Cumul de pensions pour les fonctionnaires élus, certaines clarifications s'imposent
La polémique suite aux récentes révélations par le journal Marianne des pensions de retraite que pourrait percevoir François Hollande met en lumière les régimes originaux des fonctionnaires occupant successivement au cours de leur carrière postes publics et mandats électifs. François Hollande (d'après le service de communication de l'Elysée) serait le bénéficiaire potentiel des liquidations mensuelles de pensions suivantes :
- 3.473 euros net mensuels au titre de sa retraite de conseiller référendaire de la Cour des comptes
- 6.208 euros net mensuels au titre de sa fonction de parlementaire
- 5.184 euros net par mois pour la présidence de la République
- 235 euros net mensuels comme ancien élu local
- 168 euros net annuels pour ses fonctions d'avocat [1]
- 545 euros versés en une fois pour ses activités d'enseignement [2]
Il existe pour les salariés du privé un écrêtement des pensions (plus revenu d'activité) qui sera au 1er janvier 2015 de 6.941,37 euros majoré d'un tiers du montant de la pension. Pourquoi ne pas appliquer le même système pour les agents publics et les politiques ?
Parlementaire et fonctionnaire : la remise en cause progressive d'un régime d'exception
Face à la question de leurs retraites, les parlementaires se sont souvent braqués, mettant en avant la particularité du mandat parlementaire qui est une fonction, et non un métier pour masquer des régimes généreux, mal connus et dérogatoires.
Mal connus, car les caractéristiques de ces régimes de retraite sont constituées et arrêtées en toute indépendance (autonomie liée à la séparation des pouvoirs), sans publicité, au sein des bureaux des assemblées [3]. Notons d'ailleurs que le Conseil d'Etat compte tenu de la particularité de la fonction de parlementaire considère qu'il ne lui appartient pas de connaître des litiges relatifs à leurs retraites (décision du 4 juillet 2003 relative aux droits à la retraite parlementaire de Maurice Papon).
Ce régime a évolué. Tout d'abord, si l'on prend l'exemple des députés, ces derniers ont progressivement aligné sur de nombreux points leur régime de retraite sur celui des fonctionnaires, que ce soit en termes d'annuités de cotisation (41,5), de taux de cotisation (10,55% d'ici 2020) ou d'âge de liquidation des droits à la retraite (62 ans en 2018). Ils ont également renoncé en 2010 au système de double cotisation, par lequel ils bénéficiaient d'une retraite pleine après seulement 22,5 ans de cotisations. Ils ont néanmoins la faculté de percevoir une moitié d'annuité supplémentaire chaque année du premier et deuxième mandats, un tiers pour le troisième et un quart pour les suivants afin d'amortir les effets d'une rupture de carrière (ce qui, pour une retraite pleine, nécessite une cotisation de 31 annuités) et d'un système de pension complémentaire par points. A la clé, des pensions servies qui devraient être inférieures de 30% par rapport à ce qu'elles auraient été sans la réforme.
Dans la même veine, les parlementaires sont revenus sur l'avantage considérable dont profitaient les fonctionnaires par rapport aux travailleurs du secteur privé dans l'accès aux fonctions publiques électives.
Jusqu'alors, les fonctionnaires désirant exercer un mandat parlementaire se plaçaient en position de détachement, c'est-à-dire qu'ils conservaient un droit à l'avancement pendant toute la durée de leur mandat. Ils bénéficiaient en outre d'un régime d'exception au détachement de la fonction publique en cumulant à la fois les droits à la retraite en cotisant dans leur corps d'origine de la fonction publique et leur droit à pension de député ou de sénateur.
Tout d'abord, par la loi de finances de la sécurité sociale du 19 décembre 2007 (article 9), les sénateurs dès 2008 puis les députés à partir de 2012 [4] n'acquièrent plus de droits à la retraite dans leur régime d'origine. En position de détachement, ils ne dépendent plus exclusivement que du régime de retraite des parlementaires durant toute la durée de leur mandat. Leur situation particulière est donc constitutive d'un quasi-régime de mise en disponibilité de fait, bien qu'ils continuent à bénéficier du droit à l'avancement dans la carrière.
Cet avantage a été définitivement fermé pour l'avenir par les lois organiques des 11 octobre 2013 (art2 (V)) et 14 février 2014 (art5) ; les parlementaires ont finalement entériné la mise en disponibilité d'office des fonctionnaires exerçant un mandat parlementaire à partir du prochain renouvellement de l'assemblée en 2017. Les fonctionnaires-parlementaires suspendent alors leur carrière dans la fonction publique (droit à la retraite et avancement), une exception qui ne concerne toutefois pas les professeurs du supérieur (ni les ministres du culte dans les départements d'Alsace/Moselle).
Il reste malgré tout encore une marche à franchir pour égaliser les conditions d'accès aux mandats parlementaires entre fonctionnaires et salariés du privé, à savoir revenir sur la réintégration automatique des fonctionnaires-parlementaires dans leur corps ou cadre d'emploi d'origine. Par exemple, le retour des magistrats de la Cour des comptes rue Cambon est facilité par un recrutement « hors tour ». Faudrait-il, sur le modèle britannique demander la démission des fonctionnaires aspirant aux fonctions électives ?
Ministre et fonctionnaire :
Les fonctionnaires aspirant à une fonction gouvernementale [5] sont obligatoirement mis en disponibilité de la fonction publique depuis la loi organique du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie politique. Les ministres cotisent alors au régime général en tant qu'agents non titulaires de la fonction publique (IRCANTEC). Pour ce qui est des ministres ayant exercé à un moment ou à un autre un mandat parlementaire, une règle dans les gouvernements Fillon voulait qu'ils renoncent à leur pension de parlementaire. L'argument du Premier ministre de l'époque était clair : puisque la révision constitutionnelle de 2008 avait permis aux ministres de retourner automatiquement au Parlement lorsqu'ils n'étaient plus ministres, « Il est donc illogique qu'un ministre puisse liquider sa retraite de parlementaire et ensuite revenir au Parlement. » A l'époque six ministres et secrétaires d'Etat étaient visés par la mesure. Malheureusement cet engagement n'a pas fait l'objet d'une circulaire édictée par le secrétariat général du gouvernement (une simple lettre) et n'a donc aucune force juridique aujourd'hui.
Président et fonctionnaire :
Finalement, la fonction de Président de la République est l'une des dernières fonctions politiques qui n'impose pas la mise en disponibilité d'office pour un fonctionnaire. La Cour des comptes précise que cette situation « n'est expressément prévue par aucun texte. C'est donc le droit commun qui s'applique ». Pour autant, comme le rappelle Sylvie Hubac, directrice de cabinet du Président, depuis 2012, si le Président est en situation de détachement, il ne cotise plus à son régime d'origine et ne profite plus de droits à l'avancement [6], le positionnant de facto en situation de disponibilité.
Pourtant, Alain Vidalies ministre délégué des relations avec le Parlement avait annoncé en juin 2013 sur RTL. « Le président de la République m'a fait savoir que si nous votons cette disposition pour les parlementaires, immédiatement il se l'appliquera à lui-même » [7].
L'exemple des retraites de Jacques Chirac : Ce dernier cumule lui aussi plusieurs pensions, il touche notamment 63.000 euros bruts par an en tant qu'ancien président de la République. Mais, également, une retraite d'ancien député de Corrèze, de conseiller général de Meymac, de maire de Paris et de conseiller référendaire à la Cour des comptes. Le tout, pour un total de 19.000 euros bruts par mois.Un cumul anormal des pensions
S'il existe un plafond (on parle alors d'écrêtement) de traitements versés au titre de mandats électifs à hauteur de 1,5 fois le montant du revenu d'un parlementaire – 8.272 euros en 2013, il n'existe rien de tel pour les pensions de retraite des élus qu'on peut librement cumuler.
Un coup d'œil sur la situation des salariés du privé permet d'apprécier l'originalité du régime : en effet, dans les cas de cumul de retraite et d'activité, il existe un écrêtement sur les pensions si les revenus totaux excèdent une certaine somme (au premier janvier 2015, 6.941,39 euros majoré d'un tiers du montant de la pension). C'est donc un système de retraites étonnant, d'autant que s'ajoutent les fonds de pension à la disposition des élus (« retraite surcomplémentaire »), comme Fonpel, Carel, que l'élu et la collectivité financent chacun à hauteur de la moitié (taux qui ne peut excéder 8%).
Pourquoi ne pas établir le même plafond pour les agents publics et les politiques, tout simplement ? Cela éviterait beaucoup de débats inutiles, de calculs tronqués, et permettrait à chacun de voir ses choix.
Le fonctionnaire-élu local bénéficie dans la plupart des cas du détachement
Les élus fonctionnaires bénéficient de droit d'une mise en disponibilité et dans certaines conditions d'un détachement (soumis à approbation hiérarchique). Il est de plein droit en revanche pour les maires et maires-adjoints des villes de plus de 20.000 habitants, présidents et vice-présidents de communautés de plus de 20.000 habitants, de conseils régionaux et généraux. Dans ce cas, ils ne cotisent pas au régime général, leurs indemnités de fonction étant assujetties aux cotisations de leur régime spécial d'origine ; de la même façon ils demeurent soumis à leur régime spécial de retraite. Les cotisations « employeurs » étant réglées par la collectivité employeuse auprès de la caisse d'origine en l'occurrence le CAS pension si le fonctionnaire est détaché de la FPE et à la CNRACL si le fonctionnaire est détaché d'une collectivité territoriale. Par ailleurs, en tant qu'élu, celui-ci est affilié d'office au régime général par l'intermédiaire de l'IRCANTEC. Il cotise donc, ainsi que la collectivité « employeuse » à ce régime [8].
La nouveauté de la loi de finance de la sécurité sociale pour 2013 se trouve dans son article 18 qui permet aux élus fonctionnaires qui ont suspendu leur activité professionnelle de constituer des retraites par rente (FONPEL) à partir du 1er janvier 2013. Auparavant seuls les élus poursuivant leur activité professionnelle durant leur mandat pouvaient bénéficier des dispositifs de rente par capitalisation (FONPEL et CAREL dans la limite de 8% de l'indemnité brute effectivement perçue, la collectivité complétant à due concurrence (dépense obligatoire)) ce qui avantageait évidemment les élus fonctionnaires détachés (donc considérés ipso facto comme poursuivant leur activité professionnelle). Par ailleurs, certaines indemnités des élus échappent à toute cotisation, et donnent lieu à défraiement, notamment celles perçues à raison des mandats ou fonctions exercés dans des établissements publics qui ne sont pas des EPCI (syndicat mixte, SEM, société HLM, etc.) comme les remboursements des frais de représentation, de mission ou encore de déplacement prévus par le code général des collectivités territoriales ou encore les indemnités versées au titre d'un mandat local non précisées par les textes [9].
[1] La qualité d'avocat pouvait être acquise en qualité de responsable politique (ministre ou parlementaire) ou après la réussite du concours de l'ENA et les anciens assistants parlementaires. Désormais, seules ces deux dernières voies d'accès sont encore ouvertes, depuis le décret « Taubira » n°2013-319 du 15 avril 2013. C'est en sa qualité d'énarque que l'actuel président a pu bénéficier du dispositif « passerelle ».
[2] En sa qualité de haut fonctionnaire, François Hollande a pu être chargé de cours à Sciences Po.
[3] Ordonnance du 17 novembre 1958 art 8 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires
[4] Voir notamment le guide du détachement, Bercy, 11 décembre 2013, pp.5-6
[5] Ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution
[6] En effet, les droits constitués en matière d'avancement permettent de progresser (chevrons et échelons) au sein d'un même grade. Lorsque ce maximum est atteint, seule une promotion à un grade supérieur peut permettre de débloquer l'avancement. En l'espèce, l'absence d'avancement de grade depuis 1993 ne permettant pas à un conseiller référendaire de 1ere classe, de bénéficier d'une retraite supérieure. Voir en ce sens, lettre de la
Directrice de Cabinet du président de la République, en date du 9 décembre 2014 envoyé au journal Marianne.
[7] Consulter la vidéo sur le site du Figaro
[8] S'agissant des communes, voir ici et pour l'ensemble des élus, cliquez ici