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La discrète suppression des sous-préfectures

La suppression des sous-préfectures les moins actives est en quelque sorte l’arlésienne de la réforme de l’Etat déconcentré. Elle a du sens car dans le même temps la réforme territoriale s’engage vers une plus grande simplification du bloc communal : dans le cadre de la loi NOTRe le seuil des intercommunalités à fiscalité propre passe ainsi de 5.000 à 15.000 habitants, sauf exceptions ; de l’autre, les communes « fusionnent » notamment sous l’impact de la loi du 16 mars 2015 relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle. Le nombre de communes passe donc de 36.588 à 35.885, soit une baisse de 1,9%, et 400 devraient encore fusionner dans les prochains mois. Il est donc clair que le maillage de l’Etat doit s’adapter à la nouvelle donne et que des réformes « structurelles » doivent être attendues sur ce champ et au premier chef s'agissant de 235 sous-préfectures. Pourtant en apparence rien ne bouge… en apparence seulement.

Le « Big Bang » des préfectures a commencé mais « modestement » 

Présenté en Conseil des ministres le 16 décembre 2015 le Plan préfectures nouvelle génération (PPNG) doit être déployé début 2017. Il s'agit d'une évolution des missions de l'administration préfectorale qui implique nécessairement une rationalisation du réseau des sous-préfectures, en même temps que la montée en puissance de la e-administration.

  • Sur le second volet, l’évolution des missions aboutit à la généralisation de la dématérialisation dans la délivrance des titres (téléprocédures, recours à des tiers de confiance (externalisation)) au travers de la création de plateformes interdépartementales ou régionales (passeports et naturalisations[1]). Ce mouvement va se traduire concrètement par une gestion unifiée des moyens informatiques de l’Etat déconcentré[2] qui « sort » concrètement du périmètre budgétaire de l’administration préfectorale[3].
  • Sur le premier volet c’est l’organisation du réseau préfectoral qui évolue, non seulement en raison de la réforme de la carte des régions qui entre en vigueur au 1er janvier 2016, mais également de la refonte de la carte des sous-préfectures, ce qui devrait aboutir à périmètre constant à la suppression de 200 ETP en 2016. Encore que, les suppressions de postes strictement liées à la refonte de la carte territoriale ne seront que 70 ETP[4]. Les « réductions de postes » stricto sensu liées à la réforme territoriale impliquant une évolution de la carte préfectorale représente donc une baisse de 0,26% des effectifs préfectoraux. En revanche, la rétractation des services départementaux (comprenant les sous-préfectures) est bien actée dans la mesure où à périmètre courant si les services régionaux reçoivent un renfort de 307 agents, les services départementaux eux en perdent 1.159 ETPT soit une baisse globale de 852 ETPT, ramenée à périmètre constant la baisse globale représente -168 ETPT, mais la baisse des services départementaux devrait être de -475 ETPT, soit -1,8% des effectifs[5]. Un chiffre plus important que l’on ne croit si on le rapproche cette fois des effectifs des fonctionnaires préfectoraux en sous-préfecture (4.847 agents en 2014, et le chiffre depuis n’a pu que baisser), soit une baisse de 10% environ.

La question lancinante des sous-préfectures

Si les efforts budgétés sont mesurés, la réforme elle pourrait rapidement prendre de l’importance. Elle vient cependant de loin, même si les volumes potentiels sont désormais à peu près connus. Lancée par Manuel Valls en juillet 2012, il faudra attendre 2013 pour qu’émerge un rapport confidentiel remis au ministre de l’intérieur pointant en 120 pages la nécessité de fermer 47 sous-préfectures sur le réseau des 235 que compte la France[6], soit une baisse potentielle de 660 postes (il faut dire qu’un quart des sous-préfectures compte moins de 8 agents (soit 58 d’entre elles)). La sélection à l’époque avait été faite avec des critères objectifs : pas plus de deux sous-préfectures à supprimer par département, distantes au plus 30 minutes de la préfecture en voiture et aucune en zone de montagne. Dans le droit fil une expérimentation est montée en septembre 2013 en Alzace-Moselle avec date butoir en 2017 : 6 sous-préfectures doivent disparaître : dont 4 purement et simplement : Wissembourg, Ribeauvillé, Guebwiller et Metz-Campagne, tandis que 4 autres fusionnent (en deux arrondissements) Sarrebourg et Château-Salins, Boulay et Forbach. La réalité en avril 2016 est plus mitigée, les implantations de Thionville et de Strasboug Campagne totalement vides (sans services ni préfets) n’ont pas encore formellement disparu[7].

Il faut dire que les fermetures d’implantations même vidées de leur substance, restent sensibles : ainsi par exemple à Ancenis où la sous-préfecture, pourtant sans sous-préfet depuis plus de deux ans, continue d’être le théâtre de manifestations locales. Avec parfois des mouvements en sens contraire, comme Segré dans le Maine-et-Loire dont la sous-préfecture sans sous-préfet a vu en sens contraire la nomination d’un nouveau titulaire en 2014.

Le discours de la méthode

Dans ces conditions, les pouvoirs publics marchent sur des œufs et Bernard Cazeneuve fait profil bas. Toute ambition de réforme on l’a vu n’a pas pour autant déserté la place Beauvau puisque le budget 2016 fait bien apparaître une réduction de 70 ETP liés à la réforme territoriale, mais bien -475 ETPT dans les services départementaux, ce qui nous rapproche un peu plus de 660 suppressions évoquées dans le rapport de 2013.

Cette nouvelle orientation part d’un constat, l’absence d’avancée sur le dossier déploré encore une fois dans le rapport annuel de la Cour des comptes en 2015, obligeant le ministère de l’Intérieur à communiquer sur un élargissement du dispositif pilote d’Alzace-Lorraine à cinq autres régions devant afficher une carte rénovée des sous-préfectures au 1er janvier 2016. Les échéances électorales auront raison de cette logique. Raison de plus pour inverser la problématique et repartir d’une logique de terrain bottom-up, associant plus clairement suppression des sous-préfectures et remplacement par des maisons de l’Etat ou des services au public[8] (MdE ou MSAP).

Présenté par le ministre de l’Intérieur le 9 juin 2015, le PPNG vient d’être décliné dans le cadre de la DNO 2016-2018 (Directive nationale d’orientation) publiée en février 2016[9]. C’est dans ce cadre que le ministre de l’Intérieur a publié une note aux préfets en date du 16 février 2016[10] permettant de décliner l’articulation entre le PPNG et la rétractation du réseau sous-préfectoral « réforme de l’échelon infra-départemental - lancement des concertations ». L’objectif du ministre de l’Intérieur est de pousser les services préfectoraux eux-mêmes à émettre des propositions de réformes de leurs propres services : « Je souhaite, par des regroupements d’arrondissements, construire des territoires plus forts ». « Je souhaite qu’à l’intérieur de ces arrondissements reconfigurés, vous organisiez la mise en réseau des sites préfectoraux (…) vous puissiez clairement repositionner les agents de sous-préfecture sur l’ingénierie territoriale ». « Je souhaite particulièrement qu’aux[…] services directs à la population […] vous cré[i]ez (…) des maisons des services au public et des maisons de l’Etat ».

L’aspect substitutif est donc parfaitement clair dans le cadre des reconfigurations proposées. Par ailleurs, l’approche suivie par les préfets devra prendre la forme d’un Projet territorial départemental (PTD) qui s’organisera en trois axes :

  • Identifier les redondances et mettre en évidence les insuffisances (attente de la population, acteurs locaux) ;
  • Vérifier que les sous-préfectures retenues satisfassent aux compétences correspondant au PPNG (donc atteignent une masse critique) ;
  • Examiner systématiquement la possibilité de procéder à des spécialisations thématiques et à des mutualisations entre sites préfectoraux.

La méthode quant au redécoupage des arrondissements est par ailleurs claire, il faut procéder « à des jumelages et à des fusions d’arrondissements » (donc à des jumelages et des regroupements avec d’autres administrations sur le terrain, ndlr).

Par ailleurs, « chaque proposition susceptible d’avoir un impact en matière de ressources humaines devra être concertée et fera l’objet d’une prise en charge individualisée (…) je ne vois que des avantages à ce que vous organisiez une instance de dialogue et de pilotage de cette démarche, pour en garantir la transparence et l’efficacité ». L’ensemble des PTD devant être renvoyés au ministère au plus tard au 31 mai 2016.

On le voit, le ministre a décidé de sous-traiter le processus de réforme au niveau préfectoral, quant aux conséquences en termes d’effectifs, de périmètre et de compétences avec les acteurs de terrain (les collectivités territoriales), ainsi que les personnels. Il est cependant curieux que dans le cadre d’une véritable démarche transparente, la société civile représentant les usagers, n’ait pas été associée et que l’ensemble des PTD n’aient pas fait l’objet d’une publication consolidée début juin. Tout laisse cependant penser que les grandes manœuvres sont d’ores et déjà engagées : la fermeture de la sous-préfecture de Fontainebleau après une bataille lancinante a été simplement reportée en 2018 ou en 2020 ; la sous-préfecture de Toul devrait être maintenue mais n’accueillerait plus d’usagers ; dans la Nièvre, les sous-préfectures de Clamecy ou de Cosne (alternativement) pourraient disparaître ; la sous-préfecture de Guingamp devrait être supprimée en cas de jumelage des arrondissements de Guingamp et de Lannion (elle serait remplacée par une MdE regroupant les services résiduels de la sous-préfecture, de la direction départementale des territoires et de la mairie et de l’éducation nationale). Des regroupements d’arrondissements comme Mortagne-au-Perche et l’Aigle vont conduire dans l’Orne au déplacement de la sous-préfecture de Mortagne à l’Aigle (nouvel arrondissement l’Aigle-Mortagne), etc. (inventaire effectué en 2016 non exhaustif de la presse locale).

Conclusion

La mise en place des PDT (projets territoriaux départementaux) est une bonne chose parce qu’elle devrait conduire à une mise en concordance entre la réforme des services déconcentrés de l’Etat[11] et la réforme territoriale en cours, non seulement sur son volet régional (passage des 22 aux 13 régions hors DOM), mais aussi adéquation avec la réforme des contours du bloc local (étude de la pertinence des limites entre les nouveaux arrondissements remodelés et les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI))[12]. Quant aux élus locaux ventant la proximité des sous-préfets et l’absence désormais d’interlocuteur au niveau infra-préfectoral, il faut savoir relativiser. L’ensemble des sous-préfectures n’est pas sur la sellette, loin de là. Par ailleurs les effectifs en sous-préfecture consacrés au contrôle de légalité ne s’élève en 2015 qu’à 136 ETP. Pas de quoi raréfier un contrôle de légalité qui a déjà lieu très majoritairement au niveau préfectoral, et qu’il faudra d’ailleurs, nous dit le dernier rapport annuel (2016) de la Cour des comptes, profondément réformer également dans les prochaines années. Certains maires l’on d’ailleurs déjà bien compris. En fusionnant leurs communes au sein de communes nouvelles, ils peuvent désormais atteindre une taille critique leur permettant de faire face aux évolutions des services de l’Etat déconcentrés. Ils peuvent par ailleurs désormais créer au sein même des mairies annexes, des maisons des services au public (dont le portage est local) ou favoriser la création de maisons de l’Etat.


[1] Immatriculation (depuis 2009) avec le SIV, mise en place de 43 plateformes interdépartementales et régionales en matière d’instruction des demandes de passeport et de naturalisation. Les guichets physiques ne sont réservés désormais que pour les demandes d’asile, les titres de séjour, les titres de voyage aux étrangers et les demandes de naturalisation). Précisons que les demandes de passeport ont été externalisés aux communes via l’application COMODEC auprès de l’ANTS (agence nationale des titres sécurisés).

[2] Se traduisant par le transfert de 684 ETPT des SIDSIC (services interministériels départementaux d’information et de communication vers le programme 133 moyens mutualisés des administrations déconcentrées, pour un montant de 42,9 millions d’euros.

[3] Le programme 217 (hors effectifs préfectoraux concentrés dans le programme 307) récupère cependant 638 ETPT (35,7 millions d’euros) en provenance du MEDDAD (Ecologie) correspondant aux effectifs de la sécurité routière. Voir sur l’ensemble de la question les développements du rapport au PLF 2016 du vice-président du Sénat M. Hervé Marseille, Administration générale et territoriale de l’Etat, Annexe 2  du tome III du rapport général, p.10-11. Notons par ailleurs, que le passage aux plateformes pourrait à terme permettre la suppression de 1.300 ETPT, dans la mesure où les 2.000 agents affectés aux services de délivrance des titres ne devraient plus être que 700 à terme sur les plateformes. Les 1.300 suppressions viendraient s’ajouter ainsi aux 3.200 emplois supprimés dans la préfectorale depuis 2007. Mais le « stock » est encore important, voir note n°5 infra.

[4] Il n’y a pas d’homogénéité entre les plafonds d’emplois calculés en ETPT et les schémas d’emplois calculés en ETP. Voir bleu budgétaire Administration territoriale, programme 307 p.17-18 PLF 2016.

[5] Rappelons que les effectifs des services préfectoraux comprenaient en 2015, 27.143 ETPT et « seulement » 26.291 ETPT en 2016, tandis que le fameux « contrôle de légalité » et activité de conseil aux collectivités territoriales ne comptent que 2.501 ETPT, soit 9,5%.

[6] Voir Challenges, 8 juillet 2014, Ces 47 sous-préfectures qui pourraient être rayées de la carte. Précisons cependant qu’au 1er janvier 2015 les sous-préfectures sont 235 dont 227 en métropole.

[7] Voir deux décrets n°2014-1720 ou -1722 du 29 décembre 2014, ainsi qu’une sixième en janvier 2016.

[8] La distinction entre ces deux notions est subtile : Les maisons de l’Etat (MdE) permettent un accès aux services publics d’Etat via une mutualisation des locaux et privilégie l’appui aux collectivités avec tout de même des guichets pour les usagers, titres de séjour, guichets des finances publiques, ainsi que des opérateurs de l’Etat. Les MdE sont actuellement au nombre de 30 ; les maisons  de services au public (MSAP) sont dédiées aux usagers et regroupent des services de l’Etat, des collectivités territoriales et des organismes locaux ou nationaux (EPIC (SNCF)/SA (La poste)) chargés d’une mission de service public. Les MSAP sont portées par les collectivités territoriales elles-mêmes ou les opérateurs. On en compte aujourd’hui 360 sans mutualisation homogène et rationalisée.

[9] http://www.fo-prefectures.com/documents/1672-2-pdf-comite-technique-special-des-prefectures-du-25-fevrier-2016-dno.html, voir également sa déclinaison « technique » sous la forme de la DNO sur l’ingénierie de l’Etat dans les territoires du 10 mars 2016 http://www.lemoniteur.fr/media/FICHIER/2016/03/25/FICHIER_20160325_31900226.pdf

[10] http://www.fo-prefectures.com/documents/1660-1-pdf-instruction-du-ministre-reforme-de-l-echelon-infra-departemental-de-l-etat-lancement-des-concertations.html

[11] Pour une vision plus large dépassant le seul cadre des préfectures, voir le rapport au Premier ministre REBIERE J-M, WEISS J-P, La stratégie d’organisation à 5 ans de l’administration territoriale de l’Etat, 2013,

[12] Cette plasticité pourrait même être encore renforcée en cas de fusion de communes nouvelles appartenant à des départements et donc à des arrondissements différents. Si l'on veut faire un petit bilan en deux parties de la loi NOTRe et de la loi relative à la dynamisation des communes nouvelles: 1) les schémas départementaux de coopération intercommunale doivent être arrêtés par les préfets avant le 15 juin 2016 (seules 27 communes sont encore isolées depuis le 1er janvier 2016, tandis que le nombre de structures fléchit et passe de 2.133 EPCI à fiscalité propre hors métropole lyonnaise, à 2.062 structures soit une baisse de 3,3% mais avec un taux de couverture de la population de près de 100%) qui devraient elles-mêmes être ramenées autour de 1.300 en 2017 (1.245). 2) A partir des dispositifs de la loi de mars 2015 les communes qui "fusionnent" conservent les élus préexistants dans les nouvelles structures jusqu’en 2020 et le maintien de la DGF (bonus) malgré les coupes réalisées par le gouvernement sur le plan global (malus). Ce dispositif généreux sur le plan financier a précipité le mouvement. Résultat, en moins d’un an, on observe la fusion de 1.090 communes au 1er janvier 2016, donnant naissance à 317 communes nouvelles.