One in, two out : les conditions pour que ça marche
Édouard Philippe vient d'annoncer son intention de stopper l'inflation normative en France et pour cela, il compte mettre en place la formule britannique du "one in, two out", c'est-à-dire que toute nouvelle réglementation devra être compensée par la suppression de deux normes existantes dans le même champ ministériel ou politique... ou du moins (petit bémol) leur simplification. Une circulaire en ce sens a été publiée jeudi 27 juillet pour être effective dès le 1er septembre 2017, moment à partir duquel les ministères devront rendre (publiquement, on l'espère) chaque semestre leur rapport sur le nombre de normes simplifiées et les économies générées. Une mesure directement liée à la promesse présidentielle d'Emmanuel Macron qui, début 2017, voulait "qu'on n'ajoute plus de nouvelles règles avant d'avoir passé en revue celles qui existent et n'ont pas d'utilité"... Attention cependant à ne pas tomber dans l'effet d'annonce comme les précédentes présidences de la République, et à ne pas oublier de passer en revue notre stock normatif qui reste la véritable inconnue de cette équation. Sans cela, le gouvernement ne ferait que supprimer des normes à l'aveugle.
Stock normatif : de quoi parle-t-on ?
La problématique est celle de notre stock normatif, de son évaluation, de sa complexité : une question qu'aucun gouvernement n'a été capable de résoudre puisque nous ne connaissons ni notre stock normatif, ni son « coût », que les entreprises et les particuliers subissent en « impôt papier ».
La dernière étude publique sur le coût des charges administratives pour les entreprises remonte à... 1995, et les évaluait à 80 milliards de francs. En 2007, un rapport de l'Inspection générale des finances avait partiellement enquêté sur le sujet en recensant la totalité des OI (obligations d’information) pesant sur l’économie : elle comptait 10.000 OI, dont 8.000 sur les parties codifiées, avec 1.000 OI « lourdes » pour un coût exhaustif à 15 millions d’euros. Des données plus que partielles qui expliquent que nous n'avons qu'une simple estimation de notre stock normatif où des chiffres différents circulent : par exemple, le Conseil d’État évalue le stock de lois à 10.500… quand le secrétariat général du gouvernement l’estime, lui, à 2.000 seulement. L'hypothèse la plus partagée serait celle d'un stock normatif qui tournerait autour de 400.000 textes, parmi lesquels 11.500 lois et 120.000 décrets répartis dans 62 codes différents (lorsqu’une codification est effectuée).
Réduire les normes sans connaitre le stock : les exemples Sarkozy et Hollande à ne pas reproduire
En 2007, Nicolas Sarkozy lance une Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a vocation à moderniser et simplifier les administrations. C’est dans ce cadre que seront lancées 348 mesures de simplification pour les entreprises (les mesures pour les particuliers et visant les collectivités territoriales ne sont pas quantifiables) dont 101 aboutiront, soit un taux de réalisation de seulement 29%, dont le gain économique n’a jamais été évalué. Hormis le début d’étude de l’IGF de 2007, aucune évaluation du stock normatif ne sera lancée. Un flou qui permet à l'ancien président de la République, alors candidat à sa réelection, de déclarer en mars 2012 : "Je considère que le nombre de normes est à son maximum en France et en Europe (...) à chaque fois qu'un ministre voudra présenter une nouvelle norme, nous exigerons deux normes anciennes supprimées".
Vagues de simplification et taux de réalisation sous Nicolas Sarkozy
| Entreprises | Particuliers | Collectivités territoriales |
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Engagées | 348 | inconnu | inconnu |
Bloquées/abandonnées | 12 |
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En cours | 90 |
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Incertains | 145 |
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Réalisées | 101 |
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Taux de réalisation | 29 % |
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En 2013, François Hollande reprend le flambeau en annoncant un grand "choc de simplification". Le rapport Mandon de 2013 se fait alors l’écho de l’avancement des mesures de simplification recensées par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique mais sans continuité puisqu'il ne documente pas celles lancées par le gouvernement Fillon... d'autant que ce "choc de simplification" apparaît bien complexe.
Il devait instaurer un principe « simplifiant » la vie des administrés, le silence vaut accord : suite à une demande d’un contribuable ou d’une entreprise, le silence – ou la non-réponse – de l’administration dans les deux mois équivaudrait à un « oui ! ». 3.600 procédures étaient concernées par la loi votée et appliquée à partir du 12 novembre 2014. Sauf que, le 23 octobre 2014, paraissaient 33 décrets émanant des différents ministères : sur les 3.600 décisions de l’État visées au départ, seulement 730 respectent aujourd’hui le principe du silence vaut accord dans les deux mois. Les décrets listent 1.295 dispositions non concernées, 1.280 dérogations pour lesquelles le silence vaut… rejet au bout de deux mois et 425 où le silence vaut rejet au bout de 4 ou 6 mois… Un an plus tard, le silence de l’administration vaut accord était censé s’appliquer aux collectivités locales et aux organismes de sécurité sociale. Là encore, des décrets sont sortis pour exclure une partie des décisions. Selon le gouvernement, le principe du « silence vaut acceptation » devrait finalement concerner 260 procédures applicables aux collectivités territoriales, soit environ 70% des procédures concernées. Une vraie déception même si le quinquennat Hollande comptabilise 356 mesures simplificatrices.
Vagues de simplification et taux de réalisation sous François Hollande
| Entreprises | Particuliers | Collectivités territoriales |
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Engagées | 646 | 246 | 75 |
Bloquées/abandonnées |
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En cours | 212 | 160 | 40 |
Incertains | 1 |
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Réalisées | 240 | 81 | 35 |
Taux de réalisation | 52 % | 33 % | 47 % |
Ce qu'il faut faire avant toute simplification : évaluer le stock et le flux
La comparaison entre les quinquennats Sarkozy et Hollande, en termes de simplification, compte de nombreuses zones d’ombre que la présidence Macron va devoir éclaircir. Premier problème : comment peut-on mesurer l’impact de la simplification s’il n’y a jamais eu d’évaluation réaliste de notre stock normatif au préalable. Par exemple, on ne connait pas l’action engagée par les gouvernements Fillon envers les particuliers et les collectivités territoriales puisque rien n'a jamais été docummenté. Ainsi on ne peut pas connaitre les économies dégagées pour les entreprises par les 101 mesures du quinquennat Sarkozy. La présidence Hollande donne bien un chiffrage des économies en direction des entreprises de "plus de 5 milliards d’euros" mais ce, sans partager ces calculs. Des économies plausibles donc, mais vraisemblablement virtuelles.
La circulaire annoncée par Matignon ce jeudi 27 juillet annonce bien que le sujet de la simplification est repris par la nouvelle majorité mais après 10 ans de demi-mesures et de simplifications à l'aveuglette, il est plus que temps que l'Etat se dote des outils nécessaires au suivi de notre stock normatif, à son évaluation et à sa réduction.
La première chose à faire, c’est d'identifier et quantifier le stock et le flux. Pour cela, il faut créer une base statistique de légistique unifiée afin de pouvoir dégager un stock et un flux (législatif, réglementaire et interprétatif - circulaires), exploitation rationnelle et en open data. Ne pas oublier non plus la production normative au niveau local : cela suppose de disposer d'une base de recueil : légilocal... et d'une computation statistique pertinente.
Ensuite, il faut doter la France d’une autorité unique en matière d’évaluation des normes. Pour cela, on peut transformer le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) en Conseil unique d’évaluation des normes (CUEN), en étendant ses compétences au-delà des simples Apul (administrations publiques locales), à l’ensemble des administrations publiques. Comme ce qui se fait en Allemagne, son champ d’expertise devrait concerner trois cibles d’impact normatif spécifique :
- évaluation des charges en direction des entreprises ;
- évaluation des charges en direction des citoyens/particuliers ;
- évaluation des charges en direction des administrations publiques (avec décomposition par niveau d’administration).
L’ensemble des administrations serait dans l’obligation, pour les projets de lois ou de règlements, de transmettre au CUEN les études d’impact afférentes pour avis lorsque les coûts en matière de charge administrative sont supérieurs à un seuil : 1 million d’euros. Il faudrait pour cela modifier explicitement la loi organique relative aux études d’impact du 15 avril 2009 (art. 8). Le CUEN, en lien avec l’Insee, pourrait avoir enfin la charge de la mise en application de la politique de "one in, two out".
La dernière étape, c'est de créer un organisme de suivi de la charge administrative au sein même du Parlement, permettant d'effectuer l'ensemble des évaluations ex-ante qui le concernent, questionner les études d'impact et leur contre-expertise par l'organisme sus-évoqué, chiffrer les amendements déposés à forts enjeux d'origine gouvernementale ou parlementaire, et se positionner s'agissant des propositions de loi. Cet organisme devrait également pouvoir effectuer des études d'impact ex-post.
Voir la feuille de route complète de la Fondation iFRAP : maîtriser l’inflation normative, en cliquant ici.
Le One in Two out en matière de coûts
C'est bien là pour le moment que le dispositif aujourd'hui à l'oeuvre pêche. En effet, c'est à l'aune des normes supprimées ou simplifiées en termes de coûts pour les particuliers, les collectivités territoriales, les entreprises et les administrations, que la mesure devrait pouvoir être évaluée. Attention, les mesures en la matière sont encore balbutiantes :
- Déjà avec la circulaire du 2 avril 2013, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, imposait aux administration la mise en place d'une "interprétation facilitatrice" des normes ;
- Les deux circulaires du 17 juillet 2013, dont celle relative au gel de la réglementation, décrétaient un nouveau moratoire sur les normes, cette dernière ne faisait que reprendre celle du 6 juillet 2010 relative précisément à la mise en place d'un "moratoire des normes". Elle impulsait cependant le déploiement d'un dispositif "One in, One out", sans grand succès. Elle ne faisait d'ailleurs que développer le dispositif de la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales ;
- La circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015, généralisant la mise en place d'un "test PME" et d'un "test ATE" (pour les administrations territoriales de l'Etat), pour les textes relatifs à l'organisation des services déconcentrés de l'Etat ou pouvant avoir une incidence sur eux ;
- Enfin la circulaire du Premier ministre du 2 mai 2016, relative aux services producteurs de normes législatives et réglementaires, leur demandant d'ajouter une analyse d'impact des enjeux fondamentaux en matière d'égalité entre tous les jeunes, la justice intergénérationnelle et l'accès aux droits et aux services publics.
On l'aura compris, seule une véritable évaluation quantitative économique et financière devrait pouvoir permettre à la nouvelle règle de perdurer. La barre est placée deux fois plus haut qu'en 2013. Souhaitons qu'elle dépassera les ébauches qui l'ont jusqu'à présent précédées.
Les enseignements de l'exemple britannique : Au Royaume-Uni, le programme de réduction des coûts administratifs ne débutera véritablement qu’à compter de 2010[1]. Le cabinet Office lance le « Red Tape Challenge » avec pour objectif de faire baisser le coût de la réglementation pour les entreprises britanniques de 10 milliards de livres (13,57 milliards d’euros) en quatre ans (2011-2014[2]). Ces économies sont cependant présentées brutes et cumulées en comptabilisant les économies réalisées chaque année et supposées définitivement acquises (pour une discussion voir infra). Il n’y a pas véritablement d’audit exhaustif du stock de législation existante. Un nouveau cycle de réduction de 10 milliards de livres a été annoncé par David Cameron entre 2016 et 2018 (cycle qui pourrait être amendé par Thérésa May dans le cadre du Brexit). La seconde démarche consiste à réaliser un suivi annuel ou infra-annuel de la législation produite par les pouvoirs publics et d’y adjoindre des objectifs en termes de volume d’économies à générer. C’est l’approche britannique dite du « One in One Out » (OIOO), qui doit s’entendre en termes de coût afin de travailler à coût réglementaire constant, puis à compter de 2013, la mise en place d’un système de gestion réglementaire renforcé dit « One in Two Out » (OITO) afin d’accélérer les gains obtenus sur l’activité normative (législative et réglementaire) des pouvoirs publics. Cela suppose que simultanément un organisme indépendant (plus ou moins autonome suivant les pays) relève la présence systématique d’études d’impact réglementaires et en audite la fiabilité lorsque les montants en jeu le justifie. L’introduction de la démarche « OIOO » dès 2010 par le Cabinet Office puis en 2013 du « OITO », a permis un pilotage sur base semestrielle concluant s’agissant des économies réalisées. L’objectif atteint sur la période janvier 2011- juillet 2015 est de 2,2 milliards de livres nettes environ (soit 3,07 milliards d’euros) d’économies[3]. Il a été renforcé dans le cadre de l’annonce faite par le gouvernement britannique du 3 mars 2016, vers une logique de « One-In, Three-Out, afin de remplir l’objectif de -10 milliards de livres de charges administrative d’ici 2018[4].
Source : 9th Statement of New Regulation, 2014. La Hollande a procédé de même. Le gouvernement à compter de 2011 a révisé l’évaluation de stock normatif à 7,417 milliards d’euros, puis fixé un objectif de réduction de coût de 5% par an à compter de 2013. Désormais dans le cadre du programme général 2012-2017, les objectifs de simplification prévoient une diminution nette des charges induites par les changements réglementaires et des coûts de mise en conformité (méthode CAR), de 2,5 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros pour les entreprises et 0,5 milliards pour les citoyens et les services publics. Le principe pour atteindre cet objectif est celui de la compensation (ce qui revient à appliquer une règle analogue à celle du « OIOO ») par chaque ministère. Le ministère des finances communique sur les progrès accomplis tous les six mois[5]. La position actuelle notifiée en date du 17 novembre 2016, permet de vérifier que la cible nette fixée pour 2017 a été atteinte et même dépassée fin 2016, avec une réduction courante nette en octobre de 2,59 milliards d’euros, soit 136 millions de mieux que six mois auparavant[6].
Source : Ministerie van Economische Zaken, 17 novembre 2016, Fondation iFRAP 2017 |
[1] Entre 2007 et 2010, le cabinet britannique se dote d’une better regulation task force, qui deviendra à compter de 2009, le RPC (regulatory Policy Committee, organisme (voir infra), ce dernier n’acquérant la qualité d’autorité administrative indépendante qu’en 2012 (avec le statut d’organisme public non ministériel indépendant). Consulter, http://www.regulation.org.uk/deregulation-2007_to_2010.html ainsi que le rapport sectoriel par pays de l’OCDE, perspective de l’OCDE sur la politique de la réglementation 2015, p.216.
[2] http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20150522175321/https://www.gov.uk/government/news/hancock-red-tape-drive-saves-business-a-record-10-billion
[3] Department for Business, Innovation & Skills, The Ninth Statement of New Regulation, Better Regulation Exectutive, December 2014, p.5. https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/397237/bis-14-p96b-ninth-statement-of-new-regulations-better-regulation-executive.pdf
[4] https://www.gov.uk/government/news/government-going-further-to-cut-red-tape-by-10-billion
[5] Consulter, Ministerie van Economische Zaken, Najaarsrapportage regeldruk, 17 november 2016, p.6, https://www.rijksoverheid.nl/documenten/kamerstukken/2016/11/17/aanbiedingsbrief-najaarsrapportage-regeldruk
[6] Nos informations sont plus récentes que celles données dans le rapport annuel du Conseil d’Etat, note 475, p.162. op.cit.