Branche famille : les erreurs coûtent 6,3 Md€ en 2024

Nous avons eu l’occasion très récemment de faire un premier point sur la lutte contre la fraude sociale au sein dans la branche famille à la suite de la présentation des résultats de la CNAF pour 2024. Des données complémentaires et semi-définitives sont désormais disponibles à la faveur de la publication pour la Cour des comptes de son rapport de certification des comptes de la Sécurité sociale pour 2024. Or les magistrats de la rue Cambon se montrent particulièrement insistants sur le manque de qualité des comptes de la branche famille « la Cour avait été dans l’impossibilité de certifier les comptes 2023 de la branche famille ». Une appréciation qui se renouvelle pour 2024 dans la mesure où « les indicateurs disponibles et les informations communiquées par la Cnaf au titre de 2024 ne permettent pas à la Cour de certifier les comptes de la branche. » Elle relève en particulier que « en dépit de l’augmentation et de l’atteinte des objectifs de contrôle assignés aux Caf et de la progression de la performance financière des contrôles, la capacité de détection des erreurs par le réseau demeure très inférieure au risque induit par l’insuffisante fiabilité des données déclarées par les allocataires. » En somme les risques financiers induits par le volume des erreurs dépassent largement la capacité des CAF à les détecter. En effet l’indicateur de risque résiduel financier relatif aux données déclarées à 24 mois « se dégrade à nouveau et demeure à un niveau élevé » soit 8% des prestations accordées en 2023, soit 6,3 Md€ « d’indus et de rappels qui ne seront jamais détectés ». Reste à savoir si la « solidarité à la source » permettra d’inverser la tendance. La Cour refuse de certifier les comptes de la branche famille depuis 2022.
Des risques d’erreurs (trop (indus) ou trop peu (rappels) versés) de 6,3 Md€ en 2024 :
Le risque financier est évalué selon deux termes différents :
L’indicateur de risque résiduel financier relatif aux données entrantes à 9 mois ;
L’indicateur de risque résiduel financier relatif aux données déclarées à 24 mois ;
L’écart entre les deux représente les montants d’erreurs susceptibles finalement d’être détectés dans l’intervalle entre 9 et 24 mois, soit durant les 15 mois intercalaires entre les deux périodes, et qui correspondent au moment où ces sommes peuvent être détectées et corrigées, voire poursuivies si elles s’avèrent frauduleuses. Or, sur la période récente, ces indicateurs sont en constante dégradation :
Source : CNAF (avril 2025) et Cour des comptes mai 2025
La Cour constate simultanément une dégradation de l’indicateur de risque financier résiduel à 9 mois soit 11,7% des prestations versées en 2024 contre 10,9% des prestations versées en 2023 (+0,8 point soit +0,7 Md€ à 9,3 Md€ en 2024) et de l’indicateur de risque financier résiduel à 24 mois (date à laquelle généralement toutes les poursuites/contrôles cessent) qui passe de son côté de 6,9% à 8% soit +1,1 point (+0,8 Md€ à 6,3 Md€ en 2024 sûr des prestations émises en 2023).

Seul élément de consolation, le montant des erreurs susceptibles d’être finalement détectées augmente pour atteindre en 2024 les 2,3 Md€ (+27,8% par rapport à 2023), ce qui résulte d’une progression de l’indicateur de risque résiduel à 24 mois en 2024 (+14,5%) plus faibles que celui du risque résiduel à 9 mois de l’année précédente 2023 (+17,8%). Cependant, l’indicateur de risque à 9 mois 2024 se dégrade à nouveau (+8,3%) ce qui pourrait constituer un risque avancé dégradant un peu plus les montants d’erreurs susceptibles de se voir détectées en 2025… sauf si le principe de solidarité à la source actif depuis le 1er mars 2025 se révèle efficace.
Un plan d’action pour limiter les erreurs, encore insuffisant en 2024 :
La Cour des comptes est pour le moment très sceptique sur la capacité de la CNAF et des CAF à juguler les risques d’erreurs : « Bien que les actions engagées en 2023 se soient poursuivies et qu’une expérimentation au titre de la solidarité à la source ait été conduite dans cinq CAF en 2024 » celles-ci ne parviennent pas à faire baisser les risques d’erreurs. « La mobilisation de la branche famille s’est traduite par un plan d’action (…) dit « qualité transverse » ou PAQT. Celui-ci comportait 2 phases (et 38 actions[1]) :
une action immédiate 2023-2025 « pour les actions à court terme destinées à redresser rapidement la qualité » ;
des actions structurelles complémentaires entre 2025 et 2027 « comme celles liées à la solidarité à la source » ;
Le taux de mise en œuvre du plus était de 74% fin 2024 et pourtant « les premiers résultats ne permettent pas de constater de réelles avancées » qu’il s’agisse de l’amélioration des indicateurs de qualité de la liquidation des droits ou de la diminution « significative des erreurs avec portée financière de versement des prestations ». Il en résulte que la capacité de détection des erreurs par le réseau demeure très inférieure « au risque induit par l’insuffisante fiabilité des données déclarées par les allocataires. » En effet, malgré les actions phares comme la refonte de la supervision ou le renforcement des moyens consacrés à la qualité « les premiers résultats ne permettent pas de constater de réelles avancées. »
En particulier, la Cour pointe du doigt les risques de dysfonctionnement entre l’ARIPA (Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires) avec « l’éclatement du système d’information, sur trois applicatifs, non connectés », qui « exposent la branche à des risques importants d’erreurs de liquidation » dans la mesure où les processus « métiers » de l’agence « ne garantissent pas une sécurisation des risques ou l’exhaustivité dans le traitement des droits. » Enfin, l’ARIPA et le réseau des CAF procèdent à un partage des compétences qui n’est pas homogène sur tout le territoire, ce qui complexifie la gestion des trois catégories d’allocation de soutien familial avec des risques financiers élevés (près de 400 M€ de créances fin 2024 pour la seule allocation de soutien familial).
Des encaissements de redressements pour fraudes notifiées en baisse :
S’agissant maintenant de la lutte contre la fraude, la fraude estimée (en 2024, mais pour l’année 2023, opération réalisée tous les deux ans) est comprise entre 4,6% et 5,7% des prestations légales versées, soit entre 3,8 Md€ et 4,7 Md€. Cela permet de dégager une estimation centrale de 4,3 Md€, soit 5,2%. Remis en perspective, le rapport entre la fraude estimée et la fraude détectée s’améliore un peu est passe de 9% à 10,6% (+1,6 point) entre 2022 (portant sur 2021) et 2024 (portant sur 2023).

La Cour n’y voit pas une amélioration dans la mesure où ces résultats « confirment l’importante hausse constatée en 2023 par rapport à 2021 (+38,8% en valeur centrale) » de la fraude estimée. En effet en 2024 la fraude estimée augmente encore cette fois de près de 9% : « Le RSA, la prime d’activité et les aides au logement demeurent les prestations les plus touchées. »
Pour la Cour « le dispositif de prévention et de détection des fraudes possède encore des marges de progrès. (…) Des fragilités persistent dans l’application par les CAF du processus de lutte contre la fraude interne en termes d’homogénéité des pratiques, d’usage des outils métiers, de sanctions et de délais de traitement ». En particulier on relève des qualifications variables entre les caisses des indus frauduleux, ce qui montre une large interprétation des consignes nationales délivrées par la CNAF.
On relève par ailleurs un ajustement à la baisse de l’estimation financière des activités du Service National de Lutte contre la Fraude à Enjeu (SNLFE) par rapport à la publication des résultats par la CNAF mi-mai. L’impact financier atteint 162,1 M€ en 2024 (contre 166,1 M€ pour la CNAF), soit 36% du montant total de la fraude détectée.
Harmoniser les responsabilités entre CAF et Départements dans la lutte contre la fraude au RSADes marges importantes de progression existent en matière de lutte contre la fraude au Revenu de Solidarité activité, car « le partage des responsabilités entre les CAF et les financeurs en matière de fraude » au RSA « est très hétérogène d’un département à l’autre ». Ses modalités relèvent en effet de conventions signées dans le cadre de la gestion de prestations pour compte de tiers, sans harmonisation au niveau national. Il en résulte que « des mêmes faits à l’origine de fraudes sont sanctionnés différemment », il en résulte une différence d’appréciation dans la qualification des indus, qui peuvent selon les cas être considérés comme frauduleux ou non. Il existe par ailleurs un risque de prescription des indus lorsque les conventions ne mentionnent pas les délais encadrant les décisions de qualification. En effet « sauf exception, le montant des indus frauduleux qualifiés par les CAF n’est déterminé que sur deux ou trois années seulement et non sur la totalité de la période (…) [selon] les règles de prescription. » Il en résulte un biais systématique de sous-évaluation des indus comptabilisés et mis en recouvrement. |
Néanmoins, malgré cette participation active du SNLFE on relève un taux de recouvrement réel des indus frauduleux à 48 mois en baisse en 2024. Ce taux s’élève à 53,7% en baisse de 0,5 point par rapport à 2023. Cependant « hors créances transférées aux départements dans le cadre de la gestion du RSA, le taux de recouvrement est de 74,8%) »
Source : CNAF (avril 2025) et Cour des comptes mai 2025
Le taux de recouvrement continue de s’affaisser sur moyenne période, les années 2020 et 2021 n’étant nulles pour cause de COVID. Jamais le taux de recouvrement n’a été aussi bas qu’en 2024 à 48 mois. S’agissant de son rendement, les sommes encaissées pour fraude baissent en 2024 de 24,2% (-46 M€) à 144 M€ contre 190 M€ l’année précédente. On assiste donc à une déperdition qui se creuse des sommes éludées rapportées aux fraudes détectées 2 ans auparavant.
[1] Déclinées selon 4 axes : gouvernance et métier, moyens, processus métier et systèmes d’information.
[2] Nous avons ainsi l’estimation centrale définitive que nous avions envisagé à 4,9 Md€ dans notre note du 13 mai 2025 https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/fraudes-dans-la-branche-famille-des-resultats-2024-en-demi-teinte où nous précisions bien que les résultats définitifs n’étaient pas encore connus à date. Ils le sont avec ce rapport de la Cour des comptes.