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La « révolution » Macron est-elle « en marche » ?

Après la publication de l’ouvrage « Révolution », le grand meeting de samedi dernier et l’interview télévisuelle, la revue des propositions d’Emmanuel Macron s’impose. Nous allons nous placer successivement au plan des mesures économiques essentielles, telles que celles retenues par les médias, et nous demander ensuite, compte tenu de l’intention manifeste du candidat de ne pas s’enfermer dans le piège des mesures techniques, si les grands débats économiques et sociétaux qui agitent la France sont traités. Sur le premier point, la récolte est décevante, car les mesures sont, soit d’une mise en place très ardue, soit d’un effet absolument minime. Sur le second point, de très grands pans des débats essentiels ne sont simplement pas abordés.

Emmanuel Macron est-il le « candidat du travail » qu’il revendique être ?

Le droit du travail.

Emmanuel Macron est dans la ligne déjà inaugurée de simplification du Code du travail, proposant son allègement afin que la loi se contente de fixer les principes généraux auxquels les branches et les entreprises pourraient déroger. Rien de franchement nouveau dans cette démarche, qui ne s’est malheureusement pas traduite par une simplification mais au contraire par une complexité accrue dans le domaine où elle a été expérimentée à savoir le temps de travail : Le législateur a été conduit à diviser les règles en trois parties, celle des principes de base, celle des dérogations permises et celle des dispositions s’appliquant en l’absence d’accord. Une méthode erronée, cause d’un alourdissement considérable du Code du travail qu’il s’agissait au contraire de simplifier.

Rappelons d’abord que le candidat s’en tient à la durée légale de 35 heures. Il s’agit d’un marqueur tellement fondamental de la gauche qu’Emmanuel Macron, candidat de la gauche quoi qu’il en dise en face d’un probable François Fillon, ne peut pas se permettre de s’y attaquer. Donc rien de changé ici, et les heures supplémentaires continueront de s’appliquer. Il se démarque ici de Manuel Valls en ce que, si ce dernier maintient la même durée légale, il propose de rétablir la défiscalisation sarkozyste de ces heures pour les salariés, moyen de leur redonner du pouvoir d’achat. Nous verrons que dans le même but, la solution Macron consiste à baisser les cotisations salariales et d’instituer la CSG sociale.

Le véritable changement, expliqué dans le débat de samedi soir dernier sur TF 1, consiste dans la reprise de la modification que le candidat cherche depuis longtemps et en vain à imposer dans la loi, et qui concerne la flexibilité du temps de travail et de la rémunération par accord majoritaire dans les branches ou les entreprises. Les trop nombreuses conditions continuant à figurer dans la loi du 14 juin 2013 font en effet de cette disposition un coup d’épée dans l’eau. Ce que cherche Emmanuel Macron s’inspire ouvertement du modèle allemand, inauguré par les accords de Pforzheim, datant déjà de février 2004, sur lequel les partenaires sociaux, et particulièrement le puissant syndicat allemand IG Metall, se sont mis d’accord avec le patronat, et que le chancelier de l’époque Gerhard Schröder a favorisés en prenant garde de ne pas impliquer l’Etat. La plupart des accords qui s’ensuivirent furent faits sous ce modèle, qui permet l’allongement de la durée du travail couplé à la modération salariale, ou inversement, lorsque la crise est arrivée, le travail à temps partiel rémunéré partiellement, ce que le pouvoir a combiné avec la politique généreuse du kurzarbeit. Politique que la France n’a jamais pu mettre en pratique de façon satisfaisante compte tenu de son coût.

On ne peut qu’applaudir à la tentative d’imposer ce modèle de flexibilité qui a permis à l’Allemagne de diminuer drastiquement son taux de chômage, même si cela s’est accompagné de pertes pour les salariés. Mais, au contraire de la France et de sa préférence connue pour le chômage, l’Allemagne a toujours considéré qu’il était meilleur de mettre tout le monde au travail et d’échapper ainsi à la société duale des « insiders » et des « outsiders » qui est l’un des poisons du système français. 

Mais ce satisfecit ne peut que s’accompagner d’une réserve essentielle, celle de l’efficacité du dialogue social, et c’est là que le bât blesse. Pour beaucoup de raisons que nous n’allons pas rappeler ici, ce dialogue se heurte aux blocages syndicaux[1], et par le refus que la loi autorise généralement des dérogations semblables à celles admises par les accords allemands de Pforzheim. Actuellement, il n’y a aucun moyen sérieux en France de résoudre un conflit en l’absence d’un accord majoritaire au sein de l’entreprise, à l’exception du referendum d’entreprise qu’il est interdit à l’employeur de mettre en mouvement. Comment Emmanuel Macron imagine-t-il sortir de ce problème ? On ne sait pas, et pour louable qu’elle soit, l’intention du candidat relève apparemment du seul vœu pieux. Alors que la loi travail fait toujours l’objet de l’opposition résolue de plusieurs syndicats, au premier rang desquels la CGT, il paraît bien illusoire de ne pas penser à des réformes imposées par une nouvelle majorité législative.

Pérenniser le CICE

Cette mesure est nécessaire, et depuis toujours réclamée par les entreprises, et a l’avantage de débarrasser une fois pour toutes le plancher politique des débats oiseux sur l’utilisation du crédit d’impôt. Mais elle n’apporte rien de nouveau à ces entreprises, si ce n’est le confort, certes indispensable, de confiance fiscale. Elle avait d’ailleurs été prévue par l’Elysée, qui avait dû y renoncer car le coût de cette pérennisation, 40 milliards, correspondant au doublement de l’aide sur l’année en cours pour rattraper le retard du départ pris en 2013, est prohibitif. Emmanuel Macron ne s’explique pas sur la façon de faire face à la dépense. De plus, la pérennisation se traduira aussi par une perte fiscale pour les entreprises, car en diminuant les charges au niveau de la production, on augmente l’assiette de l’IS, et donc l’avantage fiscal du crédit sur cet IS disparaît à hauteur du taux de ce dernier.

Créer un modèle de solidarité universelle pour tous les travailleurs, payé par l’impôt.

Les médias ont surtout retenu la mesure consistant à baisser les cotisations salariales, en supprimant la part salariale de l’assurance maladie (0,75% sur le salaire brut), et celle de l’assurance chômage (2,40%), dont le financement serait assuré par une augmentation du taux de la CSG. Cette mesure a été présentée par le candidat comme une façon d’apporter un pouvoir d’achat complémentaire aux salariés, ce qui est exact, à un niveau cependant très faible comme nous le verrons.

Mais cela s’intègre dans une réforme d’ensemble beaucoup plus vaste qui vient cette fois bousculer un modèle de société, ce qui appelle un grand nombre de commentaires que nous ne pourrons qu’esquisser ici.

La disparition de l’assurance chômage comme prestation contributive ?

La suppression de la cotisation salariale maladie ne pose pas de problème essentiel, ni financier ni intellectuel. Elle est maintenant très faible, à 0,75% soit un rendement de 5,5 milliards, alors que les cotisations des employeurs atteignent 12,8%. L’assurance maladie  relève de la solidarité nationale, et il est normal qu’elle soit financée par l’impôt, soit une augmentation de la CSG comme le propose Emmanuel Macron.

En revanche il n’en est pas de même pour l’assurance chômage, qui suit traditionnellement en France un modèle « bismarckien », qui ouvre des droits individuels proportionnels aux cotisations versées. Emmanuel Macron propose une sorte de révolution à ce sujet en passant à un modèle « beveridgien » à la britannique, financé par l’impôt, et surtout ouvert à toute la population, y compris les indépendants, comme une sécurité universelle pour toute personne écartée du travail pour quelque raison que ce soit. Le candidat propose même que les salariés démissionnaires bénéficient des prestations chômage, mais, semble-t-il, seulement une fois tous les cinq ans, et avec une contrepartie consistant dans le durcissement des obligations du salarié quant à la reprise d’un travail, suivant les exemples allemand et britannique d’ailleurs. Et là on commence à rentrer dans de grandes complexités de type « usine à gaz » génératrices d’effets pervers. La loi française prévoit déjà l’obligation d’accepter la seconde offre raisonnable d’emploi, mais elle est très mal appliquée et source de réticences considérables : un gouvernement malgré tout de gauche pourra-t-il imposer un véritable durcissement de cette règle, qui correspond à un changement des mentalités et renvoie à l’obligation de reprendre un emploi même de qualité nettement inférieure ?

Le financement par l’impôt vis-à-vis du salarié signifie que l’Etat reprend la main sur l’assurance chômage. En substituant la CSG à la cotisation, l’Etat est libre de définir comme il l’entend l’étendue des prestations, et l’on comprend qu’Emmanuel Macron a pour intention d’en faire un objet, non pas de droits acquis individuels, mais de solidarité universelle ouvert à tous, avec pour conséquence inévitable la diminution et l’égalisation des prestations. C’est le modèle anglais, qui distribue des sommes qui seraient jugées extrêmement faibles en France (plafond de 500 livres pour un couple, à condition d’avoir cotisé deux années, signé un contrat de jobseeker et versé pendant seulement deux années)[2]. A quel niveau Emmanuel Macron pense-t-il plafonner les indemnités et comment va-t-il s’assurer de l’assentiment des Français à cette réforme pénalisante pour les classes moyennes ?

Un effet financier minime de la mesure

La baisse des cotisations salariales, en tout 3,15% doit être en partie compensée, nous dit Emmanuel Macron, par une hausse de 1,7% de la CSG, impôt dont l’avantage est de porter sur une assiette plus large que les cotisations, puisqu’il est aussi calculé sur les retraites et les revenus du capital. Mais dans une proportion que le candidat a tendance à exagérer dans ses discours et qui ne dépasse pas 30% du total : autour de 70% sur les salaires, 20% sur les retraites et 10% sur les revenus du capital. Par ailleurs les chômeurs ainsi que les petites retraites seraient exonérés de cette hausse – sachant que c’est déjà le cas à l’heure actuelle puisqu’à compter de début 2017 les retraites seront totalement exonérées de CSG à partir d’un revenu fiscal de référence de 10.996 euros, et d’un taux passant de 6,6% à 3,8% lorsque ce revenu ne dépasse pas 14.375 euros (550.000 retraités vont ainsi bénéficier d’un taux nul ou réduit)[3]. Au total, le gain résultant de la combinaison de la baisse des cotisations et de la hausse de la CSG serait limité au niveau du smic à… environ 250 euros par an, à peine plus de 20 euros par mois pour une personne seule, soit encore 1,8% du smic net. Moins d’une année d’augmentation normale des salaires, sans inflation ni promotion[4]. Tout ça pour ça ?

Quid des fonctionnaires ?

Les fonctionnaires ne paient aucune cotisation salariale pour les risques maladie et chômage, sur lesquels portent les allègements proposés, à l’exception d’une contribution de solidarité de 1%. Ils devraient néanmoins voir augmenter comme tous leur CSG de 1,7 point, soit la voir passer d’un taux de 7,5% à celui de 9,2% (soit plus de 22% d’augmentation), ce qui signifie pour eux une perte sèche du même montant. Ce serait tout à fait justifié dans un objectif de rétablissement de l’égalité public-privé. Mais Emmanuel Macron pourra-t-il l’imposer - sans bien entendu devoir concéder des contreparties assez habituelles dans ce genre de négociation, telles que les augmentations de la valeur du point ?

Une augmentation très mal venue de l’imposition des revenus du capital

La France est championne du monde de l’imposition du capital, si l’on tient compte des deux impositions sur le stock (notons au passage qu’Emmanuel Macron reste maintenant silencieux sur l’ISF…) et sur le flux des revenus. Cet état de fait constitue un handicap notable pour la France, que le financier qu’est le candidat n’ignore évidemment pas. Et c’est le moment qu’il choisit pour encore augmenter les prélèvements sociaux, qui ont bondi à 15,5%, dont 8,2% de CSG, soit un taux déjà plus fort que celui applicable aux salaires ??![5] A titre anecdotique, on trouve à la page 56 de Révolution, l’ouvrage d’Emmanuel Macron, la phrase suivante : « En cette matière [la finance], il faut agir avec discernement : lutter contre la finance sans finalité et encourager la finance qui permet d’investir ». Alors, encourageons !

Et quoi d’autre pour booster l’économie et la croissance ?

A côté des mesures que nous avons analysées, quel est le projet de nature à résoudre les grands problèmes que rencontre notre économie et qui entravent la croissance et l’emploi ? On aura bien noté l’accent mis sur la protection des travailleurs, mais quoi pour doper les entreprises, favoriser leur emploi et répondre à leurs revendications ? On a l’impression, concernant le droit du travail, qu’Emmanuel Macron reste quelque peu tétanisé par l’échec qu’il a subi en devant édulcorer grandement la loi qui porte son nom, puis renoncer à poursuivre ses réformes et passer la main à Myriam El Khomri.

Au plan économique général, on reste sur sa faim. Le candidat rentre dans le rang du socialisme le plus traditionnel, défenseur du bilan du quinquennat : pas besoin de réformes du modèle social[6], des dépenses de santé[7], du déficit et des dépenses publiques en général, pas de réflexion sur le smic, pas plus sur la fonction publique et son statut. Pas de prise de position sur la baisse des dépenses publiques couplées avec celle des prélèvements obligatoires, qui restent toujours, selon Fipeco, supérieurs en 2014/2015 de plus 3 points à ce qu’ils étaient en 2008 en proportion du PIB, et ce malgré les récents allègements (45,5 du PIB contre 37% en Allemagne). Tout cela tient du déni de réalité. En matière de compétitivité des entreprises, on ne trouve qu’une vague mention de la réduction des prélèvements qui lui nuisent, mais cela paraît se borner aux sujets qui ont été abordés plus haut. On trouve une mention de la « baisse des cotisations patronales », mais comment cela pourrait-il être compatible avec la baisse des cotisations salariales par ailleurs prévues et le maintien intégral du modèle social ??

En fin de compte ?

La musique du discours a pu intriguer, voire séduire, les paroles, pour le moment, ne retiennent guère l’attention. Certes, on peut encore faire crédit à Emmanuel Macron de ne vouloir distiller ses propositions qu’au compte-goutte, puisqu’il n’est pas candidat à la primaire de gauche. Il ne veut pas non plus tomber dans le prétendu piège des mesures techniques. Il n’empêche que lorsque les propositions précises existent, elles ne sont ni convaincantes ni porteur d’un effet substantiel, et qu’il faudra bien un jour proche qu’il descende dans l’arène avec un programme dûment chiffré.

Au niveau du débat des grandes idées sur lequel Emmanuel Macron désire se placer, les grands débats économiques qui agitent la France ne sont guère abordés.

La « Révolution » n’est pas encore en marche. Et, pour les tenants du libéralisme, le souffle de liberté n’existe pas véritablement chez un candidat dont l’idéologie reste fondamentalement celle d’un étatisme très prononcé.


[1] Par exemple les accords récemment passés dans la filiale française Smart de Daimler, ayant abouti à une augmentation temporaire de la durée du travail partiellement indemnisée, restent une exception douloureuse et conflictuelle ayant nécessité un référendum d’entreprise non prévu par les textes et considéré par les syndicats comme un moyen de leur forcer la main.

[2] Indépendamment de l’allocation de secours éventuellement versée si les conditions ne sont pas réunies.

[3] …mesure imaginée pour compenser la suppression antérieure de la demie-part des veuves, pourtant justifiée à notre sens.

[4] Le salaire horaire brut ouvrier et employé (SHBOE), indicateur pour moitié de la formule d’indexation du smic, a augmenté de 2% en 2015, ce qui a conduit le gouvernement à refuser d’accorder un coup de pouce en début d’année.

[5] Fipeco vient de publier une mise à jour de l’écart de fiscalité France/Allemagne, écart qui n'a cessé d’augmenter. La fiscalité du capital en particulier atteint 10,5% du PIB en France contre 6,25% en Allemagne, soit un différentiel de 68% ou encore environ 10 milliards à PIB égal.

[6] Par exemple, « les prestations sociales devront être retirées moins vite en cas de reprise d’activité ». Les dépenses de la protection sociale, qui atteignent 747 milliards en 2015, ne doivent pas être confondues avec les seules dépenses de santé (247 milliards). Le déficit de la protection sociale a diminué mais atteint encore 4 milliards. Surtout, les ressources se fiscalisent de plus en plus, et entre 2014 et 2015 les contributions publiques, par opposition aux cotisations, ont dû augmenter de 12,4%, ce qui « tire » sur le déficit et l’endettement de l’État.

[7] « Je m’engage à ce que sur la santé on ne modifie rien, on ne retranche aucun droit, on ne dérembourse aucun soin ».