Temps de travail plus faible : une facture de 130 milliards pour la France

128,5 milliards d’euros de valeur ajoutée perdus en 2023. C’est le montant que la France, tous secteurs confondus, aurait généré si elle avait eu la même durée de travail que la moyenne de la zone euro. En effet, nos voisins européens ont, pour la plupart, un temps de travail bien supérieur au nôtre. Les Français travaillent en moyenne 1 487 heures par an, là où la moyenne de la zone euro (hors France) atteint 1 558 heures. On peut notamment citer l’Espagne, avec ses 1 638 heures travaillées par an, ou l’Italie, avec ses 1 701 heures. Notre productivité ne permet plus de compenser cet écart, cette dernière ayant d’ailleurs significativement baissé depuis les années Covid (59,9 €/heure au T3 de 2024), en raison de facteurs structurels, conjoncturels et politiques. Elle commence tout juste à retrouver son niveau d’avant-crise.
État des lieux
La France est réputée, depuis plusieurs années, pour sa productivité élevée, considérée comme une réponse au ralentissement économique. Quel que soit le secteur, elle affiche une productivité supérieure à la moyenne de la zone euro. Le secteur marchand français génère en moyenne 49 €/h de valeur ajoutée, contre 43 €/h pour la zone euro, et le secteur non marchand français produit 42 €/h, contre 35 €/h pour la zone euro. Cependant, bien que toujours très productive, la France ne parvient plus à compenser son déficit d’heures travaillées.
Les années Covid ont eu un impact significatif sur la productivité française, qui remonte peu à peu vers son niveau d’avant-crise.
La productivité française (en base 2023) s’élevait à 60,63 €/heure en 2019 et atteint 59,9 €/heure au dernier trimestre de 2024, selon nos calculs basés sur les données d’Eurostat. Cette tendance à la baisse s’explique par de nombreux facteurs structurels, conjoncturels et politiques.
Productivité française à travers le temps

D’un point de vue structurel, les confinements successifs ont fortement perturbé les chaînes de production et réduit l’investissement. On note également une augmentation significative du recours à l’apprentissage, ainsi qu’une hausse de l’emploi peu qualifié, stimulées par des subventions et autres exonérations, ce qui impacte fortement la productivité — un apprenti ayant en moyenne une productivité inférieure de près de 50 % à celle d’un travailleur qualifié.
D’un point de vue conjoncturel, la perte de productivité est imputable à la hausse des prix de l’énergie, à l’augmentation notable des arrêts maladie (réduisant ainsi les heures effectivement travaillées), et à la rétention de main-d’œuvre (les entreprises ayant conservé des salariés malgré la baisse de leur activité).
D’autres facteurs, très controversés et difficilement quantifiables, pourraient également expliquer cette baisse. On peut citer les débats autour de l’adoption massive du télétravail post-Covid, une démobilisation post-Covid entraînant davantage d’absentéisme et moins d’efforts, ainsi que la chute de l’investissement en 2020 (-13 %), suivie d’un rebond trop faible entre 2021 et 2023 (+7 %).
Quelle perte de valeur à cause d’un plus faible temps de travail en France ?
Méthodologie
Nous avons mesuré les pertes, exprimées en milliards d’euros constants, du PIB liées à la plus faible durée de travail en France par rapport à la moyenne des pays de la zone euro. Les données utilisées proviennent d’Eurostat et de l’INSEE.
Pour effectuer cette comparaison, nous avons pris en compte les caractéristiques de la France afin de réduire les biais :
- La population française étant bien inférieure à celle de la zone euro, nous avons ajusté les résultats à l’échelle de la France, en appliquant un ratio de la population française sur la population européenne à l’emploi français (exprimé en millions de personnes), afin de garantir une comparaison cohérente.
- L’emploi en France en 2023 est inférieur à celui de la zone euro ramené à l’échelle française, en raison d’un taux d’emploi plus faible en France (68,8 %) comparé à la zone euro (75,9 %).
- Les heures travaillées en France sont donc inférieures à la moyenne de la zone euro, avec un écart défavorable à la France oscillant entre 4 % et 5 % depuis 2015.
- En 2023, la productivité française est supérieure à celle de la zone euro dans toutes les branches : elle dépasse de 21 % la zone euro dans le secteur non marchand, de 15 % dans le secteur marchand, et de 16 % dans l’ensemble.
- Malgré une productivité supérieure, celle-ci reste insuffisante pour compenser le retard en termes d’heures travaillées.
Principaux résultats
Nos évaluations du déficit de valeur ajoutée attribuable à la plus faible durée du travail en France montrent que si la France avait eu la même durée de travail que la moyenne de la zone euro, la valeur ajoutée de l’ensemble des branches aurait été supérieure de 140.8 milliards d’euros en 2015, de 133.6 milliards d’euros en 2019 et de 128.5 milliards d’euros en 2023 (en euros constants de 2023).
Calculs
Les données de base utilisées pour la France et la zone euro concernent la valeur ajoutée, la productivité, les heures travaillées (en milliards d’heures) et l’emploi. Ces données proviennent d’Eurostat.
Les tableaux 1 et 2 présentent les données pour les différents indicateurs en France et dans la zone euro (hors France) :
Ensemble des branches françaises

Ensemble des branches pour la Zone Euro - Sans France

Pour comparer les données de la zone euro avec celles de la France, nous ajustons les montants à l’échelle de la France en appliquant le ratio de la population française à la population de l’échantillon de pays européens (environ 18 %). L’emploi est obtenu en appliquant ce ratio à la population de l’ensemble des pays de l’échantillon, hors France.
Rapprochement productivité Zone Euro en France

À partir de ces données, nous pouvons estimer la perte en valeur ajoutée de la France en la comparant avec ce qu’elle aurait été avec les caractéristiques de la Zone Euro.
Évolution de l'ensemble des branches en France (rapport du niveau français et du niveau de l'échantillon rapporté à l'échelle de la France pour chacune des années)
Ainsi, si la France avait la même durée de travail que la moyenne des pays de la zone euro, la valeur ajoutée de l’ensemble des branches (marchand et non marchand) serait supérieure de 140.8 milliards d’euros en 2015, de 133,6 milliards d’euros en 2019 et de 128,5 milliards d’euros en 2023 (en euros constants, base 2023).
Conclusion
La baisse de la productivité française ne compense pas le faible nombre d’heures effectivement travaillées en France par rapport à la moyenne de la zone euro. En 2023, la France a manqué 128.5 milliards d’euros de valeur ajoutée supplémentaire en raison de son retard en termes d’heures travaillées. Sa productivité, quant à elle, a diminué depuis la crise du Covid et n’a pas réussi à retrouver son niveau pré-crise, contrairement à des pays comme l’Allemagne, qui ont vu leur productivité augmenter depuis cette période. L’argument de la forte productivité française, parfois brandi avec fierté comme un modèle, ne peut plus servir d’excuse pour maintenir ce volume d’heures de travail. Les causes politiques, structurelles et conjoncturelles qui freinent la productivité française doivent être combattues. Associée à une augmentation du nombre d’heures effectivement travaillées, la France pourrait réaliser un gain significatif et bienvenu en termes de valeur ajoutée.
Manque de valeur ajoutée imputable à la plus faible durée du travail en France relativement à celle du groupe de contrôle (ensemble des branches)
