Retraites : les arguties du COR
En septembre dernier, le Conseil d'orientation des retraites a publié sous le titre "Les différences de retraite entre salariés du privé et fonctionnaires", un document qui a fait sensation. Ce document a largement été repris dans la presse et notamment sa conclusion assez fracassante : les agents de la fonction publique percevraient, à carrière et salaire identiques, une pension inférieure en moyenne de 2,4% par rapport à celle des salariés du privé. En clair, les régimes de la fonction publique ne seraient pas avantageux, contrairement à ce que l'on peut croire.
Le COR rappelle qu'il a mené plusieurs analyses qui portent sur la comparaison du financement des régimes, des dispositifs de solidarité, et des règles de calcul des pensions. Cette lettre du COR synthétise les résultats de ces études.
Très précisément le résultat mis en exergue est le suivant :
Sur le champ des fonctionnaires d’état civils, des simulations montrent que l’application des règles de la CNAV, de l’Arrco et de l’Agirc conduirait, pour les générations qui partiront à la retraite dans les prochaines années et sous l’hypothèse de salaires nets identiques, à un montant proche en moyenne de celui calculé avec les règles des régimes de fonctionnaires. En particulier, les règles du privé s’avèreraient plus avantageuses que celles du public pour un peu plus de la moitié des fonctionnaires nés en 1958, et moins avantageuses pour l’autre moitié des cas.
Périmètre de l’étude : de nombreux cas d’exclusion
Cette phrase souligne qu’il existe plusieurs hypothèses assez fortes à la réalisation de ce résultat :
- Il s’agit uniquement des fonctionnaires d’État, et plus particulièrement des fonctionnaires civils, ce qui exclut les militaires. En proportion, les fonctionnaires d'état civils représentent 46.000 départs en 2013 sur 68.000 départs (FPE y compris militaires, Orange et FT), auxquels s’ajoutent 54.000 départs des fonctionnaires affiliés CNRACL.
- Il s’agit des fonctionnaires pour une génération : les générations qui partiront à la retraite dans les prochaines années sont évoquées mais sans que plus de détails soient donnés sur leur situation précise.
- On compare des salaires identiques entre privé et public même si la moyenne des salaires est différente entre les deux catégories de salariés. La retraite moyenne dans le secteur public est de : 2.510 euro bruts par mois pour les fonctionnaires civils d’État et la moyenne dans le secteur privé est de : 1.760 euros bruts par mois pour les assurés du régime général (y compris retraites complémentaires) (chiffres 2013[1]) ; Cette situation s’explique par des structures d’emploi différentes avec une plus forte proportion de cadres dans la fonction publique (enseignants : catégorie A)
- On compare des fonctionnaires et des agents du privé ayant des salaires nets identiques ce qui laisse de côté la question des cotisations qui leur auront été appliquées tout au long de leur carrière.
- Précisons enfin qu’il s’agit d’une comparaison sur les droits propres, les différences en matière de réversion ne sont donc pas prises en compte.
Interprétation des résultats
Parmi l’ensemble des fonctionnaires nés en 1958, les règles du privé conduiraient à un montant de pension plus élevé dans 53% des cas. Cette proportion est plus importante parmi les cadres, les femmes, les fonctionnaires de catégorie sédentaire et les polyaffiliés dont la partie principale de la carrière a eu lieu dans le public.
Au total, l’application des règles des régimes de salariés du privé aux carrières salariales des fonctionnaires d’État nés en 1958 conduirait à une augmentation de 2,4% de leur pension moyenne de droit direct.
Ces gains viennent pour partie de l’application des règles du privé qui permettent à carrière professionnelle identique de valider un nombre de trimestres plus important :
- Valider 4 trimestres même pour des années partiellement travaillées, ce qui n’est pas possible dans le public
- Majoration de durée pour enfant de 2 années par enfant, au lieu d’1 année ou 6 mois dans le public
- Pour les polyaffiliés, s'agissant du calcul des salaires des 25 meilleures années, la validation se fait sur la carrière entière et non sur la seule part effectuée dans le privé
- Enfin et surtout, pour les cadres dont la part des primes est la plus élevée dans la rémunération totale, le calcul du privé permet de les réintégrer dans le calcul de la retraite d’où un montant sensiblement plus élevé que dans la fonction publique avec la RAFP.
Ce point est essentiel puisqu’il implique une prise en compte des primes ce qui n’est pas le cas actuellement puisque les fonctionnaires ne cotisent pas sur leurs primes.
Le COR s’en explique dans une phrase particulièrement obscure : "Pour comparer le caractère plus ou moins avantageux des règles de retraite du privé et du public, il faudrait en toute rigueur être en mesure de savoir quelles auraient été les rémunérations perçues par les fonctionnaires si ces derniers avaient été affiliés, sur toute la durée de leur carrière dans la fonction publique, aux mêmes régimes que les salariés du privé. Cette question théorique est difficile à résoudre." En tout état de cause ne comparer que l’application des règles de calcul ne permet pas de prendre en compte la situation dans sa globalité.
Mise en perspective : l’absence patente de pilotage des retraites de la fonction publique
L’étude du COR se conclut sur trois sujets de mise en perspective :
- Les niveaux futurs de pension dans les secteurs public et privé et leur pilotage
La garantie sur le long terme de l’objectif d’équité se traduit par un pilotage des taux de remplacement nous dit le COR qui explique que, dans un cas (secteur privé) ce taux évolue avec des règles propres au système de retraite (règles de revalorisation de salaires portées au compte) et dans un autre (fonction publique) il est contraint par la part des primes dans la rémunération. Mais on ne peut pas à proprement parler ici d'un pilotage des retraites mais plutôt d'un élément de gestion de la masse salariale et des RH.
- Les mécanismes de redistribution verticale dans le régime général sont plus clairement explicités.
Le COR explique que les règles du privé grâce à des règles plus contributives au-dessus du plafond, permettent d'assurer des taux de remplacement plus élevés aux plus bas salaires. En revanche, nous dit le COR : "l’architecture des régimes de fonctionnaires, qui ne prend pas en compte le niveau de rémunération, peut poser question au regard des redistributions : celles-ci ne suivent pas une logique verticale mais sont liées principalement aux postes occupés, qui déterminent l’importance des
primes ou non". Là encore, cette présentation est douteuse sauf à considérer que l’augmentation de la part des primes avec le grade correspond à une forme de redistribution.
- La transparence et la clarification des règles de financement.
Le COR poursuit en suggérant "Dans une optique de transparence, la question pourrait être posée de mettre à jour plus systématiquement des analyses, visant à identifier ce qui, dans les ressources et les prestations des régimes de fonctionnaires, correspondrait à l’application des règles de droit commun et ce qui correspondrait à des droits supplémentaires de retraite", à comparer aux régimes professionnels
de retraite supplémentaire, qui constituent un troisième étage de retraite, en plus de la base et
des complémentaires.
Dire que le régime des pensions de l’État (ou la CNARCL) joue le rôle d’un régime de base, d’une retraite complémentaire et d’un régime supplémentaire d’entreprise est une façon très audacieuse de présenter les choses. Il convient de rappeler que de très nombreux salariés n’ont pas de régime supplémentaire d’entreprise. Par ailleurs, c’est le rôle qu’a longtemps revendiqué la Préfon.
Comparaison des fonctionnements des régimes de retraite public et privé : les approximations du COR
« Même si la diversité des règles entre régimes n’implique pas nécessairement des inégalités de retraite – et inversement – il est utile de rappeler les règles qui restent différentes et celles qui se sont rapprochées », souligne le COR.
À partir de ce point, le COR se livre à plusieurs rapprochements plus ou moins problématiques.
- 1ère approximation : l’assiette
Les régimes des salariés du privé et des fonctionnaires ont pour point commun de distinguer deux assiettes, sur lesquelles les règles de retraite sont différentes, nous dit le COR.
- Les régimes des salariés du privé distinguent la partie des rémunérations en-deçà du plafond de sécurité sociale.
- les régimes de la fonction publique ont des assiettes distinctes, correspondant à des rémunérations de nature différente : d’un côté, le traitement indiciaire de base, de l’autre, le reste des rémunérations (primes, etc.).
Ce point n’a que peu de rapport avec la comparaison que souhaite faire le COR ni avec les résultats présentés en introduction. Les rémunérations sous le plafond et hors plafond correspondent à des règles de cotisation établies par la CNAV et les retraites complémentaires. Cela n’a donc rien à voir avec les primes.
De même à quoi sert l’affirmation « la RAFP représente une part nettement plus petite dans la retraite totale des fonctionnaires que l’Agirc et l’Arrco dans celle du privé ». Cela contribue à placer les retraites complémentaires sur le même plan que la RAFP alors même que l’Arrco et l’Agirc font partie du 1er pilier des retraites.
- 2e approximation : le financement des régimes
Dire que « les régimes de fonctionnaires reposent quasi exclusivement sur des cotisations là où les régimes du privé reposent sur des cotisations pour les 3/4 de leurs ressources mais aussi 6% d’impôts et 16% de transferts » est un abus de langage.
Les transferts en question financent des avantages non contributifs qui sont directement pris en charge par les cotisations employeurs dans le régime des fonctionnaires.
De même on ne peut pas pointer les produits financiers qui alimentent les recettes des comptes des régimes complémentaires sans rappeler que cela est dû précisément à l’existence de réserves elles-mêmes ayant été permises par la constitution de caisses autonomes et non de transferts de lignes budgétaires vers le CAS pension.
Enfin, les différences d’assiette mises en avant pour justifier la correction sur les taux de cotisation est également une problématique à manier avec précaution.
- 3e approximation : les dispositifs de solidarité
La note souligne qu’il existe dans les deux régimes des dispositifs de solidarité destinés à corriger les effets négatifs sur la retraite des accidents de carrière. Le poids de ces dispositifs est plus élevé pour le public que pour le privé (21,8% de la masse des droits propres dans le public contre 18,5% pour le privé selon la DREES). L’écart provient principalement des catégories actives pour le public qui n’existent que dans le public. En revanche, une fois à la retraite les pensionnés du public bénéficient plus faiblement que les pensionnés du privé de dispositifs de solidarité notamment pour :
- Des minima de pension : mais le COR rappelle que cela s’explique par des salaires plus élevés en moyenne.
- Des majorations de durées d’assurance (au plus une année dans les régimes fonctionnaire contre 2 pour les salariés du privé)
- Et des trimestres ou points gratuits liés au période de chômage : ce qui est normal dans le cas du privé et n’a pas vocation à s’appliquer dans le cas du public
Un exercice incertain
On comprend mal l'exercice dans lequel le COR a voulu se lancer avec cette note faite de rapprochements hasardeux entre les architecture et fonctionnement des régimes de retraite privé et public. Si la note rappelle que l'équité des régimes fait partie des indicateurs que notre système doit poursuivre et que cette équité est difficile à mesurer par les ratios traditionnels : pension moyenne, âge de liquidation ou encore taux de remplacement. On ne comprend pas quel ratio le COR entend lui substituer. L'analyse des retraites perçues à carrière salariale identique n'est pas suffisant puisqu'il ne tient pas compte des contributions versées tout au long de la carrière. On ne progresse donc pas vraiment sur la question de l'équité. Une véritable approche serait de comparer le rendement des cotisations versées selon les régimes. Il semble que le COR dispose des élélemnts statistiques pour le faire et pourtant ne s'y frotte pas.
Au final, les lecteurs retiendront sans doute que la moitié des fonctionnaires verraient leur retraite améliorée en appliquant les règles du privé, l'autre pas. Tout ça pour ça. Dès lors on peut se demander pourquoi les syndicats de la fonction publique sont si hostiles à fusionner leur régime avec celui du privé ?
[1] Page 2 de la lettre du COR