Encore une fois, RTE n'assume pas qu'il faudra plus de centrales pilotables et thermiques
Le 19 septembre dernier, RTE, gestionnaire du réseau électrique, a publié un bilan prévisionnel 2023-2035 des trajectoires de transformation du système électrique français. Ce bilan s'inscrit dans la feuille de route de la France pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. Il doit en particulier documenter la manière pour la France d'atteindre les objectifs réhaussés par l'Europe (fit for 55 soit une baisse des émissions de CO2 de 55% en 2030 par rapport à 1990) tout en conjuguant un effort de réindustrialisation. Contrairement aux exercices de planification énergétique précédent, le bilan admet que la croissance des besoins en électricité sera forte sur les prochaines décennies, surtout dans un contexte de reconquête industrielle. Mais les scénarios présentés passent sous silence les risques en matière de sécurisation du système électrique et d'intermittence. Le bilan ne s'attarde pas non plus sur les coûts des différents scénarios alors qu'il s'agit d'un enjeu essentiel dans un contexte difficile (inflation, taux d'intérêt). Il est très regrettable que RTE n’ait pas modélisé le mix le plus compétitif à résultat climatique équivalent. Les décideurs ont besoin d'éléments rationnels -et non d'hypothèses - pour guider leurs choix d'investissements qui sont essentiels pour l'avenir du pays.
L’examen de la présentation et des textes publiés le 19 septembre par RTE est préoccupant. Certes, on y trouve quelques points rassurants, tels que :
La perspective inéluctable d’une croissance forte des besoins en électricité;
Les scénarios à objectif 100 % renouvelables, très présents dans le document « 2050 » de 2021, semblent tombés dans l’oubli, même dans les questions en conférence de presse ;
Le nucléaire est clairement rentré en grâce.
Toutefois, la présentation de RTE reste très contestable. Elle consiste à noyer les Autorités sous une multitude de scénarios, eux-mêmes à géométrie variable, ce foisonnement étant supposé montrer un grand sérieux d’analyse. Dans les faits les choix seront d’autant plus difficiles que RTE affirme que toutes les hypothèses sont réalistes à condition que les objectifs qu’ils affichent dans tous les secteurs soient réalisés, les hypothèses retenues étant hors du champ de compétences de RTE.
Sur un plan général, il est frappant de constater que ce bilan s’attache à l’horizon 2035, alors que les engagements de la France vis à vis des directives et recommandations européennes sont fixés à 2030. Faut-il en déduire que RTE estime les objectifs 2030 largement inatteignables ?
Sans entrer dans trop de détails techniques, ce bilan prévisionnel appelle plusieurs remarques :
On ne peut qu’être surpris de la légèreté de la présentation faite de la gestion de l’intermittence. Pour RTE , les énergies dites renouvelables, essentiellement intermittentes , ont un apport significatif à l’équilibre de nos réseaux électriques alors que leur production est fondamentalement aléatoire, imprévisible, alternant entre la nullité et l’excès tant pour l’éolien que le solaire. Leur saisonnalité, est peu marquée avec des apports plus important pour l’éolien l’hiver et pour le solaire l’été : seules les centrales thermiques répondent à ce besoin de saisonnalité.
La difficulté immense de la gestion d’une très importante variabilité de la production est gravement sous-estimée. Une simple extrapolation à 2035 des productions aux capacités indiquées (122 GWe intermittents) montre la difficulté de la tâche, sauf à modifier très profondément les conditions d’acceptation de ces productions sur les réseaux. En conditions hivernales la fluctuation de puissance sur une journée pourra atteindre 60 GWe (Fig. 2).
En conditions estivales, les fluctuations seront aussi importantes, de 50 à 60 GWe bi-quotidiennement (Fig. 3), alors que la consommation est faible, inférieure aux pics de production intermittente, et que le nucléaire sera capable de produire continument 35 GWe.
Et comment gérer ces situations :
Si des centaines de GWe éoliens et solaires débordent des pays voisins qui se sont interdit le recours au nucléaire et déclarent réduire drastiquement leur recours aux énergies carbonées pilotables ?
Deux fois dans la journée en été alors que les variations horaires de puissance délivrées par les intermittentes culminent entre 10 et 14 GWe par heure, ce qui est considérable (Fig. 4).
En hiver quand la production intermittente s’effondre pendant 2 ou 3 semaines, entre 3 et 10 % de leur capacité.
RTE affirme que le niveau de sécurité d’alimentation va s’améliorer à court terme. Cette affirmation est trompeuse et résulte d’une analyse tendancieuse, destinée à rassurer (Fig. 1). Dans les faits, RTE reconnait :
Avoir laisser s’effondrer notre puissance pilotable de 11 GWe, y compris Fessenheim,
Accepte de fait une dégradation de la sécurité d’approvisionnement, en adoptant une approche probabiliste, alors qu’elle était quasiment déterministe dans le passé.
Considère que les capacités intermittentes ajoutées entre 2010 et 2020 (environ 20 GWe) apportent une garantie de production supplémentaire de 3 GWe, soit 11 ,6 % de la capacité installée, ce qui est contredit par la réalité.
Affirme qu’une une hausse du stockage et des effacements de 2,5 GWe, non documentés, est équivalente à une baisse de 5 GWe de la pointe de consommation.
Admet, de manière optimiste, une dégradation de la marge nette limitée à 7 GWe environ avec, si on s’adresse au long terme (2030 et 2035) deux difficultés sous-jacentes:
Une augmentation de la consommation de 15, puis 35 %, par rapport à 2019, qui pèsera sur la pointe de consommation, déjà supérieure en 2030 de 6 GWe à l’actuelle.
Une baisse considérable des puissances pilotables en Europe de l’ouest qui va conduire à l’effondrement des contributions des interconnexions en périodes climatiques défavorables.
L’exercice d’évaluation du coût des divers scénarios présentés en juin 2023 n’a pas été actualisé et la seule présentation sur les coûts de production précise qu’ils sont hors coûts réseaux, coûts commerciaux, équilibrage et service système, préfinancement des moyens futurs et inflation, ce qui est inacceptable. Le surinvestissement considérable dans le solaire et l’éolien sera amplifié par toutes leurs externalités négatives, habilement cachées dans les documents présentés.
Il est très regrettable que RTE n’ait pas modélisé le mix le plus compétitif à résultat climatique équivalent. Il indique qu’aucune capacité additionnelle thermique ne sera nécessaire dans le scénario de référence et les besoins de capacités pilotables supplémentaires ne sont indiqués que du bout des lèvres, quelques GWe « décarbonés à termes », à mettre en regard du déficit actuel de puissance pilotable de 7 GWe auquel il faut ajouter 6 GWe de pointe supplémentaire pour les seuls bâtiments en 2030. Il est vrai qu’il est difficile pour RTE d’annoncer le besoin d’augmenter les capacités thermiques d’ici 2030 après avoir prôné une baisse des capacités pilotables. Pourtant, l’ajout de centrales de pointe thermiques permettrait, avec une électricité additive peu carbonée (mix gaz/intermittentes optimisé du point de vue économique) de décarboner plus rapidement les autres secteurs tout en évitant l’appel à des importations souvent carbonées et à prix très élevé, comme l’hiver dernier. L’analyse du niveau nécessaire de production pilotable pour garantir notre souveraineté et protéger notre économie n’est pas abordé sérieusement
Les prévisions 2030 annoncées par RTE reposent sur des hypothèses qui restent à démontrer, touchant des domaines très divers : la flexibilité de la consommation, la capacité d’effacement, la gestion des recharges des véhicules électriques, le développement des électrolyseurs et du stockage sur batterie, la disponibilité des apports par les interconnections au même niveau qu’aujourd’hui. Une telle évolution en 7 ans seulement est un véritable défi, comme le montre l’analyse de la décennie 2010/2020, et est peu compatible avec la volonté de réindustrialisation du pays.
L’impact des politiques de pays voisins est très peu évalué, alors que le développement de la production intermittente n’est pas coordonné au niveau européen et que des politiques radicales se développent chez nos voisins immédiats.
Conclusion
Le rapport ainsi présenté par RTE est décevant. RTE est un établissement public chargé d’éclairer les pouvoirs publics sur l‘équilibre de nos réseaux électriques dans les années à venir dans les meilleurs conditions économiques. Or ce rapport ne vise à aucun moment à établir le scénario le plus compétitif par tonne de GES émis, ce qui devrait être l’objectif. Il se contente d’accompagner la vision d’une SNBC qui date et dont la pertinence est pour le moins discutable. Dans les circonstances actuelles, dont chacun perçoit le caractère à tout point de vue périlleux, nous avons besoin que nos responsables politiques disposent d’éléments rationnels, solidement établis, pour prendre les décisions les plus pertinentes pour assoir la compétitivité et l’indépendance d’un vecteur électrique qui devient primordial. Il reste un énorme travail à faire pour préparer ces éléments et les confier à nos décideurs !