esther Duflo avait mis en avant les travaux de Michael Greenstone aux Etats-Unis. Reprenant ses conclusions, elle indiquait : « Sous l’administration Obama, des crédits gratuits avaient été proposés pour la rénovation des logements. Seuls 15 % des gens ont été réceptifs, et à la fin, 7,5 % sont allés jusqu’au bout avec des économies de 20 % à peine sur leurs factures ». Beaucoup d’argent dépensé pour des gains limités et sur peu de ménages.

Une autre étude citée dans Le Monde en 2020 s’était penchée sur le cas allemand concluant que selon une étude de la GdW, fédération allemande de sociétés immobilières, 340 milliards d’euros ont été investis dans la rénovation énergétique des bâtiments entre 2010 et 2018 (changement de fenêtres, nouveaux systèmes de chauffage ou isolement des façades) et malgré ces dépenses la consommation est restée stable. C’est l’effet rebond : les occupants profitent du confort d’un logement mieux isolé. Le calibrage des travaux avait aussi été critiqué (système de chauffage rénové qui consomment autant que les anciens).

Autant d’éléments qui devraient conduire le nouveau gouvernement à revoir sérieusement la réglementation sur la mise en location des passoires thermiques qui doivent être progressivement retirés du marché de la location car les conséquences de cette loi sont trop graves pour qu’elle s’appuie sur un diagnostic mal établi. Idem sur les primes à la rénovation énergétique car là encore les ménages sont incités à la réalisation de lourds travaux de rénovation sur la base d’un diagnostic qui doit être plus fiable pour ne pas gaspiller l’épargne privée et les primes versées par les pouvoirs publics.


[1] Le DPE est calculé en fonction de deux facteurs : la consommation d’énergie primaire et les émissions de gaz à effet de serre rapportées à la surface. Les seuils de chaque classe énergétique sont des « doubles seuils », un logement étant classé selon sa plus mauvaise performance, en énergie primaire ou en gaz à effet de serre. D’autre part la consommation d’énergie primaire est majorée d’un coefficient en fonction du mix énergétique (électricité ou gaz)