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Rapport Badinter, pour quoi faire ?

Voici que le comité présidé par l’ancien Garde des sceaux Robert Badinter vient de publier son rapport. Le communiqué du ministère du travail lors de l’installation du comité en novembre dernier indiquait que « Ce comité est chargé de définir les principes fondamentaux du droit du travail. Ces principes seront intégrés dans la loi que portera Myriam EL KHOMRI devant le Parlement au premier semestre 2016 et serviront de lignes directrices pour la réécriture du code du travail annoncée par le Premier ministre. La réforme ambitieuse du droit du travail qui va être menée alliera deux objectifs : donner plus d’espace à la négociation collective, de branche et d’entreprise, d’une part ; réaffirmer ce qui fonde notre socle républicain en termes de droit du travail, d’autre part, à l’heure où les évolutions du monde du travail appellent à de nouvelles régulations. »

Des « lignes directrices pour la réécriture du code du travail », nous n’en avons sûrement pas obtenu. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant puisque le comité a dû travailler « à droit constant », comme il l’a regretté.  Au total, un rapport pour rien, il serait préférable de l’oublier.

Un rapport dont l’utilité nous échappe.

Plusieurs points à relever.

  • Sur l’ambition : D’emblée le président du comité insiste sur le fait que ce rapport est rédigé « à droit constant », et que le comité « ne s’est pas cru autorisé, à regret parfois, à proposer de nouvelles dispositions ou à formuler des suggestions ». Que ceux qui s’attendaient à des réformes se le tiennent donc pour dit.
  • Sur les principes : Le rapport a consisté à rédiger 61 principes qui d’après le gouvernement ont vocation à servir de préambule au Code du travail, que l’on va donc rallonger d’autant, mais ils n’auront pas pour autant valeur supérieure à la partie législative du Code. Pour cela il faudrait que ce préambule soit considéré comme faisant partie du « bloc constitutionnel », ce qui est hors de question. Cela obligera seulement à modifier deux fois le Code du travail le cas échéant lorsqu’il y aura risque de contradiction entre ces principes et la suite du Code.
  • Sur le marquage idéologique uniquement défensif du document : 61 principes de protection du salarié, un marquage négatif qui transparaît dès la présentation par le président : « ce qui constitue le cœur du droit du travail français, c’est la volonté d’assurer le respect des droits fondamentaux de la personne humaine au travail ». Pour un peu, on se prendrait à regretter la célébration enthousiaste de la faucille et du marteau, emblèmes du travail, au siècle dernier – de nos jours nous avons quand même les ordinateurs, et des start-up qui se reconnaîtront bien mal malgré l’appel aux « évolutions nouvelles du monde du travail [qui] appellent à de nouvelles régulations » contenu dans la mission du comité.
  • Sur la méthode : La plupart des principes énoncés consiste dans la reprise de textes de lois existants, mais sous une formulation plus ou moins changeante. Cela est vrai pratiquement du premier article au dernier, et serait trop long à détailler. Mais quelle peut donc être l’utilité d’une telle démarche, indépendamment des risques de contradiction ?

Par ailleurs, certains principes n’ont pas de raison d’être. Exemples : le principe 11 énonce que « chacun est libre d’exercer l’activité professionnelle de son choix ». Comme il ne s’agit pas d’un droit opposable, on l’espère !, mais d’une liberté au sens philosophique, que diable vient faire son énoncé ici ? Le principe 30 indique que « tout salarié a droit à une rémunération lui assurant des conditions de vie digne ». Quel sens donner à ce qui paraît être cette fois une obligation de l’employeur, qui supposerait d’ailleurs pour être remplie une immixtion impensable dans la vie personnelle de son salarié ?

En réalité, nous n’avons pas besoin de « principes » parqués dans un préambule, distincts des « règles » fixées dans le corps du code, mais rédigés identiquement. Principes et règles renvoient tous à la jurisprudence qui en fait détermine le contenu des uns et des autres : ainsi de la cause réelle et sérieuse du licenciement, des obligations de l’employeur et des sanctions applicables. Les principes n’ajoutent et ne retranchent rien. Et pour déterminer dans quelle mesure il sera possible de déroger aux règles du code, il faudra rentrer dans le détail, là où, comme chacun sait, se loge le diable.

Le signal donné par le document est négatif, surtout si l’on considère la déception qu’il engendre par rapport à l’attente des Français, et aussi en dehors de France. Il est à souhaiter que le gouvernement ne donne pas suite à l’idée de sa transcription comme préambule du Code du travail.