Loi "énergies renouvelables" : des contraintes à venir
Pour sortir du piège énergétique où la France s’est enfermée, le gouvernement a présenté deux lois destinées à faciliter le développement des énergies peu émettrices de CO₂, soit des parcs solaires, éoliens... mais aussi des centrales nucléaires. L’urgence est justifiée et les textes présentés par le gouvernement doivent venir compenser 25 années d’errements, malgré leurs coûts économiques et démocratiques.
Le discours d’Emmanuel Macron de février 2022 annonçait un changement complet de politique énergétique : construction de 14 nouveaux réacteurs EPR vs. fermeture de 14 existants, augmentation de 60% de la consommation d’électricité vs. baisse de cette consommation. Le gouvernement se devait d’agir, les lois actuellement en vigueur étant en totale contradiction avec cette nouvelle donne.
Le plan gouvernemental annoncé cet automne se décline donc en cinq actions :
- décembre 2022 : Fin de la concertation citoyenne
- janvier 2023 : Loi pour faciliter le déploiement les énergies renouvelables (projet de loi EnR présenté au Sénat, le 26 septembre 2022)
- mars 2023 : Loi pour faciliter le déploiement de l’énergie nucléaire (projet de loi déposé au Sénat, le 3 novembre 2022)
- septembre 2023 : Loi quinquennale sur l’énergie
- juin 2024 : Programmation pluriannuelle sur l’énergie (PPE)
Premier point, la concertation citoyenne qui se termine fin 2022 n'aura aucun impact sur les deux premières lois de 2023 qui ont déjà été soumises au Parlement[1].Ces dernières ne traitent, d'ailleurs, pas du nombre ou du type de centrales éoliennes, solaires, nucléaires ou de biomasse à déployer, mais visent à préparer un environnement favorable à leur réalisation une fois les décisions prises, en actant soit des simplifications, soit des leviers d’action. Notons que les objectifs de consommation d’électricité et les données sur les modes de production ne seront disponibles qu’en 2024.
Devant l'urgence, accélérer et racourcir les délais de construction
La première loi, loi EnR, relative à l'accélération de la production des énergies renouvelables, qui vient d'être validée par le Sénat et dont les discussions doivent se poursuivre à l'Assemblée nationale, a 4 objectifs :
- Accélérer les procédures.
- Libérer le foncier.
- Accélérer le déploiement de l'éolien en mer.
- Améliorer le financement et l'attractivité des projets.
Pour atteindre ces objectifs, la loi doit mettre en place des simplifications administratives qui permettront de raccourcir les délais nécessaires pour construire des centrales éoliennes, solaires et de biomasse. Aujourd'hui, selon le gouvernement, il faut suivre 5 ans de procédures pour construire un parc solaire alors que ce dernier ne peut nécessiter que quelques mois de travaux. Ce délai serait également de 7 ans pour un parc éolien sur terre, 10 ans pour un parc éolien en mer. Un temps "administratif" qui sera deux fois plus long en France qu'en Europe. Pour y parvenir, la loi vise à autoriser leur construction sur des terrains naturels (ex. annexes d’autoroutes, bord de mer, mobilisation des parkings et terrains dégradés, etc.), soit en réduisant les délais d’enquêtes et de contestations.
La seconde loi, relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, vise à répondre à la crise que traverse actuellement notre parc nucléaire où la moitié des réacteurs sont à l'arrêt pour des travaux et des procédures de contrôles. Le projet vise ainsi à autoriser EDF à commencer les travaux d’aménagement des sites des nouveaux réacteurs avant la fin des procédures d’autorisation administrative et de certification technique. Les démarches seront aussi simplifiées quand les nouveaux réacteurs seront construits sur le site de réacteurs existants. Si le projet de loi doit encore être largement discuté et amendé, ces méthodes exceptionnelles apparaissent acceptables dans la situation critique actuelle.
Vers des quotas de centrales "vertes" par région ?
Il convient de souligner qu'une grande partie de la loi EnR, sur les énergies renouvelables, porte un ensemble de leviers destinés à réduire les obstacles rencontrés par la construction de centrales solaires ou éoliennes dans les différents territoires. Ces leviers sont, soit « positifs » sous forme d’avantages financiers accordés aux communes ou personnes acceptant une centrale, soit « négatifs » sous forme de contraintes.
Plusieurs mesures « positives » existent déjà ou sont proposées : revenu du propriétaire qui loue son terrain, revenu de la commune qui accepte une centrale, revenu des adhérents d’une centrale coopérative, réductions de tarifs accordées aux consommateurs situés sur les territoires acceptant des centrales, droit de vendre sa production d’électricité sur le marché libre pendant les premières années tout en bénéficiant de la garantie de prix pour toute la période. En pratique, ces mesures sont très difficiles à calibrer, les propriétaires et les communes essayant logiquement de placer leurs centrales loin de chez eux, et donc souvent proches de leurs voisins. Le risque ? Que cela ne soit pas toujours les personnes les plus gênées qui touchent les subventions.
Le rejet par les populations, de la construction d'une centrale "verte" est vif dans certaines régions. Pour les centrales éoliennes il s'agit des problèmes de paysages et de bruits. Pour les centrales solaires, d'artificialisation de terrains naturels. Pour le contrer, le projet de loi annonce un processus de décisions de bas en haut avec de multiples organismes de consultation. Concrètement, le gouvernement se propose de fixer un quota de centrales par région, et de laisser aux élus locaux le soin de décider comment les répartir, les préfets (et donc l'Etat) étant chargés de trancher en dernier ressort. Le Sénat a demandé que le maire soit le décisionnaire final comme pour les permis de construire, un changement auquel le gouvernement est actuellement hostile. Le problème est moins vif pour les centrales nucléaires, les territoires où elles fonctionnent déjà souhaitant en accueillir de nouvelles.
Attention aux objectifs trop ambitieux sans cesse reculés
Faute de données sur les besoins des consommateurs et sur les coûts de production, les deux lois de facilitation ne sont pas en position de concentrer leurs actions sur les technologies les plus souhaitables en fonction des besoins, des coûts de production ou des perspectives industrielles et d’ouverture à l’exportation. Des facteurs pourtant décisifs pour l’économie française pendant un siècle que le retard pris nous empêche d’optimiser. L’échec de la filière nucléaire française en Pologne donne une idée des dégâts résultant de vingt années de mauvais choix. La mise en place de mesures et d'objectifs mal évalués et mal calibrés ont un impact sévère à long terme.
Aujourd'hui, les objectifs, en termes de consommation d'énergie, de production, d'énergie verte (voir tableau ci-dessous), du nouveau plan d’action français sont alignés sur ceux du Pacte vert décidé par Bruxelles mais ces objectifs, ambitieux, ne semblent pas atteignables, et la trajectoire de la France en est systématiquement éloignée. Au mieux la France révisera régulièrement ses objectifs à la baisse comme cela a été le cas pour la « baisse de la part du nucléaire à 50% en 2025 », décidé en 2012, puis repoussé en 2017 à 2035, et abandonné en 2021. Mais le risque demeure que ces erreurs de prévisions se traduiront, comme aujourd’hui, par des crises de pénurie d’énergies.
Pour rappel, une semaine après la décision européenne approuvée par la France, d’interdire la vente de voitures à combustibles fossiles à partir de 2035, le Commissaire européen Thiery Breton est intervenu publiquement, estimant cette date prématurée et demandant un réexamen de la situation en 2026. Une position reprise le lendemain par le ministre des transports français Clément Beaune. Confirmation que de nombreux objectifs fixés par des responsables politiques sont irréalistes et constituent de dangereux effets d’annonce.
Objectifs de la France | |
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Production d’électricité renouvelable | +100% en 2028 |
Production de gaz renouvelable | +400 à 600% en 2028 |
Consommation de chaleur renouvelable | +50% en 2028 |
Emission de CO2 | -55% en 2030 |
Consommation d’énergie | -40% en 2040 |
Consommation d’énergie | -50% en 2050 |
Corriger les erreurs du passé et préparer l'avenir
Les lois "énergies renouvelables" à venir ont un grand rôle à jouer pour corriger les erreurs stratégiques du passé... et parfois même d'un très récent passé. Par exemple, la validation en décembre 2017 de la fin de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures en France nous a placés dans une situation de pénurie et nous a conduits à marchander auprès de régimes parfois peu recommandables des énergies fossiles produites dans de mauvaises conditions écologiques et vendues à prix d’or.
Notre politique énergétique accumule les erreurs stratégiques depuis, au moins 2007 et nous place dans une situation de handicap et d'urgence. Force est de constater que la seule centrale de Fessenheim, fermée par décision politique et de communication, nous aurait été plus utile que toutes les éoliennes terrestres en fonctionnement en France au premier janvier 2021.
A ce stade, dans l’urgence, tout en relançant le nucléaire, il est inévitable de poursuivre le développement des énergies renouvelables même coûteuses et dépendant entièrement de fournitures d’entreprises étrangères, et de tolérer les contraintes liées à leur implantation. Le plus essentiel est de préparer l'avenir et de reconnaitre que toutes les méthodes de production d’énergie, y compris électriques, présentent des inconvénients inévitables. Occupation de terrains, pollution de l’air et de l’eau, risques d’accidents, coûts, perturbation des paysages. Même la construction des barrages hydrauliques de montagne a posé de sévères problèmes : destruction de villages, modification des paysages, risques sismiques. Les Français les ont acceptés, et bénéficient toujours d’avantages multiples : indépendance nationale, production efficace d’électricité zéro carbone, capacité de stockage, régulation du débit des cours d’eau, développement économique et touristique local… Que ce soit pour les centrales productrices d’énergie ou pour les mines de métaux rares nécessaires aux batteries et aux voitures électriques, les Français vont devoir accepter les retombées négatives de ces activités, aggravées par des décennies d'impréparation.
[1] Une situation étrange mais sans importance, les positions des uns et des autres étant déjà connues et documentées. Les concertations précédentes ont produit très peu d’idées, mise à part l’interdiction de la publicité aérienne sur les plages et l’arrêt des vols Paris-Bordeaux, mais n’ayant rien apporté sur les questions clefs du nucléaire, de la dépendance au gaz russe et sur du besoin de produire plus d’électricité pour éviter la crise actuelle annoncée.