SAE et Public Bartering (échange de biens entre personnes publiques)
Pour faire des économies sur les dépenses de fonctionnement des ministères, l'État a mis en place le SAE (Service des achats de l'État). Mais les économies affichées actuellement sont difficilement réconciliables avec les audits RGPP. Au-delà des économies en termes de prix, il est nécessaire que la France tire les conséquences de ces limites en mettant en place un autre système susceptible d'accompagner d'importantes économies en volume (baisse des achats) : initier des échanges entre personnes publiques (ce que l'on peut appeler le "Public Bartering"), ou échanges de biens publics entre administrations et associations voire personnes privées (morales ou physiques).
Le SAE, le service des achats de l'État, chargé à Bercy de coordonner la rationalisation des achats des ministères, utilise une mesure d'efficacité de l'achat public appelée « gains d'achats » [1]. Est-il parfaitement compatible avec la mesure des économies initiée par la RGPP ? A première vue on peut le penser s'agissant des achats ponctuels [2] et des achats récurrrents [3], mais à la condition expresse que ces gains se traduisent in fine par des non-consommation et des annulations de crédits. En effet, les gains obtenus ne préjugent pas de l'utilisation des crédits disponibles par les ordonnateurs des ministères. Il n'y a donc pas de clé de passage simple entre les « gains » affichés par le SAE et leur traduction concrète en matière de « maîtrise » des dépenses de fonctionnement :
Par recoupement, nous apprenons que des économies de fonctionnement ont été dégagées à hauteur de 400 millions d'euros en 2010 d'après le suivi RGPP, le SAE n'affiche dans son rapport d'activité 2010 que 106 millions d'économies, dont 70,2 millions à raison d'actions interministérielles.
S'agissant des économies à réaliser en 2011, le rapport RGPP met en évidence la recherche de 1,1 milliard d'économies supplémentaires (les économies sont récurrentes) en fonctionnement. Le rapport d'activité du SAE n'en identifie que 303,7 millions dont 97,7 en actions ministérielles.
Pour 2012, le prévisionnel anticipe des gains d'achat de 300 millions à nouveau, dont 1/3 issu des actions du SAE en 2011 [4]. Si bien que les gains ne seront pas récurrents sur l'ensemble des segments isolés. Pourtant les économies RGPP de fonctionnement localisées devaient concerner environ 1,5 milliard d'euros supplémentaires.
Au total, les rapports du SAE mettent en évidence entre 2010 et 2012, un effort de 709,7 millions d'euros cumulés en « gains d'achats », contre des économies RGPP envisagées de 750 millions d'euros en termes « d'optimisation de la politique d'achats de l'État ».
En outre, il n'y a pas de recension des effets « volumes » induits au niveau budgétaire, mais uniquement des effets prix au niveau du SAE. Les gains à réaliser sur les dépenses de fonctionnement ont donc un grand mal à être identifiés et en leur sein les « économies en volume en matière d'achat ». Enfin, on a du mal à localiser les efforts réalisés par les opérateurs. Ceux-ci en 2011 ont commencé à déployer (mission Opér'Achat) comme le secteur hospitalier avec le programme PHARE, les premières mesures de cartographie de leurs achats publics (vagues Aïda et Armen). Les gains anticipés à la programmation pluriannuelle 2011-2014 ne sont pas clairement envisagés.
Passer d'une logique de prix à une logique de volume
Malgré tout, en dépit d'un manque d'informations probantes sur la documentation des réformes en cours, il importe que les gains liés aux réductions de postes, ce que l'on appelle les « gains environnés », soient optimisés et décomposés. En clair, que le non remplacement des fonctionnaires dans les ministères non prioritaires permettent une traduction concrète en matière de baisse des achats publics : moins de bureautique, moins de fluides, moins d'électricité, moins de surfaces de bureaux etc. Le rapport RGPP estime ces effets induits au sens large à environ 334 millions d'euros en matière de dépenses de fonctionnement (estimation mi-2012) hors immobilier, soit 12,9% sur l'ensemble des économies de fonctionnement identifiées, mais seulement de 9,1% pour l'État stricto sensu, le reste étant dégagé par les opérateurs [5]. Quelle est l'effet volume en termes de dépenses d'achat ? Nous n'en savons rien [6].
Pour la Fondation iFRAP il s'agit d'en faire une composante importante dans les économies envisagées à compter de 2013. A cette fin, il nous semble essentiel de développer le principe de l'échange de biens et matériels entre les administrations publiques, ce que l'on peut appeler par un anglicisme la pratique du « Public Bartering ». Ce palliatif à l'achat public pourrait être mis en place par le SAE. Il faudrait pour cela qu'aux « responsables achats » et aux directions immobilières dans les ministères soient joints des « responsables prêts et échanges », en lien avec les gestionnaires pour tenir un inventaire à jour des stocks. Dans cette perspective, le SAE et France Domaine pourraient développer le principe d'une bourse d'échange de ces biens publics (qu'il s'agisse d'échange de biens stricto sensu (au besoin avec soulte) ou de dons unilatéraux. Il s'agirait en tout cas d'un processus important permettant de développer une alternative au « tout achat public » [7]. Par ailleurs, la meilleure allocation des stocks en résultant n'aurait pas d'impact budgétaire immédiat, de façon à ne pas « sanctionner » ipso facto les ministères disposant de stocks importants, mais permettrait de mieux réorienter les achats jugés « pertinents ». Cette démarche pourrait être ensuite étendue aux opérateurs et agences de l'État. Une démarche analogue pourrait être mise en place également entre services déconcentrés de l'État et collectivités territoriales.
Actuellement les collectivités territoriales sont pionnières sur ces deux versants :
Les transferts de biens immobiliers entre collectivités et avec le privé sont bien délimités [8], et sont rendus possibles notamment s'agissant des opérations d'aménagement [9].
Par ailleurs elles bénéficient depuis peu de sites d'échanges de biens mobiliers à l'initiative d'entrepreneurs privés. La première initiative est développée sous la forme du site www.collectivités-echanges.fr par la société Planète collectivités Sarl, qui est basée en Alsace, contre le paiement d'un abonnement annuel forfaitaire. La seconde est développée par la société SEPRA environnement, à titre gratuit, par l'intermédiaire du site Mairies.prêts.échanges.fr, qui se structure comme une plate-forme, avec fourniture de contrats d'échanges, d'achats ou de prêts types.
Un tel dispositif pourrait être mis en place au niveau de l'État en toute transparence, avec possibilité de visualisation des besoins et des offres entre entités publiques, ou entre public et privé.
Conclusion :
Passer d'une logique de "tout achat" à une logique d'achat responsable et d'échange, obéit à une logique de décroissance des dépenses de fonctionnement qui ne pourront plus se contenter d'évoluer simplement moins vite que l'inflation, pour viser résolument un véritable zéro valeur (y compris en exécution), ce qui suppose des efforts de l'ordre de -4% par an tant au niveau de l'État que des collectivités territoriales [10]. Ce gel inévitable, produira nécessairement d'importants redéploiments. L'échange public devrait permettre d'éviter ce que l'on observe parfois dans certaines administrations, à savoir la surconsommation de biens ou de fluides en fin d'exercice afin de parvenir à maintenir ses crédits. À l'heure actuelle, l'observatoire économique de l'achat public met en évidence pour 2011 un volume total d'achats en cours s'agissant des contrats de fournitures de l'ordre de 35% du montant total des marchés recensés pour l'État, soit 19,2 milliards d'euros, et de près de 25% pour les collectivités territoriales, soit environ 8,2 milliards d'euros. Si près de 10% de ces derniers étaient économisés par mutualisation, les gains engrangés permettraient une économie de près de 2,7 milliards d'euros complémentaires. C'est grosso modo 3,6 fois le montant des économies cumulées isolées par la RGPP entre 2009 et 2012. Encore faut-il que chaque administration tienne bien à jour un recensement exhaustif de ses comptes de stocks [11]
[1] Cette convention est bien détaillée s'agissant du déploiement de la rationalisation de l'achat des opérateurs, au travers de la mission « Opér'achat » chargée de lancer des vagues de rationalisations baptisées Aïda à l'instar des vagues Callypso mises en place au profit des ministères. Voir http://www.operachat.fr/base-docume… en particulier le document formation-calcul des gains 1, en particulier p.6. Isolation s'agissant des opérateurs sur un volume de 10 milliards d'achats de progrès de 3%/an, soit 200 millions d'euros/an pour des gains de 600 millions d'euros à trois ans.
[2] Voir document formation calcul des gains 1 p.19. Gains achat en € = [ budget prévisionnel* – (prix unitaire X volume prévisionnel) ].
[3] Gains achat en € = (prix historique révisé X volume prévisionnel) – (prix nouveau x volume prévisionnel)
[4] SAE rapport d'activité 2011, p.12. octobre 2012.
[5] Avec d'ailleurs des estimations sensiblement à la baisse s'agissant des opérateurs et de l'État : Évaluation CMPP 6 de décembre 2011, p.58, s'agissant des opérateurs de 81 et 16 millions d'euros d'économies rattachées à l'exercice 2012, mais pour un gain État en mesures environnées transverses de 318 millions d'euros, contre 213 affichés pour l'année 2011, mais avec une économie opérateur de 49 et 10 millions d'euros respectivement. Le premier chiffrant les suppressions de postes dans les opérateurs et le second les effets induits en matière de baisse des dépenses de fonctionnement (hors immobilier).
[6] Les gains d'achats liés aux mesures transversales mises en place par le SAE butent sur les mêmes difficultés que celles évoquées plus haut pour l'État. Elles ne correspondent pas aux actions interministérielles mises en place en matière de « gains d'achat », qui sont elles normatives et non « volumiques ».
[7] Une telle alternative est autorisée par le CG3P (Code général de la propriété des personnes publiques), en particulier aux articles L.3112-1 et L.3112-2 du CG3P, le premier se référent à l'article L1 qui vise l'ensemble des biens appartenant aux personnes publiques : État, collectivités territoriales et leurs établissements. Voir, http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/s…, en particulier la p.3. Cependant il serait sans doute nécessaire de « simplifier » la mesure de façon à fluidifier le processus.
[8] Voir en particulier le BOI 4 B-2-12 du 23 mars 2012.
[9] Voir Fondation iFRAP, Sandrine Gorreri, Logement, un pas de plus vers la planification, septembre 2012. Projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public et au renforcement des obligations de production du logement social. Le projet a été censuré par le Conseil constitutionnel pour erreurs dans le suivi de la procédure législative, mais pas quant au fond. Par ailleurs la disposition est toujours ouverte au sein du Code général de la propriété des personnes publiques.
[10] Qui devront se rationner en matière d'achats publics à raison de la réduction de leurs dotations en provenance de l'État. L'enveloppe a été gelée en valeur pour 2013, puis décroissante de -750 millions d'euros/an pendant deux ans
[11] Cette démarche pouvant aller de pair avec un marquage systématique des biens publics par l'intermédiaire d'un numéro d'identification unique. Voir pour une démarche en développement lancée dans le cadre du concours SGMAP "Challenge 2020" le projet d'échanges mutualisés au niveau de l'Etat des étudiants de l'IRA de Nantes E-Change.