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Mécanisme européen de contrôle des investissements étrangers : une faisabilité limitée

L'Union européenne est la seule grande puissance à ne pas posséder de mécanisme de contrôle des investissements étrangers en secteurs stratégiques. Si plusieurs Etats membres, dont la France, se sont dotés de tels moyens, leurs conditions restent extrêmement disparates et leurs conséquences limitées. Dans ce contexte, la proposition d'Emmanuel Macron de relancer le débat autour d'un mécanisme à l'échelle européenne a du sens... Mais elle ne pourra probablement aboutir que si elle prend en compte les spécificités de l'Union et se limite alors à un cadre commun.

La croissance sans précédent des investissements directs étrangers dans les années 2000, atteignent de nouveau une valeur historique de 1.762 milliards d’euros en 2015 malgré une baisse importante suite à la crise de 2008, ont entrainé l’apparition de nouvelles réglementations visant à restreindre les investissements directs étrangers (Royaume-Uni 2003, États-Unis 2007, Russie 2008, Canada 2009, Chine 2011). Dans ce contexte, l’Union européenne (UE) fait figure d’exception : parmi les grandes puissances, elle est la seule qui  ne possède pas de législation spécifique permettant à ses membres de réguler les flux d’investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Depuis l’échec de deux tentatives lancées en 2008, à l’occasion de la présidence française de l’Union, et 2011, suite à l’affaire Draka, la réflexion européenne sur la création d’un régime commun de restriction des investissements étrangers est au point mort[1].

L’affaire Draka

En 2011, les groupes italiens Prysmian et chinois Xinmao entrent en compétition pour le rachat du producteur de câbles de fibre optique Drakar. L’entreprise détient un important savoir-faire européen dans les domaines de l’internet haut débit, de l’aéronautique et des énergies renouvelables. L’affaire inquiète la sphère politique européenne et française, notamment avec les déclarations d’Eric Besson[2]. Malgré une offre de 20% supérieure à celle de son concurrent, Xinmao se retire finalement de la transaction car il considère ne pas pouvoir respecter les délais imposés par l’offre publique d’achat de Prysmian qui conclut finalement l’opération pour un montant de 830 millions d’euros[3].

L’État français, fort d’un héritage d’intervention au capital des entreprises, a souvent pallié cette absence en conservant d’importantes participations qui lui permettent de maintenir les entreprises sous la houlette de la puissance publique. À partir de 2005, il double cette stratégie coûteuse d’un arsenal législatif permettant le contrôle des investissements étrangers.

L’article R153-2 du Code monétaire et financier[4] du 31 décembre 2005, actualisé par le décret du 7 mai 2012[5], institue une procédure d’autorisation préalable pour : les jeux d’argent (casinos exclus), la sécurité privée, la lutte contre le terrorisme, les écoutes, la sécurité des technologies de l’information et des échanges sur internet, la Défense nationale. Le « décret Alstom » ou « Montebourg » adopté le 14 mai 2014[6] ajoute à ces secteurs l’eau, la santé, l’énergie, les transports et les télécommunications. La législation française laisse une large liberté d’appréciation au ministre de l’Économie qui peut autoriser ou non l’opération mais aussi la subordonner à certaines cessions d’actifs stratégiques. De lourdes sanctions sont prévues en cas de non-respect de la procédure d’autorisation préalable : rétablissement de la situation antérieure sous douze mois, nullité de l’investissement, sanction pénale et sanction pécuniaire d’un montant double à celui de l’investissement en cas de non-respect de l’injonction. Dans la pratique, le dispositif est principalement dissuasif. Il sert plus à imposer des conditions particulières aux investisseurs qu’à bloquer les investissements. Son impact limité contraste avec sa forte amplitude et le niveau élevé de contrainte qu’il établit en nécessitant de nombreuses déclarations (notamment pour toutes opérations publiques d’achats). Cependant, avec ces dispositions, le gouvernement bénéficie d’un outil de poids pour conduire des négociations dans des entreprises au capital desquels il n’est pas actionnaire.

À ce jour, les autorités européennes n’ont pas invalidé le dispositif mais le regardent avec méfiance et entendent s’assurer de son application « proportionnée et appropriée ». La législation communautaire permet certaines dérogations au nom de l’ordre public, la sécurité nationale, la sécurité publique et la lutte contre l’évasion fiscale (Art 65 TFUE[7]). Cependant, la  Commission Européenne s’est avérée particulièrement stricte sur le sujet[8]. Elle a concentré ses efforts sur l’obtention de la réciproque de la libre circulation des capitaux avec les partenaires commerciaux. L’organe dirigeant, qui a pu s’appuyer sur une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), n’a pas pour autant réussi à empêcher l’adoption de mécanismes de contrôle dans d’autres états membres.

La législation de limitation des investissements étrangers dans l’Union Européenne

Sept États membres de l’Union européenne imposent des restrictions aux investissements étrangers en secteur stratégique : le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suède et la Pologne. Il est intéressant de regarder les cas de ces trois pays relativement comparables à la France : 

  • Le Royaume-Uni ne possède pas réellement de régime spécifique ou de liste définie de secteurs stratégiques mais, sous l’Enterprise Act de 2003, les secteurs affectant les intérêts publics peuvent faire l’objet d’un contrôle spécifique des concentrations ;
  • En Allemagne, depuis 2009, le ministère de l’Économie peut vérifier et bloquer les investissements étrangers afin de protéger l’ordre public et la sécurité dès que la prise de participation dépasse 25% ;
  • L’Espagne exige l’autorisation préalable du Conseil des ministres pour les investissements touchant aux intérêts essentiels dans les domaines des transports aériens, des jeux d’argent, de la défense nationale et des télécommunications. Une autorisation délivrée par la Direction générale des transactions extérieures est aussi demandée pour les assurances et les sociétés anonymes sportives.

Dans ce cas, pourquoi ne pas créer un mécanisme européen de contrôle des investissements étrangers en secteur stratégique comme le suggère notamment Emmanuel Macron ?

L’idée est régulièrement évoquée et ses détracteurs aiment à prendre comme exemple le système américain FINSA. Ce système n’est pas exempt de défauts[9][10][11] et n’est aucunement transposable à l’Union européenne. L’Union est une association d’États et non un État unitaire ou fédéral, elle n'est pas compétente sur les secteurs régaliens. La concurrence entre États membres est bien réelle et, comme l’ont souligné les affaires d’espionnage impliquant les services allemands[12][13], la méfiance reste de mise même entre « alliés ».

Alors, que peut-on faire au niveau européen ? L’Union exige un système souple adapté à sa structure propre. Plus qu’un mécanisme formel de contrôle des investissements étrangers en secteurs stratégiques, le droit communautaire peut permettre de créer un cadre commun qui régit celui-ci. Une liste partagée de secteurs stratégiques peut être constituée au niveau européen tout en excluant la défense nationale qui reste exclusivement déterminée par les États[14]. Cette liste est non exhaustive et laisse le soin aux états d’effectuer les ajouts jugés nécessaires sous la supervision de la Commission et le contrôle de la CJUE. Elle est assortie d’un ensemble de règles communes encadrant les procédures nationales d’examens des investissements étrangers en secteurs stratégiques et peut être secondée par un mécanisme européen de conciliation et d’arbitrage chargé de régler les conflits entre États membres et investisseurs provenant d’autres États membres.

Un mécanisme européen de conciliation et d’arbitrage en matière d’investissements

Dans le cadre de la politique commerciale commune (article 207 TFUE) l’UE possède la compétence exclusive pour conclure des accords régissant l’accueil des investissements étrangers. Cependant, certains traités bilatéraux d’investissements conclus entre États membres sont encore valables aujourd’hui et font parfois intervenir des tribunaux non-européens de règlement des différends[15]. Un mécanisme européen de conciliation, de médiation et d’arbitrage pourrait alors être le moyen d’affirmer la compétence de l’Union européenne et de garantir des conditions égales de traitement partout en son sein. En prenant pour un exemple le Centre International pour le règlement des différends relatifs aux investissements[16] (CIRDI), on peut dessiner les contours d’un tel mécanisme. Le dispositif vise à fournir les règles et le support logistique nécessaire au règlement des différends mais n’implique pas la création d’un tribunal. Il doit garantir la protection des investissements dans le respect de législations nationales harmonisées en proposant trois procédures : médiation, conciliation et arbitrage.

Les États membres et la Commission Européenne soumettent chacun une liste d’arbitres et de conciliateurs composée de membres de nationalités différentes qui représentent tous les secteurs de l’économie. Les personnes désignées doivent être d’un haut niveau de compétence, d’une valeur morale reconnue et posséder une grande maitrise de la législation communautaire. Ils sont désignés pour une période de 5 ans alignée sur les échéances électorales européennes. L’organe de conciliation et d’arbitrage est piloté par un conseil d’administration composé d’un représentant de chaque état et d’un représentant de la Commission, qui tient le rôle de président du conseil d’administration, ainsi que d’un secrétariat général chargé de tenir les listes et d’enregistrer toutes les procédures.

Une fois le recours au mécanisme accepté par consentement mutuel, celui-ci prend force obligatoire (la décision d’arbitrage doit être suivie et les recommandations écoutées par les deux parties). Le recours aux modes non juridictionnels – conciliation et médiation - est priorisé car il permet un règlement plus rapide, souple et économique. L’arbitrage s’effectue, lui, sur la base unique du droit et implique la désignation de trois arbitres chargés d’évaluer la présence de violation des droits et d’un préjudice financier réel. Les tribunaux arbitraux n’empiètent pas sur la compétence de la CJUE. Ils ne se prononcent pas sur la législation européenne ou nationale mais s’inquiètent uniquement de son application dans certains cas précis. Ils peuvent uniquement exiger le versement de réparations par les États.


[1] Commission des affaires européennes, janvier 2014, Rapport d’information sur les investissements de provenance extra-communautaires et le contrôle des intérêts stratégiques européens, Assemblée Nationale [http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i1602.asp#P241_41544]

[2] C. C, 6 janvier 2011, « L’Europe doit protéger davantage l’industrie, plaide le ministre Éric Besson », Les Échos [http://www.lesechos.fr/06/01/2011/LesEchos/20842-032-ECH_l-europe-doit-proteger-davantage-son-industrie--plaide-le-ministre-eric-besson.htm]

[3] Rémy Maucourt, 6 janvier 2011, « Fibre optique : Draka restera sous contrôle européen », L’usine Nouvelle [http://www.usinenouvelle.com/article/fibre-optique-draka-restera-sous-controle-europeen.N144272]

[4] Code monétaire et financier, article R153-2 [https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=1E474F5C247280656214B059FED78798.tpdila07v_2?idArticle=LEGIARTI000028936289&cidTexte=LEGITEXT000006072026&categorieLien=id&dateTexte]

[5] Décret n°2012-691 du 7 mai 2012, [https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025823620&categorieLien=id]

[6] Décret n°2014-479 du 14 mai 2014 [https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028933611]

[7] Article 65, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [http://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:88f94461-564b-4b75-aef7-c957de8e339d.0010.01/DOC_3&format=PDF]

[8] Cristelle Albaric, « Contrôle des investissements étrangers : patriotisme v. libéralisme ? », la Lettre des réseaux [http://www.lettredesreseaux.com/P-781-455-A1-controle-des-investissements-etrangers-patriotisme-economique-vs-liberalisme.html]

[9] Paul Rose, 29 janvier 2014, The Foreign Investment and National Security Act of 2007: An Assessment of Its Impact on Sovereign Wealth Funds and State-Owned Enterprises, Moritz College of Law

[10] James K. Jackson, 12 août 2016, The Committee on Foreign Investment in the United States, Congressional Research Service

[11] GAO, décembre 2014, Defense Infrastructure: Risk Assessment Needed to Identify if Foreign Encroachment Threatens Test and Training Ranges, United States Government Accountability Office [http://www.gao.gov/assets/670/667550.pdf]

[12] Jacques Follorou, 5 juin 2016, « Deutsche Telekom a espionné la France pour le compte de la NSA », Le Monde [http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/06/05/deutsche-telekom-a-espionne-la-france-pour-le-compte-de-la-nsa_4648039_3214.html]

[13] Jean-Baptiste François, 16 février 2017, « Angela Merkel entendue sur les écoutes de la NSA », La Croix [http://www.la-croix.com/Monde/Europe/Angela-Merkel-entendue-ecoutes-NSA-2017-02-16-1200825270]

[14] Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale, janvier 2014, Rapport d’information sur les investissements de provenance extra-communautaire et le contrôle des intérêts stratégiques européens [http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i1602.asp#P241_41544]

[15] Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale, 2 février 2016, Rapport n°3467 sur le règlement des différents investisseurs – États dans les accords internationaux [http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i3467.asp]

[16] Convention pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements entre États et Ressortissants d’autres États, 18 mars 1965 [https://pca-cpa.org/wp-content/uploads/sites/175/2016/01/ICSID-Convention-1965-FR.pdf