La sobriété énergétique n'est pas la solution face à l'affaiblissement de nos capacités électriques
La France a traversé la fin d’année 2022 sous la menace d’une rupture de ses capacités électriques. Les origines de cette menace sont connues : un parc nucléaire partiellement à l’arrêt, une météo peu propice au fonctionnement à pleine puissance des renouvelables et une crise sur l’approvisionnement au gaz. Une tension qui a conduit le gouvernement a lancé en octobre un plan de sobriété énergétique. La baisse de la consommation électrique oscille autour de -10% mais elle est principalement portée par les entreprises : début 2023, -20% pour l'industrie, -15% pour les transports. Ainsi, si les Français n'ont pas eu à subir des coupures... c'est en partie grâce à un ralentissement de notre économie. Ralentissement qu'il est abusif de présenter comme de la sobriété énergétique.
Retour sur baisse de consommation énergétique de l'hiver 2022-2023
Le 6 octobre dernier, la Première Ministre, prenant acte de la crise énergétique, présentait un plan de sobriété avec un objectif de baisse de 10% de la consommation d’énergie d’ici 2024, adaptée à chaque filière pour faire la chasse au gaspillage d’énergie. Les actions identifiées devaient représenter un potentiel de réduction de consommation de l’ordre de 50 TWh selon le gouvernement. Un effort cohérent avec l’ampleur du besoin d’énergie en cas de scénario dégradé de passage de l’hiver, selon la ministre de la transition énergétique qui a précisé « la réduction de la consommation d’énergie est un objectif de long terme pour atteindre la neutralité carbone et sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Comme l’indique le rapport Futurs énergétiques 2050 de RTE, il est nécessaire de réduire notre consommation d’énergie de 40% d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone dans un contexte de hausse substantielle des besoins en électricité. Nous devons donc profondément et structurellement changer nos habitudes et nos comportements pour faire des économies d’énergie. Le plan de sobriété énergétique est la première marche de cette réduction de 40% de notre consommation d’énergie. »[1]
C’est dans ce contexte que le gouvernement a développé une vaste campagne de communication sur le thème de « chaque geste compte » appelant à des efforts de sobriété de la part des Français. Dès le mois d’octobre, on a ainsi pu entendre sur les ondes, cette formule « je baisse, j’éteins, je décale ». Le gouvernement a également mis en œuvre des mesures dans les administrations et encouragé le même type d’actions dans les établissements recevant du public et dans les entreprises[2].
Fin décembre 2022, les premiers résultats ont été partagés par le gestionnaire du réseau électrique, RTE et largement relayés par de nombreux observateurs et politiques. Ainsi, Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie, déclarait le 28 décembre 2022 sur France Info se réjouir de voir une baisse de 9% de la consommation sur les 4 derniers mois de l’année, dont 7,4% sur la dernière semaine de 2022, comparée à cette même semaine sur les années précédentes.
Une satisfaction donc pour le gouvernement d’avoir été entendu, comme une réponse à l’appel du Président de la République qui disait le 5 septembre « Si nous savons collectivement nous comporter de manière plus sobre et nous savons faire des économies d'énergie partout, alors il n’y aura pas de rationnements et il n’y aura pas de coupures ».
Pour évaluer l’ampleur des efforts fournis il faut cependant distinguer la vraie sobriété de l’effacement du marché d’un certain nombre de clients sous l’effet de l’augmentation des prix.
Ainsi, RTE diffuse de façon hebdomadaire des indicateurs de la consommation électrique française. Le dernier bilan indique que la consommation d’électricité en France est en baisse par rapport à la moyenne des années précédentes (2014-2019, hors crise sanitaire) de -8,8% sur les 4 dernières semaines et de 9,6% sur la semaine passée. Mais le gestionnaire du réseau indique également les chiffres par filière : grande industrie et ferroviaire. Les chiffres pour l’industrie (consommation sur les 30 derniers jours comparée à la même période pour les années précédentes) sur la période 2015-2019[3] indiquent une consommation moyenne de 4770 GWh. Pour 2023, la consommation moyenne des 30 derniers jours est seulement 3800 GWh soit en baisse de 20%. Pour le ferroviaire, la consommation moyenne 2015-2019 était de 721 GWh, elle n’est que de 609 GWh en 2023, soit en baisse de 15%[4].
Ces chiffres ne sont pas vraiment une surprise : déjà en octobre dernier, juste avant que le gouvernement ne lance son plan de sobriété, Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie, de la prospective et de l’évaluation de RTE, indiquait « Par rapport à la tendance du premier semestre, la diminution est de l’ordre de 3 % à 4 % sur le mois de septembre 2022 ». Jugeant qu’il était « trop tôt pour analyser les effets du plan de sobriété »., il estimait que la baisse de la consommation d’électricité était encore plus marquée dans les grandes entreprises industrielles, de -8 % à -9 %, du fait du « ralentissement économique observé en Europe et spécifiquement [de] la hausse spectaculaire des prix de l’énergie, qui ont conduit certaines usines à arrêter ou modérer leur activité ».[5]
Pour estimer l’effet des gestes de sobriété sur les particuliers, on peut regarder l’exemple de la fragile péninsule électrique bretonne : les messages de sobriété (écowatt) entrainaient à court terme des réductions de l’ordre de grandeur de -2 à -3% s’atténuant progressivement après les campagnes d’alerte.
La baisse spectaculaire de consommation avancée tiendrait donc plus de l’arrêt de production de nos entreprises. On peut citer plusieurs exemples (Arc France, Duralex, Ascometal ou Arcelor Metal sans compter de nombreuses PME et ETI moins connues du grand public). Les perturbations du marché constatées dans la conjoncture présente ont conduit à arrêter des productions devenues non rentables. Mais il ne s’agit pas là de sobriété.
La sobriété : de quoi s’agit-il ?
Souvent invoquée, la sobriété énergétique est-elle une ressource à disposition de l’Etat permettant de redimensionner à la baisse les systèmes énergétiques dont l’électrique ? Les représentants du réseau électrique, RTE l’ont évoquée dans leur rapport Futurs énergétiques 2050, paru en 2021. Dans ce rapport, RTE jugeait indispensable d’agir sur la consommation grâce à l’efficacité, voire la sobriété, pour atteindre les objectifs climatiques (neutralité carbone en 2050)[6].
Ainsi à partir d’une consommation théorique estimée à 845 TWh en 2050, les scénarios RTE suggéraient possible d’atteindre 645 TWh grâce aux actions d’efficacité et (-200) et même 555 TWh grâce à la sobriété, soit respectivement une baisse de -25% et de -15% par rapport à la tendance.
Or, nous avons constaté une rupture de tendance depuis le début des années 2000, la consommation électrique est devenue, hors périodes de crise, quasiment stable, alors qu’elle avait connu depuis 1945 une croissance forte. Cette stabilité remarquable alors que la population de la France continue de croître résulte, hélas en partie d’une perte de compétitivité industrielle de la France accentuée depuis les années 2000-2010, mais aussi d’une plus grande efficacité. Il y a là un succès de politiques publiques ayant prescrit des normes pour les éclairages ainsi que des affichages de performance des appareils électroménagers de plus en plus lus par les consommateurs. En témoigne une des dernières communications des professionnels d’équipements électriques (voir encadré) mais il semble difficile d’envisager que de tels gains d’efficacité se poursuivent à de même rythme.
Chaque foyer français est équipé en moyenne de sept machines et de 17 petits équipements, selon le Gifam, groupement interprofessionnel des fabricants d'appareils et d'équipement ménager qui réunit 50 groupes et 117 marques »
« Les professionnels misent sur les progrès de sobriété de leurs appareils pour attirer de nouveaux clients: entre 2001 et 2021, "les lave-linge consomment 68% de moins d'électricité et 26% de moins d'eau", fait valoir Camille Beurdeley, directrice générale du Gifam.
En 20 ans, les sèche-linge ont réduit leur consommation d'électricité de 78%, les fours de 37%, et les lave-vaisselle de 56%.
Pour aller plus loin, le gouvernement peut compter sur des gestes de sobriété mais qui seront d’autant moins visibles dans un contexte d’électrification des usages (chauffage, déplacements, développement du numérique, etc.) Reste enfin la sobriété éthique : il s’agit d’une prise de conscience à laquelle de plus en plus de nos concitoyens sont sensibles mais dont il est illusoire de prétendre à une régulation autoritaire de la vertu.
Conclusion
Les leviers essentiels par lesquels l’Etat peut inciter à la sobriété sont une communication ciblée sur le long terme, une mobilisation des producteurs d’énergie et les développements d’investissements dépendants en partie de lui, notamment les rénovations thermiques pour autant qu’elles soient efficaces.
Ne cédons pas à la facilité de prendre une conception discutable de la sobriété comme variable d’ajustement des capacités pilotables à prévoir pour le système électrique comme cela a été le cas pour les dernières PPE ce qui a conduit RTE depuis 2015 à programmer une baisse du potentiel électrique pilotable que nous payons très cher aujourd’hui. Les discours officiels se félicitant d’une soi-disant sobriété des français de l’ordre de 10% sont une provocation pour les entreprises étouffées par des majorations insupportables résultant de l’incurie de décideurs de ces dernières années.
[1] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf
[2] https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16012#:~:text=Le%20plan%20de%20sobri%C3%A9t%C3%A9%20%C3%A9nerg%C3%A9tique%20a%20%C3%A9t%C3%A9%20annonc%C3%A9%20le%206,%2C%20entreprises%2C%20collectivit%C3%A9s%20et%20citoyens.
[3] L’année 2014 n’est pas disponible
[4] https://www.rte-france.com/synthese-hebdomadaire-consommation-electrique-francaise
[5] https://www.lemonde.fr/energies/article/2022/10/19/gaz-la-consommation-a-baisse-de-14-en-france-depuis-le-mois-d-aout_6146473_1653054.html
[6] https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats.pdf