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Opérateurs de l'Etat : les fusions reprennent mais à quand la baisse des dépenses?

L’exploitation du « jaune » budgétaire « opérateurs », annexé au PLF 2024 a établi le constat d’une stabilité du nombre des opérateurs (fixé depuis 2023 à 438 entités) – malgré des mouvements d’entrée/sortie – : à preuve pour le PLF 2024 recense 3 entrées et 3 sorties : deux entités font leur apparition par « la création d’organismes par voie législative (ACMOSS, GIP France enfance protégée) » ainsi que « l’accès de l’école d’économie de Toulouse au statut d’EPSCP ». En sortie « un organisme est internalisé au sein de l’Etat (…) (IHEST) et deux entités ne correspondant plus aux critères de qualification sortent du périmètre. » Reste que les effectifs sont fixes, mais ils devraient évoluer à la baisse à brève échéance, avec la création par voie législative en 2024 de l’ASNR (Agence de sécurité nucléaire et de radioprotection) par fusion de l’ASN et de l’IRSN, mais aussi à plus long terme (2025 ?) par un rapprochement par exemple d’entités comme le CEREMA, l’ANACT et l’ADEME, pour constituer une entité unique d’ingénierie infrastructurelle et environnementale territoriale, à la disposition des élus. Un rapprochement de l’ANAH et de l’ANRU pourrait également faire sens… Malheureusement côté dépenses, celles-ci continuent de croître plus vite que l'inflation. Les financements publics ont représentés en 2023 près de 76,6 milliards d'euros contre 49,9 milliards en 2012, soit une augmentation plus de trois fois plus rapide que l'inflation. Si les financements publics avaient évolué comme l'inflation les financements publics représenteraient en 2023 58,8 milliards d'euros (+8.9 milliards d'euros) hors les dépenses ont augmenté de 26,7 milliards d'euros (+17,7 milliards par rapport à l'inflation). 

Un paysage des opérateurs en apparence « stable » depuis 2023… 

Lorsque l’on regarde la chronique d’évolution du nombre des opérateurs de l’Etat, l’image renvoyée est plutôt plane depuis 2023 (3 entrées en une fusion[1]). Le même phénomène s’observe pour les AAI (autorités administratives indépendantes) depuis 2023, après la création de l’ARCOM par fusion d’Hadopi et du CSA.

Source : « Jaune » Opérateurs de l’Etat, « Jaune » Autorités administratives indépendantes, retraitement Fondation iFRAP avril 2024. 

Comme nous l’évoquions en introduction, cependant, cette résultante fixe à 438 entités résulte en 2024 d’un ratio entrées/sorties nul : en entrée, l’ACMOSS (agence des communications mobiles de secours), le GIP France enfance protégée et TSE (école d’économie de Toulouse devenant EPSCP ; en sortie, le CITEPA (centre interprofessionnel technique des études de pollution atmosphérique, le GIP Agence de développement universitaire Drôme Ardèche et la rebudgétisation (devenant service à compétence nationale) de l’IHEST (Institut des hautes études pour la Science et la Technologie). 

Cependant, la stabilité de la population des opérateurs ne préjuge pas de l'augmentation de leurs budgets. Pour ne retenir que le financement public des opérateurs, celui-ci augmente entre 2012 et 2023 de plus de +26,7 milliards d'euros (à 76,6 milliards), soit 3 fois plus vite que l'inflation (+16,8% soit +8,96 milliards d'euros). Cela démontre qu'en dépît d'un volontarisme certain dans la baisse de leur nombre, les pouvoirs publics n'ont en aucun cas cherché à limiter leurs financements pour en maîtriser les dépenses.

Qui devrait bouger significativement en 2024-2025

Plusieurs entités vont et pourraient fusionner à horizon 2024-2025 ce qui pourrait redessiner le périmètre des opérateurs de l’Etat :

Une fusion qui vient d’être actée : celle de l’ASN et de l’IRSN dans l’ASNR

En avril 2023, le Parlement a définitivement adopté le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire[2].

Or ce texte, vise à fusionner l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) et l’IRSN (institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) en une entité unique, désormais dénommée l’ASNR[3] (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection). Le nouvel organisme devient une autorité administrative indépendante, par « absorption » par le statut de l’ASN. Les AAI restent donc toujours au nombre de 24, mais l’IRSN sort du champ des opérateurs (436 opérateurs à date de fusion). 

Sur le plan financier, la nouvelle entité devrait se présenter comme suit en comptabilité budgétaire :

 En K €

Budget

ASNR

Crédits PLF 2024

Titre 2 Dépenses de personnel (y c CAS Pensions)

217 230,32

Titre 3 Dépenses de fonctionnement

128 136,74

Titre 5 Dépenses d'investissement

26 248

Titre 6 Dépenses d'intervention

1 400

Titre 7 Dépenses d'opérations financières

0

Total

373 015,06

FDC et ADP

39

Total

373 054,06

Source : Calculs Fondation iFRAP avril 2024 (en supposant nuls ou compensés les coûts de fusion)

Avec des dépenses de personnel (y compris CAS pensions) de 217,2 millions d’euros, pour un total de budget de 373 millions. L’ASN représentant environ 20% du budget de la nouvelle entité et l’IRSN 80%. Des synergies nouvelles pourraient permettre de faire baisser le budget de la nouvelle entité et d’internaliser la 1ère année les coûts de fusion. 

Reste que cette « rebudgétisation » indirecte va aboutir à faire passer sous plafond les 105 emplois actuellement hors plafonds de l’IRSN (dont 46 apprentis), ce qui devrait aboutir à des effectifs de 2.286 ETPT (dont 56 mis à disposition par les ministères en bénéfice de l’ex-ASN). 

Mais le mouvement pourrait ne pas s’arrêter là et toucher également des opérateurs en charge d’aider à la réalisation de politiques locales d’aménagement ou d’environnement.

Une fusion qui pourrait avoir lieu dans un proche avenir : ADEME, ANCT, CEREMA

Lors d’une audition devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale[4], le directeur général du Cerema Pascal Berteaud n’a pas exclu la possibilité d’une fusion entre son opérateur, l’Ademe et l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT, remplaçante de la Datar). L’intéressé a cependant fait savoir qu’à son avis une telle fusion « ne serait pas pour demain » notamment à cause des différences de culture : « Je dirais que le métier dominant à l’Ademe est celui de distribuer de l’argent, avec à côté un certain nombre d’expertises, alors que le métier dominant du Cerema est l’expertise avec à côté un petit peu de distribution d’argent (…) Et puis surtout, vous avez une culture différente : le Cerema est vraiment la maison des ingénieurs et l’Ademe est quand même plus une culture militante à la base. »

Une remarque qui ne manque pas de sel quant à la « neutralité de l’action publique » mais qui fait surtout écho au rapport pour avis relatif à la Cohésion des territoire, annexé au PLF 2024 et rédigés par le sénateur Jean-Louis Nicolaÿ[5]. Celui-ci s’interrogeait sur l’effectivité de la coordination entre les différents opérateurs de la cohésion des territoires au premier chef l’ANCT, qui sont lui « restait un défi » au vu de « l’archipel des agences » en charge de cette politique publique.

Comme le fait remarquer le rapporteur, « durant les débats parlementaires autour de la création de l’Agence (ANCT), l’exemple de la Délégation interministérielle de l’aménagement du territoire (Datar), dissoute en 2014, a été régulièrement évoqué : l’objectif était de donner un interlocuteur unique aux collectivités territoriales pour assister les élus dans l’élaboration d’un projet de territoire durable. »

Une multiplicité d’acteurs techniques qui nécessite des conventions de coordination

Or 5 intervenants existent toujours en dehors de l’ANCT avec lesquels il a fallu mettre en place des dispositifs de coordination : l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie), le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), mais aussi l’Anah (Agence nationale de l’habitat), l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine) et la Banque des territoires (Caisse des dépôts et consignations). 

Il a donc fallu signer des conventions de coordination entre les différents opérateurs ainsi que créer un comité national de coordination (réunion toutes les 6 semaines + réunions techniques). Par ailleurs, dans les contrats de relance et de transition écologiques (CRTE), des soutiens ont été apportés tantôt par l’ANCT, tantôt par le Cerema ou l’Ademe pour la conception des contrats et là encore il a fallu mettre en place une 1ère génération de convention de coordination 2021-2023, reconduits pour la période 2023-2027. 

Selon le rapporteur « il convient de s’interroger sur les périmètres respectifs de l’ANCT et de ses partenaires : l’opportunité d’un rapprochement, voire même d’une fusion d’opérateurs (…) afin de renforcer la lisibilité de l’action (…) une utilisation optimale des financements alloués et de mettre enfin en œuvre une politique globale d’aménagement du territoire. »

Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif car celui-ci serait signe de simplification des circuits décisionnaires et des financements

Nous pensons que deux blocs de fusion devraient être envisagés :

  • Une fusion ANCT, ADEME, CEREMA ; plutôt technique
  • Une fusion quant à la politique immobilière (ANAH, ANRU), plutôt financière

Si la fusion des agences techniques et de financement ANCT, ADEME et CEREMA avait lieu dans un proche avenir (hâtée pour des raisons budgétaires), le périmètre du nouvel opérateur technique environnemental serait de près de 1,52 milliards d’euros en dépenses pour 1,36 milliards d’euros en recettes, avec un solde déficitaire (Budget initial 2023) de -162 millions d’euros :

Dépenses (K€)

Crédits de paiement

Recettes (K€)

 

Personnel

352 945

Recettes globalisées

1 057 142

dont contributions employeur au CAS Pensions

51 494

dont subventions pour charge de service public

919 942

 

 

dont autres financements de l'Etat

7 800

Fonctionnement

243 575

dont fiscalité affectée

0

Intervention

849 517

dont autres financements publics

14 597

Investissement

73 967

dont recettes propres

114 804

 

 

Recettes fléchées

300 930

 

 

dont financements de l'Etat fléchés

272 027

 

 

dont autres financements publics fléchés

2 820

 

 

dont recettes propres fléchées

26 083

Total des dépenses

1 520 004

Total des recettes

1 358 072

 

 

Solde budgétaire

-161 932

Source : Calculs Fondation iFRAP avril 2024

La trésorerie de la nouvelle entité représenterait près de 2,4 milliards d’euros :

 Trésorerie K€

2020

2021

2022

ADEME

1 687 943

1 958 687

2 249 038

ANCT

6 862

6 097

10 252

CEREMA

29 900

55 016

139 532

Total

1 724 705

2 019 800

2 398 822

Source : Jaune budgétaire « opérateurs » PLF 2024

Et les effectifs représenteraient près de 3.941 ETPT sous plafond et quelques 400 hors plafond dont 75 apprentis.

 

Sous plafond

hors plafond

dont contrats aidés

dont apprentis

ADEME

1 065

270

 

45

ANCT

371

8

 

 

CEREMA

2 505

122

 

30

Total

3 941

400

0

75

Source : Jaune budgétaire « opérateurs » PLF 2024

Il va sans dire que des économies devraient être recherchées à partir des synergies réalisées. Notamment sur les 243 millions de coûts de fonctionnement (hors dépenses de personnel), mais aussi sans doute sur les effectifs de ces entités. 


[1] Voir notre note du 28 février 2023 https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/quand-la-transparence-sur-les-107-milliards-des-operateurs-et-agences-de-letat

[2]https://www.vie-publique.fr/loi/292470-projet-de-loi-surete-nucleaire-fusion-asn-et-irsn

[3] Voir le rapport du rapporteur spécial Jean-Luc Fugit (député), sur le projet de loi, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-dvp/l16b2305_rapport-fond.pdf

[4] Voir Acteurs publics, Philippine Ramogino, L’idée d’une fusion avec l’Ademe et l’ANACT fait son chemin au Cerema

[5]https://www.senat.fr/rap/a23-132-1/a23-132-11.pdf#page=16