Focus : comment sont embauchés les hauts fonctionnaires chez nos voisins ?
Avec la suppression de l’ENA, un vaste chantier s'ouvre. Cette réforme doit être accompagnée d'une véritable contractualisation à la tête de nos administrations, cela par des embauches sous contrat pour les hauts fonctionnaires (hors magistrats). C'est le seul moyen d’aller jusqu’au bout de la logique qu’affiche, aujourd'hui, le gouvernement de « casser les corps ». Pour cela, il faut s'inspirer des sytèmes mis en place chez nos voisins européens.
Premier point : chez nos voisins européens, on compte beaucoup plus de contractuels, même dans les pays qui pratiquent encore un recrutement sur concours (comme l'Italie et l'Espagne).
Pays | Nature de la FP et statut des agents | Ratio de contractuels | Modes de recrutement | Commentaires |
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Italie | FP d'emplois | 85 | Concours | |
Espagne | FP de carrière | 18,4/35,2/61,1 | ||
France | FP de carrière | 14,7/21/21 | ||
Allemagne | FP d'emplois | 57,8 | Recrutement sur dossier et entretien individuel | |
Royaume-Uni | FP d'emplois | 92,7 | ||
Belgique | FP de carrière | 24/64 | Modèles mixtes | Concours au niveau local et recrutement sur dossier et entretien au niveau fédéral |
Suède | FP d'emplois | 98 | Concours pour les fonctions d'encadrement et recrutement sur dossier et entretien pour les autres |
Second point : il faut se pencher sur les réformes misent en place, pays par pays :
FOCUS Haute fonction publique | Commentaires | Eléments complémentaires | Eléments complémentaires |
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Italie | La Scuola Nazionale dell'Amministrazione - SNA IT, ancienne Scuola Superiore della Pubblica Amministrazione, fondée en 1957, remplit les fonctions de sélection et de formation des hauts fonctionnaires de l’administration italienne. Elle est partiellement délocalisée, entre Rome et Caserte. Calquée sur le modèle français de l’ENA, sous l’autorité de la présidence du Conseil des ministres, la SNA en suit le modèle de fonctionnement et de sélection, sur concours, avec un niveau très élevé de sélectivité. | L'Etat emploie l'essentiel des personnels qui demeurent sous tatut de droit public, ainsi que les hauts fonctionnaires des administrations locales. Néanmoins, les dirigeants du plus haut niveau de l'administration de l'Etat sont depuis le décret législatif du 31 mars 1998 soumis aux règles du droit privé. Idem pour les dirigeants des collectivités territoriales. Le contrat de ces dirigeants est à durée déterminée et ne peut dépasser 5 ans | - Réformes successives faisant porter aux emplois de direction la responsabilité de la performance - Missions de direction temporaires: de quelques mois à maximum 7 ans / fin de mandat au niveau local - Augmentation de la part des emplois de direction de l'Etat ouverts aux non titulaires - Indexation de la rémunération sur l'évolution du PIB |
Royaume-Uni | changement de poste tous les 12 à 18 mois pour les fonctionnaires issus du programme "fast stream" (programme d'accès aux postes de la HFP) à l'issu d'un cursus universitaire Oxford/Cambridge quasi-exclusivement. | Les 3.800 hauts fonctionnaires du "New senior civil service" occupent les postes de secrétaire permanent, directeur général, directeur adjoint, signent pour une période de 12 mois un accord de performance élaboré en concertation avec leur hiérarchie. Pour le ministre, le secrétaire permanent signe l'accord de performance (PPA) avec le secrétaire du cabinet qui dirige le "Home Civil Service". | Le dispositif d'évaluation de leur performance (Public Service Agreement - PSA) arrêté entre le ministre compétent, le ministère des finances et les services du Premier ministre à deux niveaux (objectif du PSA) et sa manière de servir (compétences professionnelles pour les services gouvernementaux) |
Belgique | - Création de postes de "top managers" disposant d'un mandat de 6 ans, avec des contrats d'objectifs - Réouverture à la mobilité de tous les postes de direction en interne et en externe à chaque fin de "mandat" - Aucune formation commune n'existe en belgique pour les hauts fonctionnaires (contrairement à la France et au Canada). | A partir de 2004, le recrutement d'agents contractuels appelés "mandataires" dans les fonctions d'encadrement du service public fédéral. Sont institués des managers qui détiennent des fonctions de direction pour un mandat de 6 ans. Le recrutement de ces hauts fonctionnaires est confié à une agence gouvernementale, le SELOR (bureau de sélection de l'administration fédérale). Ceux-ci sont évalués à travers un système d'accords de performance stratégiques et individuels. | |
Allemagne | En Allemagne les hauts fonctionnaires sont formés à l'université. La dominante juridique domine. Après la libération en 1947 l'ENA allemand (en zone française) ne forme plus que des juristes se destinant à l'administration. L'entrée dans l'administration se fait sans concours. Mais en fonction du parcours choisi, des titres acquis (dont le doctorat qui est intégré à l'état civil du titulaire). L'accès et les concours/examens sont organisés par chaque ministère de façon autonome. | Les formations spécialisées qui préparent aux carrières dans la fonction publique s’adaptent ensuite à chaque administration et se déclinent au niveau des Länder et au niveau fédéral avec la Fachhochschule des Bundes für öffentliche Verwaltung à Brühl et l’Académie d’Agence fédérale pour l’emploi à Mannheim et Schwerin. Pour la plupart des emplois, l’accès à l’emploi de fonctionnaire passe par une période de stage professionnel (Referendariat) de deux ans, à valider après le diplôme de master. Il n’est pas rare de commencer sa carrière au niveau régional avant une mobilité au niveau fédéral, mais la compétence technique prime sur la polyvalence dans ce paysage où les ministères qui recrutent sont en charge de la formation – théorique et pratique – de leurs agents sur plusieurs années. L’investissement public le plus important dans la formation des agents est par ailleurs proposé au sein de l’armée, par deux Bundeswehr-Universitäten à Hambourg et à Munich, dont l’objectif est la formation universitaire des aspirants officiers pour la vie militaire et leur réintégration dans la vie civile après leur service. | |
Espagne | L’Instituto Nacional de Administración Pública, ou INAP, est né en 1987 de la fusion de deux écoles : l’Instituto de Estudios de Administración Local (1940), et le Centro de Formación y Perfeccionamiento de Funcionarios (1958). Le recrutement, à travers des concours centralisés et des commissions de sélection spécifiques aux hauts fonctionnaires (corps des "Administrateurs") est l’une des tâches principales de l’INAP, rattaché au Ministère de la Politique Territoriale et de la Fonction Publique. Comme dans le cas français, l’INAP dispose en outre d’une dimension internationale de recherche, de publication et de formation des fonctionnaires. Il dispose également de deux campus, l’un au centre de Madrid, et l’autre à l’Est de la ville (Alcalá de Henares). Cependant, le nombre de fonctionnaires formés est bien plus important que dans le cas de l’ENA, avec plus de 68 000 étudiants passés par l’Institut en 2017. Plus qu’un centre de formation initiale des hauts fonctionnaires, l’INAP forme donc une assiette plus large de fonctionnaires de l’Etat fédéral. | Le nouveau Statut de Base de l’employé public en vigueur en Espagne implique : premièrement, la consolidation d’un modèle de fonction publique dual et certainement original puisque la reconnaissance du contrat de travail dans le secteur public implique qu’une série de normes de droit du travail soit remplacée par une série de normes de droit administratif ; deuxièmement, la modernisation de la gestion des ressources humaines dans l’administration publique à partir d’une individualisation de la relation d’emploi fondée sur un modèle de postes et de compétences professionnelles qui écarte les corps en tant qu’éléments fondamentaux de la structure professionnelle dans la fonction publique ; et troisièmement, la consolidation d’un système de relations de travail hautement syndicalisé au sein duquel on reconnaît le droit des employés publics à la négociation collective afin de déterminer leurs conditions d’emploi au travers d’accords reconnus comme des normes – des normes ayant la nature juridique de normes faisant partie du statut des fonctionnaires publics. | L’arrêt 37/2002, du 14 février 2002, rendu par le Tribunal constitutionnel, a eu une incidence décisive sur le débat. En effet, tout en maintenant le principe de préférence pour le régime statutaire, il a accepté que la définition du cadre statutaire puisse se construire sur la base d’une série de fonctions réservées aux fonctionnaires – celles qui impliquaient l’exercice de l’autorité et celles qui l’exigaient pour garantir l’objectivité, l’impartialité et l’indépendance. Le changement, qui dans un premier temps passa presque inaperçu, se révéla important. La répartition des fonctions se construit, désormais, non plus sur la base d’un principe général et d’une série d’exceptions permettant l’embauche de personnel salarié, mais sur la base d’un principe général et d’une réserve de fonctions pour les fonctionnaires, c’est-à-dire que le personnel salarié n’est plus une exception dans le régime juridique de la fonction publique. |