Contrôleurs aériens : une grève indigne
Air France a d’ores et déjà annoncé que 55% de ses vols courts et moyens-courriers, ainsi que 10% des vols longs-courriers, ce vendredi 16 septembre étaient annulés. Cela sans exclure des annulations de dernière minute. On parle déjà de plus de 1 000 vols annulés. En cause, un préavis de grève déposé par le Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien. Leurs revendications ? Une hausse des salaires pour compenser l'inflation, et des recrutements.
Sauf qu'en 2021, un rapport de la Cour des comptes faisant le point sur les conditions de travail de ces agents soulignait que, si leur coût d'emploi par heure de service est inférieur à la moyenne européenne... cette comparaison est à nuancer du fait que :
- Le temps de travail des contrôleurs français est inférieur à la moyenne européenne... et leur temps de travail effectif est potentiellement encore plus réduit (99 jours de travail effectif pour la Cour, selon une estimation de 2010 contre 155 officiellement) ;
- Leur productivité, avec moins de 1 vol contrôlé par heure de contrôle, est très faible (27ème au rang européen) contre plus de 2 vols par heure en Allemagne ;
- Les grèves françaises représentent 96% des retards aériens européens.
Des problématiques à régler avant d'évoquer la question des revalorisations...
Un temps de travail et une productivité moindres...
- Un nombre d'heures de service inférieur à la moyenne européenne
Selon la dernière enquête d'Eurocontrol, la moyenne européenne du nombre d'heures de service des contrôleurs aériens était de 1 324 heures par an contre 1 284 heures pour les contrôleurs français.
Le Cour des comptes s'inquiète cependant de la faiblesse du contrôle et du suivi sur le temps de travail effectif des contrôleurs français, et recommande d'ailleurs "au plus tard en 2023, [de] mettre en place un outil automatisé de suivi du temps de travail de tous les agents de la DGAC". Pour rappel, les contrôleurs aériens disposent théoriquement d’un temps de travail annuel effectif de 1 420 heures, qui se décomposent en 1 312 heures de « vacations » de contrôle et 108 heures de formation. Cela revient en moyenne à 32 heures de travail hebdomadaire et 8 semaines de congés payés dans l’année. Or, les contrôleurs aériens français bénéficient d’une disposition unique en Europe : celle du « un jour de travail sur deux ». En effet, le rythme de travail est structuré par des cycles de 12 jours où seuls 6 sont censés être travaillés, soit théoriquement 155 jours de travail effectif par an. La durée des vacations est fixée à « cinq heures minimum et 11 heures maximum le jour et 12 heures la nuit. Elle inclut un temps de pause égal à 25% de la durée totale des vacations pour les organismes de contrôle ouverts 24/24h et 13% pour les autres ».
Ainsi, l’opacité de la gestion du temps de travail des contrôleurs aériens ne permet pas de pleinement mesurer l’ampleur du nombre de jours d'absence officieux ou « clairances » accordés aux contrôleurs aériens en plus de leurs congés et repos officiels. Dans un rapport datant de 2010[3], la Cour des comptes estimait à 56 le nombre annuel de jours de repos officieux par aiguilleur, abaissant à 99 jours de vacations le temps de travail annuel effectif moyen, formation comprise. Le ministère de l’Ecologie avait à l’époque répondu en brandissant un nombre de 140 jours de vacations travaillés par an. La DGAC maintient quant à elle un nombre de 155 jours de vacations travaillés.
Pour rappel, dans le privé, un salarié à temps plein avec 5 semaines de congés travaille 201 jours par an.
- La France 27e au classement de la productivité
En 2017, la productivité moyenne horaire d’un contrôleur aérien en Europe était de 0,88 heure de vol pondérée par heure de contrôle. Or, la France figure au 27e rang avec une productivité qui s’élève à seulement 0,78, tandis que le centre de Maastricht est largement en tête (2,06) et que l’Allemagne (1,15) et le Royaume-Uni (1,07) sont également loin devant.
La Cour des comptes aborde aussi cette question et souligne que la productivité des contrôleurs aériens français augmentent moins vite (+4% entre 2013 et 2017) que la moyenne européenne (+9%). La Cour associe d'ailleurs directement la question de la productivité à celle des salaires et explique que "le coût d’emploi du contrôle aérien par heure de vol pondérée s'établit à 134€ en France pour une moyenne européenne à 130€. Au total, le plus faible niveau relatif de rémunération des contrôleurs français compense donc en partie leur plus faible productivité horaire".
- Les grèves françaises représentent 96% des retards européens
Mandaté par la Commission européenne, le cabinet Ricardo Energy and Environment a mené une étude sur l’influence des grèves sur le trafic aérien européen. Il en ressort que sur la période 2004-2016, les grèves des contrôleurs aériens français ont représenté 67%[4] des jours de grève et 96% des retards engendrés par des grèves européennes. Alors que le service minimum français prévoit qu’au moins 50% des survols soient assurés, il n’existe dans la pratique aucun dispositif pour s’assurer du respect de la règle.
- Des départs anticipés à la retraite largement avantageux
Les ICNA sont éligibles à des départs anticipés à la retraite, l’ouverture des droits étant fixée dès 52 ans et l’âge limite étant de 59 ans, contre respectivement 62 et 67 ans dans le privé.
... et un traitement avantageux
L'année passée, la Cour des comptes a déjà répondu à la problématique de la question d'une revalorisation du traitement des contrôleurs aériens. Sans détour, elle expliquait que "l’utilisation du niveau de rémunération des contrôleurs aériens européens comme argument pour le maintien voire la hausse de celui des contrôleurs aériens français est contestable car le niveau atteint est déjà respectable au regard de la compétence et du nombre d’heures en poste, la durée de la carrière par comparaison avec le reste de la fonction publique d’Etat française. De plus, l’absence de départ vers des pays frontaliers et les différences de niveau de vie, de système de retraite et de protection sociale, affaiblissent la comparaison. Enfin, la productivité de l’ensemble de la DSNA comparable aux autres pays ne plaide pas pour une augmentation, alors même qu’une hausse de productivité est mise en avant pour justifier du niveau important des primes."
- Une rémunération moyenne de 8 000€ brut mensuel
Un contrôleur aérien en début de carrière touche 3 000€ brut par mois (soit presque le 9e décile de niveau de vie en France), contre 8 000€ en moyenne et jusqu’à plus de 9 000€ en fin de carrière. Cela représente une progression spectaculaire avec un taux multiplicateur de 3.
Coût moyen par ETPT (traitement brut, primes, indemnités et cotisations sociales, hors CAS)[1]
En euros
- Un salaire deux fois plus élevé que dans le reste de la fonction publique
Si l’on compare le salaire brut annuel moyen, un fonctionnaire de catégorie A à la DGCA gagnait 88 019€ en 2017, soit plus de deux fois plus que dans le reste de la fonction publique. Même constat pour les autres catégories d’agents, traduisant une profonde inégalité de traitement entre fonctionnaires.
- Des primes qui représentent 62% de la rémunération brute
Or, pour l’ensemble des agents de la DGCA, le montant des primes et indemnités versées a augmenté de près de 11% entre 2013 et 2018. En moyenne, un agent de la DGCA a bénéficié de 9 primes et indemnités en 2018. Le montant moyen par prime s’élevait à 4 520 € par prime et 38 650 € par agent. En moyenne, ces primes représentent 35% du coût salarial brut pour un agent de la DGCA, contre 20% pour l’ensemble de la fonction publique d’Etat. Les ICNA, eux, ont donc 62% de leur rémunération brute qui est composée de primes. En juillet 2020, Le Parisien avait révélé qu’au cours du confinement de mars-avril 2020, alors que le trafic était totalement à l’arrêt, la moitié des 4 000 contrôleurs aériens français avaient continué à recevoir des primes mensuelles allant de 255 à 550 euros bruts. Ces primes dites de « suractivité » avaient été négociées en 2016 par le SNCTA dans le cadre d’un protocole social, syndicat majoritaire chez les contrôleurs aériens. Son but était d’inciter au travail en été en période de forte activité et de récupérer en hiver en période creuse. Sauf qu’en 2020, « le trafic avait diminué de 61 % en nombre d’avions et de 70 % en nombre de passagers par rapport à 2019 »[2]. Difficile alors de parler de « suractivité ».
- 10 millions d’euros de protocoles sociaux chaque année
En raison de la forte tradition de dialogue social imposée par le poids important des différents syndicats et notamment du SNCTA, les protocoles sociaux sont nombreux et généreux. Ainsi, la Cour des comptes estime à plus de 70 millions d’euros les dépenses au titre de protocoles sociaux depuis 2013 et à 45 millions d'euros sur la seule période 2016-2019, soit plus de 10 millions d’euros de primes allouées aux aiguilleurs du ciel chaque année.
- Une formation exigeante mais rémunérée
En France, la durée de formation d’un contrôleur aérien s’établit à 5 ans alors que la moyenne européenne est de trois ans. Cela s’explique par le fait que l’accès à l’Ecole nationale de l’aviation civile (ENAC) est réservé aux diplômés Bac+2 (filière scientifique) puis une durée d’études de 3 ans, dont la moitié en stage professionnalisant. Particularité non négligeable, ces trois années d’études sont rémunérées à hauteur de 1 486 € en première année, 2 200 € en deuxième année et 2 383 € la troisième année. Le candidat décroche un diplôme de niveau Bac+5 et s'engage à travailler 7 ans pour l'Etat. Il obtient alors le statut de fonctionnaire de l'aviation civile.
- L’abondance de la DGCA : un coût par ETP en hausse de plus de 10 000 € en six ans
Alors que les effectifs EQTP ont diminué de 5% depuis 2013, la masse salariale par ETP a augmenté de plus de 10 000€ en 6 ans à la DGCA, soit une hausse de 10%.
[1] Cour des comptes « Budget annexe Contrôle et exploitation aériens - Note d’analyse de l’exécution budgétaire », 2021
[2] Rapport Sénat, règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021 « Budget annexe : contrôle et exploitation aériens »
[3] Cour des comptes, « La gestion du personnel de la navigation aérienne », février 2010
[4] Nombre de jours de grève entre 2004 et 2016 : France (254), Grèce (46), Italie (37), Portugal (10), Espagne (6), Belgique (5), Chypre (5), Allemagne (4), Autriche, Slovaquie, Finlande, Norvège (2), Roumanie, Croatie (1), autres pays (0).