Défense : comparatif des opérations extérieures de 5 pays européens
Lors de son allocution à la Sorbonne le mardi 26 septembre 2017, le chef de l’État, Monsieur Emmanuel Macron, a présenté dans le cadre du renforcement de l’Europe de la défense et de la sécurité une série de propositions et une méthode pour élaborer une feuille de route sur 10 ans en créant notamment :
- une « force commune d’intervention » européenne pour 2020 ;
- un budget de défense commun et une « doctrine commune » pour agir.
Cette déclaration est l'occasion de présenter les dispositifs législatifs et réglementaires de l'engagement et du contrôle des opérations extérieures (OPEX) mises en œuvre par 5 pays européens disposant d'un volume identique de forces armées et qui sont les suivants :
France
L'engagement des forces armées est effectué dans le cadre de résolutions de l'ONU, de traités multinationaux (OTAN), européens (UE) et d'accords de défense et de coopération bilatéraux qui sont ratifiés par le Parlement.
La décision de projeter les forces armées en OPEX relève des prérogatives du président de la République, chef des armées, sur la base des propositions du Conseil de défense et de sécurité nationale (organisme interministériel), notamment en ce qui concerne les orientations stratégiques en matière de conduite de ces opérations.
Toutefois, le Parlement a vu son rôle renforcé de façon relative avec la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (confer l'article 35)1 qui stipule qu'il peut être informé, sans être appelé à voter, sur la prolongation des OPEX après au moins 4 mois après la date initiale de leur déclenchement.
Le financement des OPEX s'appuie sur la base du dispositif suivant :
l'article 6-3 du rapport annexé à la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2009-2014 repris par l'article 5 de la LPM 2014-2019 qui prévoit qu'« en gestion, les surcoûts nets, hors titre 5 et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette dotation qui viendraient à être constatés sur le périmètre des opérations extérieures font l'objet d'un financement interministériel »,
le « surcoût OPEX » fait en principe l'objet d'un triple financement qui est le suivant :
provision initiale dont le montant est inscrit en loi de finances concernant le ministère des armées ;
remboursements issus d'organismes internationaux (notamment ONU) sous forme d'attributions de produits ;
compensation de la différence par un financement interministériel via un décret d'avance de fin d'année.
La Cour des comptes effectue a posteriori des audits financiers sur les OPEX sur plusieurs années et présente des recommandations dans différents rapports qui sont communiqués aux différentes commissions parlementaires (finances, affaires étrangères, défense).
En règle générale, c'est le ministère des armées qui supporte financièrement la majorité des coûts budgétaires des OPEX, le reste étant partagé (sauf en 2017) avec les autres départements ministériels (notamment affaires étrangères et intérieur).
Conclusion partielle : ce dispositif permet une forte réactivité du pouvoir exécutif en matière d'engagement en OPEX des forces armées. Cependant, le système financier se traduit bien souvent par une imputation d'une grande partie des surcoûts OPEX sur le budget du ministère des armées, notamment avec des annulations de crédits de paiement sur le programme 146 « équipement des forces » doté d'une importante masse financière qui affecte les réalisations des équipements, matériels et systèmes d'armes.
Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord
La conclusion des accords internationaux et multinationaux et des traités avec différents pays qui relève du Gouvernement, doit être ratifiée par un vote du Parlement selon les dispositions de la loi sur la gouvernance de 2010 sur la réforme constitutionnelle.
Si le Gouvernement n'est pas tenu de demander l'autorisation du Parlement pour engager les forces armées en OPEX dont la décision relève du Premier ministre avec l'avis de son cabinet (conseil des ministres), il l'en informe en règle générale par le biais de déclaration présentant les objectifs et les modalités de l'OPEX qui est le plus souvent suivie de débats et d'un vote, notamment sur la base de questions écrites et orales des parlementaires sur les conditions de l'engagement.
Le financement des OPEX est assuré à partir d'un fonds de réserve pour dépenses imprévues à la disposition du Gouvernement dont le montant est fixé dans le budget annuel voté par le Parlement. En cas de dépassement du montant de ce fonds en raison des coûts, le Gouvernement doit demander des crédits supplémentaires individualisés pour chaque OPEX dans le cadre de projets de loi de finances rectificatives qui sont débattus et votés chaque année. Si la durée de l'OPEX déborde sur l'exercice budgétaire suivant, le projet de budget individualisera les crédits destinés à couvrir les coûts de l'OPEX.
Le contrôle a posteriori est exercé sur les dépenses publiques par la Commission permanente des comptes publics qui bénéficie du concours du Bureau national de contrôle des comptes - organisme indépendant d'évaluation rattaché au Parlement dont les rapports sont remis au Parlement et qui sont utilisés par la Commission des comptes publics pour faire des recommandations au Gouvernement.
Conclusion partielle : le processus de décision d'engagement des forces armées en OPEX s'apparente à celui de la France. Cependant, le Parlement britannique dispose d'un réel pouvoir de contrôle financier et budgétaire des dépenses.
Allemagne
L'adhésion par voie de traités et d'accords de l'Allemagne à des organisations internationales et multinationales (ONU, OTAN, UEO, OSCE...) s'appuie sur les décisions du Parlement allemand.
La Loi fondamentale interdisant tous les actes visant à préparer une guerre d'agression, les forces armées ont une mission essentiellement défensive et ne peuvent intervenir que dans la mesure où la Loi fondamentale l'autorise expressément.
L'engagement des forces armées en OPEX est encadré notamment par :
la Loi fondamentale qui précise dans le cadre juridique et budgétaire approuvé et voté par le Parlement l'organisation des forces armées et ses missions qui ne peuvent être agressives ;
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en particulier son arrêté du 12 juillet 1994 qui définit la base constitutionnelle de l'engagement des forces armées en OPEX en dehors du territoire national et de la zone couverte par l'OTAN (notamment en Europe) et des conditions de leur engagement2.
C'est le Bundestag qui sur la base de la définition de ses directives de la politique de sécurité et de défense qu'il a au préalable votées, donne son accord à l'engagement des forces armées en OPEX qui doivent être effectuées dans le cadre de traités internationaux (ONU), multinationaux (OTAN) et européens (UE, OSCE...) qu'il aura au préalable ratifiés.
La conduite des OPEX s'appuie sur une coordination interministérielle et interinstitutionnelle au sein du Cabinet du Chancelier fédéral et dans le cadre du Conseil fédéral de la Sécurité, coordonnateur de la politique de sécurité et de défense auxquelles participent de droit le Chancelier et le directeur de la Chancellerie (coordonnateur des services de renseignement), les ministres des Affaires étrangères, de la Défense, des Finances, de la Justice, de l'Économie et du Développement.
L'engagement des forces armées en OPEX fait l'objet d'un contrôle du Bundestag exercé selon des règles et des conditions fixées par la Loi fondamentale à partir de 2 organismes composés de membres élus qui sont les suivants :
la Commission de la Défense nommée par le Bundestag qui exerce ses fonctions y compris dans l'intervalle de 2 législatures, avec notamment des droits d'enquête en fonction du nombre d'élus qui la demandent ;
le Commissaire à la Défense élu pour une durée de 5 ans renouvelable par le Bundestag chargé de l'assister dans le contrôle parlementaire (notamment, pour le respect des droits fondamentaux de la République et des règles d'engagement des forces armées en accord avec les dispositions propres au cadre international, multinational et européen de chaque OPEX).
Conclusion partielle : En raison de l'histoire de ce pays, notamment au cours du 20éme siècle, le contrôle parlementaire des OPEX est très fort. En effet, selon la loi fondamentale, les forces armées qui dépendent du pouvoir exécutif responsable devant le Parlement, sont placées sous le contrôle du pouvoir législatif. L'approbation préalable par le Bundestag de leur engagement en OPEX est un principe constitutionnel qui se traduit par une autorisation ou un rejet à la majorité simple d'une mission en cours ou imminente décidée par le Gouvernement.
Italie
A l'exception de la déclaration de l'état de guerre qui fait l'objet d'une autorisation législative spécifique en application de la Constitution du 27 décembre 1947, les OPEX ne donnent pas lieu, en principe, à des autorisations du Parlement même si le Gouvernement a toujours sollicité son accord préalable. Cependant, selon certains cas d'urgence, le ministre de la défense peut soumettre la décision express du gouvernement de projeter les forces armées au seul Conseil Suprême de la Défense sous réserve de sa conformité au droit international et aux engagements qui lient l'Italie aux différentes organisations auxquelles elle appartient par voie de traités et d'accords ratifiés par le Parlement.
La loi n° 25 du 18 février 1997 précise les conditions de l'accord préalable d'engagement des forces armées en OPEX sur la base d'une durée préalablement définie et qui sont les suivantes :
délibération entre le Gouvernement et le Parlement ;
approbation par le Parlement ;
autorisation par le Parlement de la prolongation des OPEX.
Dans le cadre de la loi du 28 décembre 1995 portant mesures de rationalisation des finances publiques, le financement de chaque OPEX est assuré à partir d'un fonds de réserve pour dépenses imprévues rattaché au ministère du budget par :
initialement : un décret-loi (aussi appelé « décret-mission ») pour une durée de 6 mois qui précise l'évaluation des dépenses par ministère3 concerné par l'OPEX ;
à l'issue d'une période de 60 jours après le déclenchement de l'OPEX : une loi de finances votée par le Parlement qui sur la base des premières dépenses engagées confirme (ou non) le décret-loi qui à défaut sera abrogé ;
adoption d'une nouvelle loi pour la conversion du décret-loi prévoyant la poursuite du financement d'une OPEX prolongée.
En outre, chaque OPEX fait l'objet de comptes rendus budgétaires et opérationnels réguliers du pouvoir exécutif au Parlement.
Conclusion partielle : ce dispositif permet un réel contrôle parlementaire financier des OPEX du Parlement, notamment avec le vote ou non des lois de finances confirmant ou non les décrets-lois. Cependant, il génère des difficultés en ce qui concerne la planification et la conduite stratégiques des OPEX dans la durée en raison de cette procédure budgétaire et financiére.
Espagne
Selon la Constitution espagnole, le pouvoir exécutif doit faire ratifier par le Parlement la conclusion de traités et accords internationaux, multinationaux et bilatéraux à caractère politique et militaire.
La déclaration de la guerre relève d'une proclamation du Roi après l’accord du Parlement. Conformément à la loi organique de la Défense nationale du 17 novembre 2005, le gouvernement doit, en principe, demander l'approbation du Parlement pour chaque OPEX. Toutefois, si elle est engagée dans le cadre d'un accord ou d'un traité international déjà signé par le Gouvernement et autorisé par le Parlement, elle ne nécessite pas son autorisation spécifique.
En pratique, la décision d'intervention des forces armées en OPEX est du ressort du gouvernement et prise en Conseil des ministres et de la Défense nationale (Premier ministre ayant une part prépondérante, vice-présidents du gouvernement, ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la coopération, de l’Économie et des finances - le Premier ministre ayant une part prépondérante). Cependant, le Parlement qui détermine les grandes lignes de la défense nationale qui doivent être notamment en accord avec les traités ratifiés, est tenu informé avec régularité par le Gouvernement. Il exerce un contrôle parlementaire par le biais de questions écrites et orales et d'interpellations en séances plénières.
Le financement des OPEX est imputé sur le budget du ministère de la défense dans une rubrique budgétaire spécifique inscrite dans le cadre de chaque loi de finances annuelle qui est abondée en cours d'exercice budgétaire par des suppléments de crédits ordinaires en fonction de leur déroulement. En cas d'insuffisance des crédits initialement prévus, le Parlement définit la procédure à suivre pour couvrir les dépenses, qui est identique pour n'importe quel autre type de dépense : un projet de loi de « suppléments de crédits » s'il s'agit de crédits déjà prévus au budget, mais insuffisants, ou de « crédits extraordinaires » s'il s'agit de dépenses non prévues au budget.
Conclusion partielle : l'Espagne dispose d'un système relativement proche de la France en matière de décision du pouvoir exécutif en ce qui concerne les engagements en OPEX. Cependant, le contrôle parlementaire y est plus développé.
Conclusion générale
Les prérogatives du pouvoir exécutif en France permet une plus forte réactivité concernant la décision et la conduite de l'engagement des forces armées en OPEX par rapport aux autres pays européens présentés supra. Cette situation est un atout en ce qui concerne les délais de projection de forces armées en OPEX.
En revanche, le rôle du pouvoir législatif sur la décision d'engager des forces armées en OPEX est moins important en France que dans les 4 autres pays européens présentés ci-dessus.
En outre, la France pourrait s'inspirer du système des autres pays européens en ce qui concerne notamment :
le rôle du ministère des affaires étrangères (comme en Italie, Espagne, voire au Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord) en tant qu'interlocuteur privilégié du Parlement pour le déroulement des OPEX - la mission du ministère des armées français pouvant être ainsi recentrée sur la mission de fourniture de capacités opérationnelles ;
la constitution d'un fonds de réserve au niveau gouvernemental (comme en Italie et au Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord) destiné à financer les OPEX – dispositif financier permettant ainsi de « socler » le budget du programme 146 du ministère des armées ;
le contrôle financier et budgétaire qui est effectué chaque année et pour chaque OPEX par un organisme rattaché au Parlement (comme au Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord et en Allemagne) – mission qui pourrait être exercée chaque année à la Cour des comptes.
1Mis en œuvre pour les OPEX : Afghanistan (sept 2008), Tchad, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Liban et Kosovo (janv 2009), Libye (Juillet 2011), Mali (avril 2013).
2Jusqu'à la réunification de la RFA et de la RDA, le domaine d'intervention des armées de ces 2 pays était limité à la défense de leur territoire.
3Principalement la Défense, le reste étant partagé sur les autres départements ministériels : Affaires étrangères, Intérieur, Économie, Finances et Justice