Quelles limites pour les agences de l'Etat ?
Le récent rapport rendu par l'IGF au gouvernement Fillon et rendu public cette semaine par Pierre Moscovici, le ministre de l'Économie et des Finances, est un rapport important dont on aurait aimé la diffusion rapide dès mars 2012, et qui est intitulé « L'État et ses agences » [1]. Il fait en effet le point sur le périmètre des « agences » de l'État, appréciation qui permet d'aller bien au-delà du simple contrôle des opérateurs. Si l'évaluation de l'efficience de ces entités est repoussé à des rapports d'audit particuliers, le panorama qui en a été livré est pourtant particulièrement saisissant : les « agences » au sens où l'entend l'Inspection générale des Finances, sont au nombre de 1244, dont 1101 sont dotées de la personnalité morale.
Nous sommes donc très loin des quelque 560 opérateurs de l'État recensés par le « jaune » budgétaire accompagnant le projet de loi de finances 2012 [2]. Doivent leur être ajoutés, les ODAC (organismes divers d'administration centrale) suivis par l'INSEE (825) et les entités dotées d'un comptable public (EDCP), ce qui permet d'y agréger les autorités administratives indépendantes et les administrations publiques indépendantes, ainsi que les SCN (les services à compétence nationale). La difficulté résidant en partie dans le recouvrement partiel au gré des différentes nomenclatures. La mission de l'IGF en donne l'illustration suivante :
Au total, l'ensemble des agences emploie quelque 442.830 agents, en croissance de 6,1% entre 2007 et 2012 quand les effectifs de l'État stricto sensu baissaient d'environ 6%, soit en flux une dynamique rigoureusement inverse. Cela représente une augmentation de 25.534 agents, dont +17.075 agents hors plafonds des opérateurs depuis 2008. L'agencisation a donc permis de contourner partiellement la rigueur affichée par la RGPP. Non seulement les emplois ont crû dans une proportion similaire à la baisse imposée aux ministères pendant le dernier quinquennat, mais encore, cela a permis une couverture de l'augmentation des charges liées à la montée en puissance de la masse salariale de ces entités :
Via le transfert de dépenses de personnel du Titre II en dépenses de titre III (financées par des subventions pour charges de service public)
Par l'intermédiaire d'une débudgétisation partielle assise sur les taxes affectées (9,86 milliards d'euros en 2012).
La résultante est assez consternante en période d'austérité budgétaire :
Tout d'abord on assiste à une dérive des rémunérations : celles-ci augmentent en moyenne de 5,5%/an quand les salaires des agents de l'État évoluent de 3,7%/an en moyenne.
Ensuite, il existe des coûts spécifiques au phénomène d'agencisation : les coûts de tutelle sont significatifs. L'IGF estime que 1.500 agents de l'État participent pour les seuls 560 opérateurs recensés à l'exercice des tutelles. Doivent s'y ajouter des coûts de démutualisation, ainsi que la croissance importante des personnels. Cependant, aucune étude complémentaire ne permet pour l'instant d'identifier ce qu'une "rebudgétisation" de ces organismes (en tout ou en partie) au sein de l'État pourrait permettre d'économiser par rapport à ces coûts d'externalisation [3].
Par ailleurs, le principe d'unité de trésorerie n'est parfois plus respecté. Les fonds ne sont plus centralisés systématiquement au Trésor, mais gérés directement par les différentes entités. Couplée avec une fiscalité dédiée importante de près de 10 milliards d'euros, certains opérateurs bénéficient d'une trésorerie excédentaire de près de 2 milliards d'euros en 2010, qu'en est-il en 2012 ? [4].
Enfin les coûts de fonctionnement sont très dynamiques : pour les ODAC, c'est +4,3% de croissance annuelle entre 1986 et 2008, contre +2,6% pour l'État sur la même période. Comme il n'existe pas de consolidation des dépenses par nature pour les agences, l'évolution de leurs coûts de fonctionnement totaux reste inconnue.
Conclusion :
Le rapport de l'IGF permet de mettre en valeur les ambigüités qui ont présidé au phénomène d'agenciarisation : latéralisation de hauts fonctionnaires bénéficiant de rémunérations excédant les barèmes de la fonction publique classique, coûts de structures non compensés par des économies dûment documentées au niveau central, souplesse d'action chèrement payée par l'usage de taxes affectées qui président à une augmentation plus discrétionnaire des dépenses et au premier chef des dépenses de fonctionnement et des emplois hors plafond fixé au niveau central.
Dans ces conditions, certains points méritent d'être particulièrement soulignés :
L'inspection se prononce pour la création d'un document unique à destination des Parlementaires, permettant de suivre les effectifs et les agrégats financiers de façon transversale.
Pour une application progressive des contraintes budgétaires de l'État à ces différentes entités.
Nous ajoutons qu'il serait bon que les rapports d'exécution budgétaire soient systématiquement publiés de façon à pouvoir suivre l'activité de ces entités.
Par ailleurs, le rapport reste muet quant à l'évolution des rémunérations des agents travaillant dans ces entités. Il serait particulièrement nécessaire d'effectuer un programme de convergence permettant à ces entités de rejoindre les normes d'évolution salariales de la fonction publique d'État de droit commun.
Enfin, l'initiative gouvernementale consistant à élargir l'enveloppe de 3 à 4,5 milliards d'euros de taxes affectées consistant à obliger les opérateurs concernés à en reverser les excédents encaissés par rapport à leurs besoins prévisionnels, doit être saluée. Elle demeure cependant encore insuffisante au regard des périmètres en jeu. Pourquoi ne pas l'étendre aux 9,86 milliards d'euros affectés en 2012 ?
Ce rapport IGF témoigne des lacunes qui subsistent dans le suivi et le contrôle de ces 1.244 entités et des principes généraux de gestion qui devraient leur être appliqués au-delà de leur diversité juridique et financière. Entre les lignes, on perçoit que, au-delà des 2 milliards d'euros de trésorerie que l'État souhaiterait récupérer, il serait assez aisé, rien qu'en supprimant les structures qui doublonnent (notamment dans la santé Anap, Has, Anesm…) d'économiser tous les ans une dizaine de milliards d'euros sur ces agences de l'État. Rien que sur les traitements (qui augmentent beaucoup pour les personnels de l'État en poste dans ces agences, a priori de l'ordre de 30 à 50%). Cela ne veut pas dire que le principe de « l'agencisation » doive être condamné. Ce qui pèche, nous dit le rapport, c'est le manque de vision stratégique de l'État dans sa tutelle. Ce que nous discernons entre les lignes c'est l'absence d'évaluation systématique des performances de leur action publique par rapport à la gestion directe par chaque ministère. Ce qui reste également en suspens, c'est la question du périmètre pertinent et de la taille des agences en fonction de leurs domaines de compétence. Économiser 700 millions d‘euros en 2013 sur les agences est un bon début mais il faudra aller plus loin dans les prochaines années.
[1] Nous aimerions y voir le signe d'une politique d'ouverture consistant, à l'instar des initiatives du ministre de l'Éducation Vincent Peillon, à diffuser les rapports non publiés par le précédent gouvernement, des corps d'inspection. Cependant, il semble que l'accès à ces documents publics soit encore partiel. Ainsi les annexes notées I à IX n'ont pas encore été publiées. Elles contenaient pourtant la méthodologie suivie, ce qui est regrettable en matière d'ouverture des données publiques.
[2] Ce qui explique d'ailleurs que le chiffre soit différent par rapport à l'effectif 2010 recensé sur le schéma présenté, à cause des très nombreuses "sorties" de périmètre constatées entre 2010 et 2012.
[3] Le rapport de l'IGF le rappelle d'ailleurs, aucune étude d'efficience n'a été réalisée quant à la pertinence des agences. Il faudra bien pourtant qu'elle ait lieu car il s'agit de la seule façon de poser la question du périmètre pertinent de l'agencisation.
[4] les gains estimés d'un mouvement de recentralisation des trésoreries, impulsé par l'AFT en 2011, étaient compris entre 6 et 8 milliards d'euros, s'agit-il des mêmes ODAC ? Qu'à rapporté véritablement cette politique ? Voir en ce sens, les intéressants développements proposés par Investigation économique, financière et boursière. On restera prudent, cependant car l'auteur peut parfois confondre chiffres énoncés en PLF et réévaluation partielle des crédits en cours d'année, chiffres utilisés par l'IGF, ce qui permettrait d'expliquer certains deltas. Des écarts qui s'expliqueraient sans doute si les annexes du rapport étaient publiées.