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Les dix erreurs pointées par le rapport sur la souveraineté énergétique

Après plus de 150 heures de travail, la commission sur la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France vient de rendre ses conclusions le 6 avril dernier dans un rapport : “Souveraineté énergétique : 30 propositions pour les 30 prochaines années”. Voici les 10 erreurs pointées après les 6 mois d'enquête des parlementaires.

Chronologie des erreurs citées dans le rapport

1. Ralentissement de la filière dans les années 1990

Les premières erreurs datent du milieu des années 1990, sous la présidence de Jacques Chirac et la cohabitation. Le constat de l’époque est simple : après trois décennies de volontarisme dans ce domaine, illustrées par le plan Messmer (démarré sous Pompidou), le parc nucléaire remplit les besoins d’approvisionnement, et est même critiqué pour sa surcapacité. En fait, c’est plus précisément EDF à qui plusieurs ministres (Corinne Lepage et Dominique Voynet, respectivement ministres de l’Environnement sous le gouvernement Juppé et de l’Aménagement du territoire sous Lionel Jospin, soit deux femmes politiques ouvertement anti-nucléaire) reprochaient ce surinvestissement. De plus, la recherche d’alternatives énergétiques montre la peur d’une “dépendance au nucléaire” de la France. Selon le rapport, aucun document explicitant cette crainte n’est parvenu à la commission. En revanche, le rapport s’attaque au double discours de l’époque, qui veut réduire sa dépendance au nucléaire, avant de s’interroger sur le fait qu’alors, plus de 50 % de la consommation primaire d’énergie et plus des trois-quarts de la consommation d’énergie finale étaient d’origine fossile.

2. Abandon de Superphénix

Le Premier ministre Lionel Jospin décide de ne pas poursuivre le chantier du réacteur en 1997. A l’époque, on met en avant les coûts trop élevés de Superphénix, à Creys-Malville dans l’Isère, tout en oubliant que l’arrêt de ce réacteur serait plus coûteux, selon une commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale de 1997. Issu d’une nouvelle génération de réacteurs, Superphénix était un prototype de surgénérateur à neutrons rapides (soit un modèle différent que les EPR que l’on connaît) à la pointe dans le recyclage des déchets du combustible usé. De plus, il était également question d’un grand centre de recherche, ou d’une transformation du projet en incinérateur de déchets. Après des années de controverses et de batailles juridiques, Superphénix est abandonné et constitue la première décision qui fait reculer la filière nucléaire en France sur les trente dernières années.

3. Les années 2000, ou la décennie perdue, à cause de la bataille EDF-Areva

Le rapport Armand-Schellenberger critique aussi la passivité des gouvernements au cours des années 2000, appelés la “décennie perdue”, car minée par la “guérilla fratricide” entre EDF et Areva. Cette dernière, créée en 2001 par la fusion décidée par l’Etat de Framatome, Cogema et Technicatome, doit vendre sa filiale Areva Transmission et Distribution en 2010 et réduire ses effectifs, tout en étant empêtrée dans des scandales politico-financiers. EDF doit quant à elle faire face à une explosion de sa dette, sans réel soutien public, mais continuant à verser des dividendes à l’Etat plutôt que de réinvestir leurs bénéfices dans les centrales. Pendant ce temps, l’Etat n’a pas anticipé l’avenir, n’a pas endigué le vieillissement des réacteurs et n’a pas imaginé qu’un jour, le parc nucléaire serait en situation de sous-capacité. Certes, Nicolas Sarkozy voulait ouvrir un nouveau réacteur à Penly, mais ce projet fut stoppé par la ministre de l’Environnement Delphine Batho en 2012.

4. La loi Nome, qui instaure l’Arenh

Ajoutons à cela des défaillances commerciales d’EDF : l’entrée dans le marché européen, mais surtout la loi Nome (pour nouvelle organisation du marché de l’électricité), qui crée le mécanisme de l’Arenh, (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), qui oblige EDF à revendre à des fournisseurs à bas coût (-25%) depuis 2011. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le groupe électricien a moyennement apprécié ce système. De plus, en 2006, la programmation pluriannuelle prévoit 13 gigawatts d’éolien, pour seulement 1,6 de nucléaire. L’Arenh avait été qualifiée de “monstruosité” par l’ex-patron d’EDF Pierre Gadonneix, constat partagé par ses successeurs Henri Proglio et Jean-Bernard Lévy.

5. Les concessions hydroélectriques

Parallèlement au nucléaire, le secteur hydroélectrique a aussi été la victime de certaines décisions. Comme dans le dispositif de l’Arenh, la mise en concurrence des concessions hydroélectriques a fragilisé ce secteur, à cause de la difficulté d’imposer une gestion coordonnée avec l’Etat, qui est pourtant le propriétaire des barrages. La Commission européenne demandera à la France de mettre en concurrence les concessions hydroélectriques en 2015, mais ce mécanisme était déjà lancé en 2008 par le gouvernement. Comme dans le cas de l’Arenh, l’intégration dans le marché européen a été très difficile pour le secteur énergétique, du fait de son mix particulier.

6. L’accord PS-EELV en 2012

Si ce rapport fait autant de bruit, c’est surtout à cause de la période 2012-2023. Lors de ces années, des décisions jugées idéologiques et/ou politiciennes s’imposent envers et contre tout bon sens. Le fameux accord électoral entre le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts en 2012, qui permet à ces derniers d’entrer au gouvernement, est vu aujourd’hui comme le symbole de l’aveuglement de la classe politique vis-à-vis des besoins énergétiques du pays. L’accord, conclu entre Cécile Duflot et Martine Aubry, prévoit la fermeture de 24 réacteurs nucléaires sur 58, visiblement sans solution de remplacement crédible, à en croire celui qui était pourtant membre du gouvernement à l’époque, Arnaud Montebourg. L’accord mentionne explicitement la volonté de fermer les deux réacteurs de Fessenheim, ainsi que toute centrale présente sur une zone sismique. Quant à Ségolène Royal, ministre de l’Environnement sous François Hollande, elle était même pour la sortie du nucléaire en quarante ans (donc en 2052). Dans un contexte d’hostilité de la part de l’opinion publique suite à la catastrophe de Fukushima, tout propos contre la filière de l’atome était le bienvenu. Ainsi, un objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique national est fixé par la loi de transition énergétique de 2015 : ce sera 50% en 2025. Pour rappel, cette part était de 75%. Pendant la commission, l’ancien Premier ministre Manuel Valls qualifie cet objectif de “politique”. Dans le rapport, il est même décrit comme “dépourvu de sens industriel”.

7. La promesse de fermeture de 14 réacteurs pour 2035

Enfin, le premier quinquennat d’Emmanuel Macron est également pointé du doigt par la commission. Rappelons que le premier gouvernement voulait garder l’objectif des 50%, mais l’avait d’abord reporté à 2035. Le président avait ainsi promis la fermeture de quatorze réacteurs à cette échéance, dans la lignée de la politique énergétique conduite par François Hollande. Ce report est annoncé par Nicolas Hulot, alors ministre de l’Environnement, mais il n’est pas question d’abandonner la mise à l’arrêt des réacteurs. Néanmoins, Emmanuel Macron parle de fermer quatre à six réacteurs d’ici 2030. Nicolas Hulot, comme nombre de ses successeurs et/ou collègues, ne cache pas leur hostilité à l’atome pendant ces années (Barbara Pompili, François de Rugy ou encore Elisabeth Borne). Dans ce contexte, la notion de “vulnérabilité” est considérée dans les discours officiels comme indispensable, et est jointe à la notion de “souveraineté”. Il est aisé de comprendre qu’ici, le nucléaire est visé pour ses aléas, qui mettraient en danger le pays tout autant qu’une crise énergétique.

8. L’abandon du projet Astrid

Le projet Astrid (pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) était porté par le CEA en 2010 pour faire évoluer le modèle de réacteur nucléaire. Comme Superphénix, ce projet devait permettre l’innovation, car fonctionnant aussi grâce aux neutrons rapides, mais à sa différence, il ne régénérait pas les déchets radioactifs, mais avec de l’uranium naturel (uranium 238). D’un point de vue industriel, le projet Astrid était ambitieux et nécessitait la coopération de plusieurs groupes (EDF, Alstom, Areva, Mitsubishi). Le projet fut abandonné par Emmanuel Macron, et donc en premier lieu le programme de recherche du CEA qui y était associé. L’abandon d’Astrid était certes une mauvaise nouvelle pour des questions de souveraineté énergétique et industrielle, mais aussi parce qu' avec Astrid, la France avait abandonné les réacteurs à neutrons rapides, qui constituent une alternative aux REP. Comme dans beaucoup de mises à l’arrêt de projets dans la filière, Astrid a été supprimée sans projet alternatif. Le résultat ne pouvait être autre que l’affaiblissement de la filière.

9. La fermeture de Fessenheim

Mais la décision la plus marquante sur le sujet prise par l’actuel président de la République était la mise à l’arrêt définitive des deux réacteurs de Fessenheim en juin 2020, même si la décision avait déjà été prise sous Hollande. Pourtant, le rapport de l’ASN de 2019 décrivait la centrale de Fessenheim supérieure “à la moyenne nationale dans les domaines de la sûreté et de l’environnement, et dans la moyenne dans le domaine de la radioprotection”. C’est justement cette contradiction qui fait dire à la commission que cette décision était plus symbolique et politique que rationnelle. Une autre raison avancée était celle de la pression de l’Allemagne, alors lancée dans le démantèlement de son parc, pour faire fermer une centrale qui était à la frontière, située sur un fleuve commun. La PPE de 2018 pour la période 2019-2028. Depuis, le parc nucléaire français ne dispose plus que de 56 réacteurs à eau pressurisée.

10. Le trop faible développement d’alternatives

L’erreur qui accompagne toutes les autres est celle de l’absence d’alternatives. Certes, la décision de sortir du nucléaire à l’horizon 2022 par l’Allemagne est un contre-exemple en matière de mix électrique et d’écologie, mais la France a bénéficié de ses nouvelles centrales à charbon l’hiver dernier, alors que près de la moitié des réacteurs français étaient à l’arrêt. La France a longtemps pensé qu’en fermant des réacteurs en activité, en abandonnant des projets de futurs réacteurs, les énergies vertes allaient se développer comme par magie. Or, le rapport pointe un effort industriel trop faible concernant les énergies renouvelables. La politique de développement du renouvelable n’avait commencé qu’en 2005. Le retard pris dans certaines énergies renouvelables a mené à des importations très importantes, comme dans le photovoltaïque.

Les conséquences

 

Les conséquences de ces atermoiements pendant trois décennies sont connues. La crise énergétique, causée par un trop petit nombre de réacteurs fonctionnels, la corrosion sous contrainte, le vieillissement des réacteurs nucléaires, un manque dans la formation, et à terme, une explosion des prix de l’électricité. Ça tombe doublement mal : non seulement la crise du parc nucléaire se révèle au moment où toute l’Europe est en crise énergétique, mais en plus, on fait la promesse de l’électrification, après avoir prétendu que l’avenir serait à la réduction de la consommation d’électricité. Cette double crise a conduit à ce basculement inédit dans l’histoire récente du pays : la France devient importatrice nette d’énergie en 2022. La filière nucléaire nécessite une vision de long terme, et c’est ce que réclament les rédacteurs du rapport. Or, l’énergie en général a été, au cours des trente dernières années, le terrain d’affrontement de divergences politiques, faites de marqueurs et lignes idéologiques. Alors que le sujet de l’énergie est essentiel, qui concerne autant la souveraineté que le climat ou l’industrie, il a été une monnaie d’échange symbolique pour satisfaire tel ou tel camp. Malheureusement, les conséquences de ces hésitations à court terme sont tout sauf symboliques.

Le revers d’Emmanuel Macron sur le nucléaire à Belfort en 2022, avec la promesse de la construction de six à quatorze EPR2, était l’illustration d’un changement de mentalité dans la société française. Mais ce virage à 360° n’a pas permis d’échapper aux défaillances de notre parc nucléaire cet hiver (sans même parler du prochain), et ne doit pas faire oublier les trente années de ralentissement puis de recul du nucléaire civil.

Ce rapport pointe aussi les manquements des différents gouvernements dans la question des énergies renouvelables, dont le développement est jugé “progressif, mais très insuffisant” par le rapport. Pourtant, la France dispose d’un avantage industriel sur l’énergie hydraulique, pas assez exploité.

Les propositions

Antoine Armand et Raphaël Schellenberger ont publié une liste de trente propositions, résumées en six “chantiers” pour tourner la page de cette période.

  • Se doter d’une ambition énergétique pour les 30 prochaines années au moins, qui se traduise dans une loi de programmation étayée scientifiquement et industriellement à cet horizon et qui intègre pleinement l’augmentation considérable de la consommation d’électricité compatible avec nos ambitions climatiques et industrielles.

Ce chantier vise la prochaine programmation pluriannuelle sur l’énergie (pour la période 2024-2033), qui devrait être publiée cet été. L’objectif est de mener une politique compatible avec les défis de l’électrification et de la réindustrialisation.

  • Cadre européen : réformer, dans l’année et en profondeur, le marché européen, en lien avec nos choix industriels nationaux, et suspendre ou revoir les règles qui en l’état menacent notre industrie : l’Arenh, le statut des concessions hydroélectriques ; exiger le respect du traité de Lisbonne et donner un nouvel élan au traité Euratom.”

Ici, le but est de faire tomber des tabous : réforme du marché européen de l’électricité, remise en question du mécanisme de l’Arenh, etc. Les ambitions de la politique énergétique ne doivent pas être ralenties par des cadres fixés il y a plus de dix ans.

  • Décarboner notre mix énergétique en accélérant les efforts de sobriété et d’efficacité et en s’appuyant sur les énergies renouvelables thermiques.”

Conformément à la position française depuis le discours de Belfort, la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe par le nucléaire et les énergies renouvelables. La priorité est de réduire la dépendance aux énergies fossiles.

  • Renforcer notre souveraineté sur toute la chaîne de valeur et être à la hauteur des besoins en compétences du secteur énergétique et en particulier d’électricité.”

On met l’accent sur le fait que les choix énergétiques doivent faire partie intégrante de la politique industrielle du pays. L’économie ne doit plus subir les errements dans ce domaine.

  • Parc nucléaire : Refaire de la filière nucléaire la grande force française, et en particulier établir un plan évolutif de fermeture de nos centrales au fur et à mesure que l’ASN en décidera et préparer en conséquence le renouvellement complet du parc, ainsi que le renforcement du cycle du combustible ; après évaluation scientifique, arbitrer entre l’accélération de la recherche sur le multirecyclage en REP et changer d’échelle sur la recherche 4ème génération (sans pré-choix technologique)
  • Énergies renouvelables : sur le fondement d’études de rentabilité énergétique et de coût complet, lancer un plan d’installation contraignant de certaines sources ENR sur le territoire.”

En deux mots, l’idée est d’avoir la politique énergétique la plus pragmatique possible, pour éviter de finir dans le “mur énergétique”.

Les conclusions politiques

Ce rapport, rédigé en duo par un député républicain et un député Renaissance, pourrait créer quelques tensions. D’abord, le rapport montre qu’au départ, le débat sur la période à évaluer divisait les parlementaires. Tandis que le président du groupe LR Olivier Marleix partait sur les dix dernières années, soit les années Hollande et Macron, des députés Renaissance, dont Antoine Armand, ont souligné que certaines erreurs étaient antérieures à 2012, donc sous la responsabilité de la droite alors au pouvoir. Les députés RN de la commission ont avancé que les gouvernements sous Chirac et Sarkozy étaient aussi impliqués dans ce déclin. Ce rapport n’est pas avare dans ses critiques envers des responsables politiques : Lionel Jospin, Corinne Lepage, Ségolène Royal, François Hollande, Nicolas Hulot, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne entre autres.

Le revirement d’Emmanuel Macron à Belfort est certes salué par de nombreux partisans du nucléaire, mais cette ambiguïté pose question quant à la recherche de responsables de l’état des lieux. Alors que le rapport est l’occasion pour de nombreux opposants de mettre en avant le mauvais bilan du président de la République, celui-ci semble vouloir profiter de ce rapport pour donner du poids à sa politique énergétique actuelle. Et cette ambivalence donne lieu à un différend entre la Ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher et le député Schellenberger. Ce dernier s’étonne dans un communiqué publié le 11 avril que lors d’une visite dans une forge en Essonne, la ministre s’approprie le rapport. Le député du Haut-Rhin tient à rappeler que l’initiative de ce rapport est parlementaire, et que des membres de la majorité sont aussi visés par celui-ci.

Du côté du gouvernement, ce rapport est vu comme étant dans la continuité de sa politique depuis un an, tandis que pour le député, son travail doit marquer une vraie rupture et démontrer qu’Emmanuel Macron, au cours de son premier quinquennat, et Elisabeth Borne, en tant que directrice de cabinet de Ségolène Royal, ont eux aussi fait des erreurs notables.