Futurs Énergétiques 2050 : RTE envoie-t-il la France dans le mur ?
La Commission d’enquête parlementaire présidée par Raphaël Schellenberger a mis au jour les désastreuses décisions prises dans les années passées concernant notre mix électrique et leurs effets. Deux enseignements peuvent en être tirés :
- L’énergie relève du temps long. De mauvaises décisions ne montrent leurs effets nocifs que des années, voire des décennies plus tard. Il faut malheureusement longtemps pour les corriger. 2050, c’est demain.
- Lorsque l’idéologie veut ignorer les lois de la physique et de la technologie, ces dernières finissent toujours par prévaloir.
Le seul document disponible servant de fondement au processus conduisant à la prochaine PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) est « Futurs Énergétiques 2050 », élaboré par RTE à la demande des gouvernements du dernier quinquennat.
Ce document vise à une décarbonation de notre consommation totale d’énergie en 2050. Nous examinons ici la part électrique de cette future consommation d’énergie.
Le Président de la République a opéré, dans son discours de Belfort de février 2022, une volteface sur le nucléaire, promettant la construction de nouveaux réacteurs et la prolongation des centrales existantes sous réserve bien sûr d’approbation par l’Autorité de Sûreté Nucléaire, faisant dès lors du nucléaire, énergie décarbonée et pilotable dans laquelle la France possède une longue expérience et une vraie expertise, le grand pilier de notre politique électrique, et de facto, un grand projet pour la France.
Ce virage majeur, dont il faut se réjouir, ne répond pas cependant à toutes les graves questions que pose le projet de RTE.
L’électrification à marche forcée de toute notre économie (chauffage, transports, process industriels) voulue pour décarboner notre consommation totale d’énergie, va considérablement rigidifier notre économie. L’électricité ne se stocke pas et ne se stockera pas massivement à l’horizon 2050 ( les technologies de stockage massif étant au mieux embryonnaires) et RTE ne compte qu’au second ordre sur de telles solutions.
L’électricité est en cela une énergie très différente du gaz ou d’autres hydrocarbures pour lesquels on peut constituer des stocks importants (précaution pour les hivers, stocks stratégiques...). La demande d’électricité doit être satisfaite à chaque instant par la production correspondante, laquelle, appelée, doit être immédiatement disponible. A défaut c’est le « délestage », la panne, le black-out et le blocage de toute l’économie. Les plus anciens se souviennent du 19 décembre 1978, et ce n’était qu’une seule journée.
Les fournisseurs éventuels, en recours si notre production nationale d’électricité est insuffisante, sont en nombre très restreint.
La guerre en Ukraine et les sanctions qui en ont découlé, ont montré qu’il était possible en un temps très court de trouver de nouveaux fournisseurs de gaz, certes avec un surcoût, mais sans que l’économie ne soit jamais bloquée. Les méthaniers et autres navires transporteurs de GNL ont apporté la flexibilité nécessaire. Des supertankers peuvent nous approvisionner en produits pétroliers venant de multiples sources.
L’électricité, elle, ne peut être acheminée que par des lignes de transport électrique à haute tension et ne peut provenir que d’un très petit nombre de pays voisins, qui doivent avoir une production appelable au moment où nous le souhaiterons.
L’électricité sera la source d’énergie prépondérante de tous les acteurs de l’économie, ménages, transports, industrie et services.
Son coût et donc son prix, seront déterminants pour le pouvoir d’achat des Français et pour la compétitivité du pays. C’est à l’aune de ces contraintes, très exigeantes, qu’il faut examiner le projet de RTE en se posant trois questions.
- La France aura-t-elle, à tout moment et en toutes circonstances, la quantité d’électricité nécessaire pour assurer la croissance et la prospérité ?
- La souveraineté en matière de fourniture d’électricité sera-t-elle à la hauteur de l’importance vitale de cette énergie ?
- Le coût et donc le prix de cette électricité seront-ils compétitifs dans un monde concurrentiel ?
Les hypothèses de RTE nous mènent à un manque d’électricité en 2050 ou avant
RTE prévoit que notre consommation totale toutes énergies baissera de 40% d’ici à 2050 (de 1600 Twh à 930 Twh), nous ramenant ainsi en 2050 à notre consommation de 1970.
La France compte 16 millions d’habitant de plus qu’en 1970 et notre économie sera en 2050 au moins cinq fois plus grande qu’alors, ce qui illustre l’ampleur de l’amélioration prévue de notre efficacité énergétique.
Cet objectif de baisse de 40% est d’ailleurs trompeur. Jusqu’en 2005, la consommation totale d’énergie de la France a toujours augmenté avec notre économie. Cette consommation a ensuite connu un léger recul, dans une période marquée par deux crises majeures (subprimes et Covid) et par une désindustrialisation accélérée. Ce n’est certainement pas ce qu’il faut souhaiter d’ici à 2050 !
Dans un contexte normal notre consommation totale d’énergie aurait repris une croissance modérée d’ici à 2050. La réduction prévue par RTE est ainsi plus proche de 60% que de 40%. Un énorme effort, sans précédent dans notre histoire ni d’équivalent dans d’autres pays.
RTE estime que l’électrification massive apportera des gains considérables d’efficacité qui s’ajouteront aux efforts que feront tous les consommateurs, familles, usines, bureaux etc. Que se passera-t-il, si, malgré beaucoup d’efforts, nous n’y parvenons pas ou si nous y parvenons bien après 2050 ?
Si nous avons dimensionné notre production électrique à la hauteur de cette prévision 2050, sans une large marge de sécurité, ce sera la panne générale, la décroissance forcée et une énorme récession.
Ce sera aussi la désindustrialisation du pays ; d’autant plus que voyant poindre cette pénurie, les industries qui le pourront partiront bien avant dans des pays mieux pourvus, heureux de les accueillir.
Nous savons aussi que le monde d’ici à 2050 sera toujours un monde d’innovations. Nous ne savons pas quelles elles seront, mais beaucoup seront consommatrices d’énergie électrique. Il y a trente ans, par exemple, Internet démarrait ; aujourd’hui sa consommation électrique est la même que celle du Japon, soit 5% de la consommation électrique mondiale.
La croissance de la consommation d’énergie par habitant à long terme est une caractéristique de l’aventure humaine, poussée par le développement scientifique et technique.
La France planifie-t-elle de ne pas participer à l’aventure du monde qui nous environne et se retirera -t’elle de l’histoire parce que RTE aura été trop pessimiste ?
Rappelons que dans divers scénarios, l’Allemagne prévoit un doublement de sa consommation électrique d’ici à 2045, quand RTE prévoit moins de 40% d’augmentation d’ici à 2050. Alors que le « scénario de référence » de RTE prévoit une consommation électrique de 645 Twh en 2050, plusieurs études bien documentées (en particulier Cérémé-Roland Berger, Académie des Technologies... ), prévoient une consommation d’au moins 800 à 900Twh.
Il serait utile et responsable d’y réfléchir. C’est folie de planifier ainsi un fort risque de manquer d’électricité.
Investir beaucoup plus en capacité de production électrique est non seulement une indispensable sécurité, mais c’est aussi un investissement sans risque puisque les centrales nucléaires actuelles même prolongées arriveront en fin de vie et qu’il sera alors temps de décider ou non de les remplacer (32 réacteurs nucléaires existants prolongés à 80 ans devront être remplacés autour de 2050 et les autres dans la foulée).
...et notre souveraineté ?
Même avec cette faible croissance de notre consommation électrique, RTE suppose que la France pourra appeler une puissance de 39GW d’électricité importée. C’est l’équivalent de plus de 60% de notre capacité nucléaire actuelle. Quels pays, nécessairement voisins, pourraient nous garantir semblables quantités d’électricité à un prix compétitif à un horizon aussi lointain, alors que tous seront aussi dans des bouleversements profonds de leur mix énergétique ? Est-ce raisonnable ?
Comment planifier, préparer, construire structurellement une aussi incroyable faiblesse ?
Si les schémas de RTE font appel à une forte composante éolienne et photovoltaïque, n’oublions pas que la Chine détient le quasi-monopole de la production de panneaux solaires et qu’elle est en passe d’en faire autant pour les éoliennes, comme le montrent les difficultés des producteurs européens et américains.
N’oublions pas non plus que l’explosion des kilomètres de réseaux de lignes électriques à construire pour faire face à la dissémination sur le territoire de ces sources d’énergie intermittentes, vont faire s’envoler la demande mondiale de cuivre et son prix, rendant peu prévisible le coût d’extension de notre réseau électrique.
Alors que nous vivons douloureusement les effets sur notre vie de tous les jours du coût de notre dépendance énergétique, « Futurs énergétiques 2050 » nous promet une souveraineté encore affaiblie.
...et quel sera le coût de notre électricité ?
Les schémas de RTE doivent certes être corrigés déjà pour tenir compte des annonces du Président de la République en matière de capacité nucléaire.
Pour le moment, même le plus « nucléaire » des schémas de RTE repose sur une très forte croissance de l’éolien et du solaire. Ces deux sources d’énergie sont par nature intermittentes et non pilotables. En un mot, elles produisent quand il y a du vent ou du soleil et non quand on a besoin d’électricité.
Sous nos latitudes, une centrale solaire produit en moyenne annuelle moins de 15% de sa capacité nominale. En outre 5% de sa production annuelle seulement se fait en hiver quand les besoins d’électricité sont au maximum. Une éolienne produit en moyenne moins de 25% de sa capacité avec des variations très fortes d’une minute, d’un jour, d’un mois et même d’une année à l’autre.
En l’absence de technologies de stockage de très grandes quantités d’électricité, dont aucune ne parait aujourd’hui envisageable à grande échelle à l’horizon de 2050, ni l’éolien ni le solaire ne peuvent être des sources autonomes d’électricité, fournissant une puissance garantie appelable à tout moment. Elles doivent être jumelées avec des capacités électriques pilotables, qui sont arrêtées ou ralenties lorsque éoliennes ou panneaux solaires produisent et mises en route lorsque le vent ou le soleil sont faibles ou absents.
Notre production hydro-électrique étant proche du maximum possible, les seules sources d’électricité pilotables pour appuyer un fort développement de l’éolien et du solaire sont des centrales nucléaires., (mais Il serait alors absurde de construire des capacités éoliennes ou solaires puisque le nucléaire est totalement décarboné), ou bien des centrales à gaz supplémentaires, puisque notre capacité thermique actuelle est totalement utilisée pour satisfaire les pointes de consommation et pour ajuster finement production et consommation.
Plusieurs études (Cérémé, Jancovici et même RTE) ont montré que le coût du kWh éolien ou solaire était largement plus élevé que celui du kWh nucléaire lorsque l’on y affecte tous les coûts liés (réseau de transport électrique, sous-activité et rendement dégradé des sources pilotables d’appui, etc.)
Plus la part de sources éoliennes et solaire dans le mix électrique futur sera forte, plus le prix de notre électricité sera élevé.
En outre les centrales à gaz nouvelles, qui ne fonctionneront certes qu’une partie de l’année, émettront du CO2, attendant un hypothétique fonctionnement à l’hydrogène, probablement irréaliste à l’horizon 2050. Faudra t’il construire encore plus de capacités éoliennes et solaires pour réduire ces émissions ?
C’est le schéma de l’Energiewende allemande (voir encadré) ruineux et avec de fortes nuisances environnementales. Un « modèle » à ne pas suivre.
Qu'en conclure ? Que même modifiés par les nouveaux engagements nucléaires du Président de la République, les « Futurs énergétiques 2050 » de RTE nous préparent une pénurie d’électricité en 2050 ou avant et une décroissance forcée, une souveraineté énergétique diminuée et des prix de l’électricité d’autant plus élevés que la part éolienne et solaire sera forte. Est-ce vraiment ce que veulent les Français ?
L’Energiewende allemande : un modèle à ne pas suivre Après la sortie du nucléaire, l’essentiel de la production électrique allemande est assuré par des centrales thermiques au gaz et au charbon. Pour les décarboner, l’Allemagne a déjà construit d’importantes capacités éoliennes et solaires. Pourtant fin 2021, alors que l’Allemagne disposait d’une puissance installée éolienne 3,4 fois supérieure à la France et 4,5 fois pour le solaire, elle émettait 8 fois plus de CO2 par kWh produit que la France. En moyenne, dans le climat allemand, une éolienne produit annuellement moins de 25% de sa puissance installée ; un panneau solaire moins de 15%. Comme elle ne peut changer ni le régime des vents ni l’ensoleillement, l’Allemagne n’a d’autre solution que d’augmenter les puissances renouvelables intermittentes installées permettant ainsi de ralentir d’avantage les centrales thermiques pendant que le vent souffle ou que le soleil rayonne. L’Allemagne vise à une décarbonation de sa consommation toutes énergies en 2045.A cette date elle estime que sa consommation électrique aura doublé. Elle devra construire des centrales thermiques, seule source pilotable. Pour les décarboner elle a fixé, par plusieurs lois successives un objectif de 600 GW de capacité renouvelable intermittente en 2045. En comptant sa probable capacité pilotable elle aura ainsi une puissance égale à 7 fois son besoin de pointe ! Alors que sa consommation n’aura que doublé entre 2022 et 2045, elle aura multiplié par 5 sa puissance installée. Au coût des équipements s’ajoutera le coût des lignes de transport à construire. On imagine le coût colossal de ce choix par kWh produit, qui sera à payer par les particuliers comme par l’industrie. Quelques rappels : Un Allemand émet en moyenne 75% plus de CO2 qu’un Français ; un Américain 3,3 fois plus. Et chacun du 1,4 milliard de Chinois 70% de plus qu’un Français. Pour sa production électrique, la France a émis en 2021 36g de CO2 par kWh ; c’est 6 fois moins que la moyenne de l’Union européenne. |
Une analyse signée par :
Gérard Buffière. Bernard Kasriel.
Ex-Directeur Général d’Imérys Ex-Directeur Général de Lafarge