Actualité

La fonction habillement des militaires : à rationaliser

Les bénéficiaires de la fonction habillement

Dans le cadre de leurs statuts et de leurs missions, les militaires (active et réserve) sont équipés de tenues qui sont composées d'effets et accessoires identitaires marquant l'appartenance à une armée ou un service, et spécifiques pour l'exercice de leurs activités et missions professionnelles. Cette population de militaires est rattachée organiquement à 2 ministères [1] et 2 formations qui sont les suivants :

  • ministère de la Défense (MINDEF) : environ 220.000 militaires d'active + les réservistes ;
  • ministère de l'Intérieur (MININT) : gendarmerie = un peu moins de 100.000 personnels d'active + les réservistes, et les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC) : environ 1.600 militaires ;
  • brigade des sapeurs pompiers de Paris (BSPP) : environ 8.500 militaires et le bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) : environ 2.400 militaires.

En outre, le MINDEF cède gratuitement des effets d'habillement courants, dans le cadre d'un accord avec le ministère de l'Outre-mer (MIOM), au service militaire adapté (SMA - environ 7.000 personnes (dont environ 6.000 volontaires) à l'horizon 2016) et de façon ponctuelle des tenues de combat spécifiques à des contingents militaires étrangers dans le cadre de la coopération militaire qui relève du ministère des Affaires étrangères (MINAE).

Les catégories d'habillement des militaires (pour un budget annuel d'achat d'environ 170 millions d'euros pour le MINDEF et 38 millions pour la gendarmerie) sont les suivantes :

  • les tenues de service courant (incluant celles des élèves des 6 lycées militaires), de parade des élèves officiers et sous-officiers des écoles de formation, des musiques et de gala (officiers) ;
  • les tenues de sport courantes uniques dans la marine nationale et l'armée de l'air et différentes selon les différentes armes de l'armée de terre, et spécifiques selon la nature du sport pratiqué ;
  • les tenues de combat courantes avec des camouflages différents selon les théâtres d'opérations (européen, désertique, jungle-tropical, montagne hiver…) et spécifiques (personnels navigants, embarqués, aéroportés et de montagne, protection balistique, décontamination nucléaire, radioactive, biologique et chimique (NRBC), déminage, maintien de l'ordre, contrôle de foules…) ;
  • les tenues de travail et de sécurité bien souvent identiques à celles utilisées dans le secteur civil (médical, sécurité, secours et incendies, restauration collective, manutention logistique, maintenance technique…).

La dotation initiale en effets d'habillement courants est gratuite et les modalités de leur renouvellement obéissent en régle générale à une logique de « droits de tirage ». Cependant, il existe encore des pratiques hétérogènes telles que :

  • la distribution qui s'effectue selon la nature des effets, soit par correspondance individualisée à partir d'un service télématique auprès d'un centre de stockage public ou privé, soit par les magasins d'habillement des unités ;
  • les opérations d'entretien des effets courants et les travaux de finition et de retouche qui sont réalisées à titre gratuit ou onéreux selon les catégories de personnel.

La procédure et les acteurs de la fonction habillement au sein du MINDEF

La fonction habillement est assurée par plusieurs acteurs qui sont principalement le service du commissariat des armées (SCA), mais aussi différentes directions de service comme la Direction centrale du service de santé des armées (DCSSA), la direction générale de l'armement (DGA), la DGSE… En outre, le SCA dispose de plusieurs organismes d'achat public qui passent des marchés :

  • au niveau national : le centre d'expertise du soutien du combattant et des forces (CESCOF -Rambouillet (78) - environ 200 personnels dont 40% de militaires) = effets spécifiques (protection balistique et NRBC, effets de combat et de vol, textiles techniques…) et tenues de sortie et les 3 plates formes d'achat finances (PFAF) = PFAF Est (Metz) : effets de protection individuelle et de sport ; PFAF Centre-Est (Lyon) : effets des troupes de montagne ; PFAF Sud-Ouest (Bordeaux) : effets des forces spéciales de l'armée de terre ;
  • au niveau régional : les 7 plates formes d'achat finances (PFAF [2]) = blanchissage-entretien des tenues courantes et achat d'effets de sport,

Le SCA et la DGA réalisent ensemble des systèmes d'arme de plus en plus complexes comme le système FELIN (Fantassin à Équipements et Liaisons Intégrées) qui est constitué d'un ensemble d'équipements techniques (armement, électronique, optique, informatique… - responsable = DGA) et d'effets d'habillement spécifiques (responsable = SCA). Cette organisation nécessite une concertation permanente entre ces 2 acteurs notamment en ce qui concerne notamment l'ergonomie, la protection individuelle et le camouflage des effets d'habillement imposés par la technologie évolutive des systèmes d'arme (aéronefs, navires, blindés, déminage, NRBC, optronique, électronique, balistique…).

Le stockage des effets d'habillement est assuré, pour une partie, dans les magasins d'unités et principalement par le SCA dans ses 5 établissements logistiques suivants :

  • établissement spécialisé de Châtres qui avec ses 120 personnels (dont une dizaine de militaires) a pour mission de stocker et d'expédier les articles et effets d'habillement des militaires commandés par un système télématique ;
  • établissement spécialisé de Mourmelon (environ 110 personnels dont une dizaine de militaires) qui, outre d'autres missions logistiques au niveau national et régional, effectue des opérations de réception, distribution, tri et remise en condition des articles spécifiques (protection, FELIN, déminage, NRBC…) ;
  • établissements logistiques de Brest et Toulon qui outre des missions de soutien logistique local, assurent le stockage et la distribution d'effets spécifiques de la marine, et celui de Portes les Valence, des effets de montagne.

De plus, les maîtres ouvriers [3] - MO (tailleurs et bottiers) dont le recrutement est arrêté depuis le 1er janvier 2010, assurent avec leurs ateliers constitués de personnels civils sous contrat de droit privé (environ 400) des travaux de confection, de finition et de réparation au profit des militaires, du SCA, et des formations militaires.

Les effectifs de la fonction habillement (SCA et formations militaires) sont d'environ 1.600 personnels (environ 700 militaires et 900 civils). Un rapport de l'Assemblée nationale de 2010 précise les comparaisons entre les coûts moyens en 2010 (salaires et pensions) des fonctionnaires civils et militaires du MINDEF :

  • un fonctionnaire civil de catégorie A : 68.801 euros en moyenne contre 102.197 pour un officier ;
  • un fonctionnaire de catégorie B : 50.909 euros contre 58.592 euros pour un sous-officier ;
  • un fonctionnaire de catégorie C a coûté 36.133 euros contre 45.870 pour un militaire du rang.

En outre, pour une même tâche administrative, un civil travaille en moyenne 1.600 heures par an et le militaire 1.000 heures compte tenu de sa nécessité de participer à des activités d'entraînement et d'instruction.

Externalisation de la fonction habillement au MINDEF

Partant du constat que la fonction habillement était génératrice de surcoûts importants, il a été décidé en 2010, d'étudier son externalisation en confiant sa gestion au secteur privé qui aurait été chargé de réaliser, de stocker et de distribuer les effets militaires à partir d'un système informatique de gestion et de commande, et d'effectuer les services à la personne réalisés par les MO. La gestion des effets d'habillement ayant une « haute criticité opérationnelle » devait être assurée en régie compte tenu de la nécessaire réactivité du soutien des armées appelées à intervenir dans des délais très courts sur des théâtres d'opérations multiples. Ce projet devait permettre la suppression de 869 équivalents temps plein.

Les 4 groupements qui ont remis des offres fermes fin septembre 2013 étaient Daher associé à Paul Boyé Technologies, Veolia au travers de sa filiale « Défense environnement services » avec DCNS, Ineo (groupe GDF Suez), et un consortium associant notamment le canadien Logistik Unicorp et une société du groupe Atalian.

Dans le même temps, a été étudiée le maintien de la fonction habillement en régie, à condition qu'elle fût « optimisée » (régie rationalisée optimisée – RRO) et qui visait à interarmiser les marchés (la planification 2012 pour l'approvisionnement des effets prévoyait la passation d'un total d'environ 67 marchés dont 46% interarmées et 54% spécifiques à une seule armée), à réduire le stock (évalué à environ 800 millions d'euros) et les sites de stockage, et à mettre en place un système d'information logistique de gestion performant.

Le rapport du Sénat de 2013 indiquait que les gains attendus de l'externalisation de la fonction habillement (environ 350 millions d'euros), étaient estimés à 21% et de la ROO à 13%. Sur le plan social, était prévu d'accorder :

  • la possibilité de mise à disposition de l'opérateur privé (décret du 21 septembre 2010) des personnels assurant les activités transférées au secteur privé (Ineo s'étant engagé à réserver la moitié des 500 emplois qu'il devait créer, aux agents de la fonction habillement, Daher, le même pourcentage sur 700 à 800 postes).
  • un plan d'accompagnement aux restructurations (PAR) assorti d'indemnités de départ volontaire pour les personnels employés dans des organismes voués à la fermeture.

Le projet d'externalisation qui permet d'organiser les fonctions en étant axé sur la maîtrise des coûts et à importer les meilleures pratiques professionnelles, a permis d'effectuer un important travail d'harmonisation des tenues entre armées tels que certains effets de tenue de sortie dans la mesure où cela ne remet pas en cause l'identité des armées, de service courant (blouson demi-saison, parka d'uniforme, chemises, chaussures), et de combat spécifiques lorsque les conditions d'emploi sont similaires (effets de combat et de vol, sous-vêtements « concept multicouches ») ; ainsi, sur la base de dotations type, a été réalisé un catalogue unique des effets d'habillement qui est le référentiel interarmées pour les travaux de leur programmation et de leur acquisition (sur la totalité des articles référencés, plus de 50% sont communs au moins à 2 armées). L'harmonisation peut également se traduire par l'emploi de variantes sur une même base de documents techniques qui amènent à satisfaire un besoin utilisateur par un produit approchant un article existant.

Après concertation avec les personnels de la Défense, syndicats, groupements professionnels, PME du secteur et MO, le ministre de la Défense a décidé de retenir le projet de RRO piloté par le SCA et qui « contribuera à la préservation des capacités opérationnelles des armées et apportera une réponse adaptée aux attentes légitimes des militaires en matière d'amélioration de la qualité de service », permettra d'économiser environ 50 millions d'euros par an et contribuera « au maintien de l'activité des PME-PMI françaises, partenaires traditionnelles » des armées.

Il est à noter que la PME Paul Boyé Technologies qui intervient au profit des gendarmes (confer infra), conçoit dans ses usines une partie du trousseau, le reste étant sous-traité à des fournisseurs agréés. Ayant relocalisé une partie de l'activité, la PME privilégie le « made in France » qui estampille 60% des produits quittant son centre logistique et fait travailler plus de 60 fournisseurs dans des secteurs très variés (maille, tisseurs, chaussures, coiffures, insignes et écussons métalliques ou brodés, passementerie, gants…).

Externalisation et rationalisation de la fonction habillement du MININT

A été créé en 2013 le service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) qui assure le recueil des besoins, la conception, l'achat, la mise à disposition et l'entretien des différents effets d'habillement, équipements et moyens nécessaires à l'exercice des missions des personnels de la gendarmerie nationale, de la police nationale (environ 135.000 personnels) et de la sécurité civile (environ 2.000).

La fonction habillement est externalisée dans la gendarmerie nationale depuis 2011 avec la PME Paul Boyer (Toulouse) qui a remporté en 2014 un nouveau marché sur 6 ans et renouvelable au terme de 3 ans. Les prestations principales englobent :

  • la fabrication annuelle de 1,5 million par an d'effets d'habillement et leur distribution ;
  • la mise en place et maintenance d'une solution logicielle permettant la gestion de la prestation (prise de commande, suivi du carnet à points, déclaration des litiges, consultation des indicateurs de performance…) ;
  • le pilotage et suivi des prestations (mise en place et gestion de la fin du marché, gestion des approvisionnements, stocks, et des commandes jusqu'à leur livraison sur site, contrôle qualité, service après-vente…) ;
  • le maintien en condition opérationnelle (MCO) des effets de protection individuelle et la gestion de fin de vie des articles (soit réutilisation, soit valorisation, soit incinération avec réutilisation des cendres).

Le renouvellement du marché d'externalisation de l'habillement de la Police Nationale a été attribué en 2013 à un groupement d'entreprises qui rassemble Ineo Support Global, La Calaisienne et Balsan. D'une durée de 4 ans (avec une reconduction possible d'une année) et d'un montant total estimé à 85 millions d'euros, il porte sur la fabrication, l'approvisionnement et la distribution de vêtements et accessoires (4.500 références) que les personnels peuvent commander sur la base d'un carnet à points individuel (annuellement, 170.000 commandes, pour un total de 1,2 million de pièces distribuées par an dans 900 points de distribution).

La BSPP et le BMPM (comme les services départementaux d'incendie et de secours - SDIS) passent leurs propres marchés d'approvisionnement et d'entretien d'effets d'habillement spécifiques.

Conclusion

Il convient de développer, au niveau de l'État une politique interministérielle volontariste et concrète de la fonction habillement. À ce titre, l'Observatoire économique de l'achat public créé en 2005 (avec son Groupe d'étude des marchés habillement et textile) pourrait être, au-delà de sa mission actuelle de concertation, une force de propositions en matière d'organisation interministérielle [4] de la fonction achats publics des effets d'habillement et de leur gestion incluant les services des collectivités (sécurité civile (BSSP, BMPM, SDIS) et publique (police municipale)) car il dispose de nombreuses données techniques mais aussi économiques des marchés publics, et ceci dans une logique de réduction des dépenses de fonctionnement, voire d'investissement.

L'adoption de la RRO qui ne dispense pas de tirer des retours d'expérience sur l'externalisation des marchés d'habillement du MININT, suppose de rationaliser la fonction habillement en :

  • confiant au SCA la réalisation des effets courants des militaires et des civils [5] et à la DGA celle des effets spécifiques nécessaires à l'utilisation des systèmes d'armes, qui doivent être harmonisés ;
  • concentrant les fonctions d'achats sur un organisme unique du SCA qui doit privilégier l'interarmisation et la mutualisation des marchés, et stockage des effets courants et spécifiques sur un seul site, dont les effectifs doivent être civilianisés ;
  • réduisant de façon significative le volume des stocks, et facturant aux différents bénéficiaires (MIOM et MINAE) les opérations de cession et d'entretien d'effets d'habillement ;
  • réalisant un système d'information de gestion et de commande en tenant compte des retours d'expérience de ceux utilisés au MININT.

[1] De façon accessoire, ministère du développement durable et de la mer : administrateurs et officiers du corps technique et administratif des Affaires maritimes (ces derniers devant être absorbés en 2016 dans celui des administrateurs) : moins d'une centaine de militaires

[2] Basées à Saint-Germain en Laye, Metz, Lyon, Bordeaux, Rennes, Toulon et Brest.

[3] Les maîtres ouvriers des armées sont soumis aux dispositions statutaires des corps de sous-officiers et officiers mariniers de carrière des armées

[4] MINDEF, MININT, MINAE, MIOM, ministère des Finances (douaniers), ministère du Développement durable (gardes chasse, pêche, littoral, rivières, parcs nationaux…), etc.

[5] Effets spécifiques travail et de sécurité (manutentionnaires, maintenanciers, conducteurs, gardiens, serveurs des hôtels quartiers généraux…).