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L'économie collaborative peut-elle faire baisser la dépense publique ?

L’économie du partage est en train de bouleverser, en quelques années seulement, plusieurs secteurs économiques. Désormais devenu incontournable pour de nombreux consommateurs, l’économie collaborative prend un poids considérable et est en train de bouleverser notre façon de consommer, de nous loger et de voyager. D’autant que cette dernière ne se cache pas de venir concurrencer sur leurs terrains, les acteurs de l’économie traditionnelle, pour proposer des services la plupart du temps moins chers aux utilisateurs. 

L’économie du partage, quel potentiel et à quelle condition ?

Aujourd’hui on compterait 9.000 « starts up » (bien que certaines soient déjà devenues des leaders dans leurs domaines) de l’économie du partage dont 276 créées ou implantées en France et dont 76% ont été créées après 2008. D’après une étude de PWC, le marché mondial de cette nouvelle économie représentait déjà 15 milliards de dollars en 2014 et pourrait atteindre près de 335 milliards de dollars d'ici à 2025.

Concrètement, plusieurs formes d’échanges sont déjà pratiquées via ce mode de consommation : la location de court terme et entre particuliers et le crowdfunding, pourraient ainsi connaître une croissance de +63%, l’online staffing (mise en relation d’auto-entrepreneurs, d’indépendants autour d’un service, la plupart du temps à travers une application : c’est le cas typique d’Uber qui n’est pas l’employeur de ses chauffeurs),  de 37%, la location de logement entre particuliers de +31%, etc. D’ici 2025, l’économie du partage serait alors à égalité avec l’économie traditionnelle. Une croissance et des créations d’emplois potentielles… à condition de ne pas avoir peur de relever le défi de l’économie du partage, en modernisant le cadre légal, en ne cédant pas à la tentation d’une fiscalité trop envahissante et en libérant les données publiques, dont l’exploitation représente un formidable vivier dans le secteur des applications mobiles[1].

Source : PWC,

La particularité de la plupart des projets de l’économie du partage est qu’ils sont venus se nicher dans un flou juridique grâce aux nouvelles technologies, profitant de cette grande liberté pour adapter leurs projets et expérimenter… jusqu’à venir directement concurrencer les anciens monopoles (les taxis ou la SNCF), voire des secteurs qui se sentaient probablement à l’abri de la numérisation (comme l’hôtellerie ou le notariat). Actuellement, les législations actuelles ne sont pas du tout adaptées à cette nouvelle économie et partout dans le monde, les pouvoirs publics s’interrogent sur la marche à suivre.  Le chiffre d’affaires des taxis newyorkais est en chute de 7% (en partie à cause de l’augmentation du nombre de licences et du nombre de chauffeurs VTC), le chiffre d’affaires du secteur touristique en Espagne perdrait 2,5 milliards d’euros par an (à cause de la location d’hébergement entre particuliers – notamment Airbnb – et du non paiement de la taxe de séjour[2]), les rentrées fiscales de l’État américain se seraient amoindries de 3,4% (la faute à la chute des ventes de voitures nouvelles à cause des applications d’auto partage).

L’heure est désormais à une clarification des législations (en termes de sécurité, de protection des consommateurs et des salariés) et de la fiscalité de l’économie du partage. Pendant un temps, le maire de New York, confronté aux mêmes interrogations, avait songé à plafonner le nombre de VTC dans la ville (comme c’est le cas pour les taxis[3]) mais en juillet dernier cette mesure a été abandonnée et il a été décidé de lancer une étude pour évaluer l’impact à long terme pour l’économie et les emplois de ce nouveau mode de transport. Les gains sont nombreux puisque la croissance de l'économie collaborative, en proposant des biens et des services au préalable inexploités, à un fort potentiel de création d'emplois pour des actifs aujourd'hui non ou sous-utilisés. On comprend alors qu'ici, le gouvernement français se trouve dans une position bien compliquée entre sa volonté de protéger les secteurs traditionnels et sa recherche de croissance et de création d’emplois. 

En France, Uber se dit prêt « à travailler avec le gouvernement français pour définir ensemble un cadre réglementaire moderne et pragmatique »  mais les péripéties de la loi Thévenoud dont les dispositions remontent souvent au niveau du Conseil constitutionnel (sur le retour à base des chauffeurs, la maraude électronique, le service Uberpop) montrent les difficultés du gouvernement et du Parlement à mettre en place un marché du travail moderne et propice au développement de nouveaux secteurs. L’étude « Enjeux et perception de la consommation collaborative » du Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations datant de juillet 2015 est, à ce titre, très décevante en termes de propositions ou d’identification des freins. Heureusement, de nombreuses entreprises traditionnelles n'attendent pas un signe de l'État pour se lancer : ainsi Décathlon et Monsieur Bricolage ont, tous les deux, lancé leur propre plate-forme de vente de matériels d'occassion entre particuliers (Trocathlon.fr et LaDépanne.fr), Castorama a créé une encyclopédie collaborative en ligne avec des tutoriels de bricolage/aménagement (Wiki for Home). À l'étranger les exemples pullulent aussi : le loueur de voitures Avis, a racheté Zipcar en 2013, la plus grande application d'autopartage désormais disponible en France, et BMW ont développé leur propre système d'auto-partage avec DriveHow, tout comme Ford avec GetAround. Comme le secteur de l'hotellerie, beaucoup secoué par l'arrivée de Airbnb, Hyatt a investi dans One Fine Stay, un service de location d'appartements haut de gamme entre particuliers.

Pour aller encore plus loin, au Royaume-Uni, le ministre du commerce et des entreprises a publié une étude indépendante « Unlocking the sharing economy » qui appelle à simplifier la fiscalité des entreprises face aux nouvelles pratiques de l’économie du partage, à sécuriser les échanges en ligne pour les individus (données, identités, transferts d’argents) et qui appelle les collectivités à étudier l’intégration de ses services dans leur gestion : l’économie du partage étant source de gain de temps et de dépenses mais permettrait également une meilleure consultation des citoyens et donc une démocratie plus participative.

L’économie collaborative appliquée au service public ?

L’étude « Enjeux et perception de la consommation collaborative » du Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations en voulant déterminer le profil des usagers de l’économie du partage les qualifient à 40% « d’opportunistes », c’est-à-dire un groupe de populations pour qui « la consommation collaborative est avant tout une opportunité qui permet de regagner du pouvoir d’achat dans un contexte marqué par la crise économique ». Outre un choix de vocabulaire qui peut interpeller, le rapport passe cependant à côté de l’idée que les services publics peuvent, eux aussi, se montrer « opportunistes » et générer des économies en intégrant l’économie collaborative. 

Au niveau des dépenses de personnel, les déplacements des fonctionnaires sont très fréquents et génèrent d’importants frais de fonctionnement : pourquoi ne serait-il pas possible de privilégier le covoiturage pour les déplacements des agents ? L’idée peut également être prolongée à l’hébergement du fonctionnaire, en passant, si le coût est plus faible, par la plateforme Airbnb ? Une idée défendue directement dans le rapport britannique « Unlocking the sharing economy » qui souligne que les pouvoirs publics dépensent des millions de livres sterling chaque année en frais de déplacements et que l’utilisation des flottes de véhicules (pour les agents et les élus) n’est pas optimale. Concernant ce point, le rapport évoque le cas du Croydon Council où il a été décidé de supprimer la flotte de véhicules pour plutôt payer un abonnement à Zipcar à leurs agents pendant leurs heures de travail : les économies réalisées ont été de 42% par rapport au budget d’une flotte de véhicules (et de -36% en termes d’émission de CO2).

Autre secteur, mais cette fois pour générer de nouvelles ressources ;

  • La location à court terme : les pouvoirs publics britanniques sont propriétaires d’un portefolio (des véhicules aux bâtiments, aux établissements et matériels médicaux) d’une valeur de 370 milliards de livres et qui coûte 20 milliards de livres à entretenir chaque année. Le rapport propose donc de localiser les objets/lieux qui peuvent être mis en location aux particuliers, à des entrepreneurs pour de courtes durées sur le principe de Drivy (location de véhicules) ou d’OfficeRiders (location de bureaux sur le principe d’Airibnb).
  • Le financement participatif qui permet de directement impliquer les citoyens dans l’aménagement de leur lieu de vie et de l’espace public. À l’instar du site américain Citizeninvestor ou de la plateforme britannique SpaceHive, il serait intéressant de développer le crowdfunding citoyen. Cette nouvelle pratique permet de répondre aux envies des citoyens dans un contexte de restrictions budgétaires. Ainsi les habitants via le financement participatif peuvent financer des équipements publics comme un jardin communautaire ou encore un skate park. Au Royaume-Uni, la ville de Mansfield a, grâce au crowdfundig civique, installé un réseau Wi-Fi public après une récolte de 70.000 livres. La ville de Reims est d’ailleurs en train de restaurer son patrimoine (la Porte Mars) en faisant appel à des acteurs privés et en mobilisant le financement des habitants qui le souhaitent.

Autre axe de développement, l’économie collaborative, le modèle idéal dans le développement économique local. Il permet en effet de favoriser les circuits courts et de limiter les dépenses de transport. Plusieurs utilisations peuvent ainsi être faites dans ce sens, par exemple la ville de Saint-Etienne a décidé récemment de servir des repas 100% bio provenant à 47% de produits locaux. Saint-Etienne s’est ainsi appuyé sur une plateforme de producteurs locaux et a permis d’avoir une marge de manœuvre financière dans sa gestion. Le prix du repas est quant à lui de 5 euros (pris en charge par la ville et les familles). Autre exemple, l'essayiste américain, Jeremy Rifkin, l'auteur de "La Troisième Révolution industrielle" et de "La Nouvelle Société Coût Marginal Zéro" et qui travaille depuis plusieurs années avec le gouvernement allemand, conçoit en ce moment avec la région Nord-Pas de Calais, la mise en oeuvre d'un plan régional de développment, notamment des transports, qui inclut des initiatives collaboratives comme l'auto-partage et le crowdfuding : ainsi, des plateformes web de covoiturage de marchandises  (route, ferroviaire, fluvial) ont été développées pour permettre aux entreprises régionales de se regrouper et d’organiser des chargements optimisés. 

Où en est l’économie collaborative en France ?

En France, le secteur de l’économie collaborative connait une fulgurante ascension à l’image de son chef de file BlaBlaCar, un service de covoiturage devenu incontournable (il concentre 20% du trafic web des plateformes de l’économie du partage en France), qui permet à ses usagers de partager les frais d'un trajet en voiture (sans effectuer d'activité rémunératrice ou profitable) et qui fait de plus en plus concurrence à la SNCF... au point que cette dernière a désormais aussi lancé son propre service de covoiturage (iDVroom) et se lance aussi dans l’autopartage en prenant des parts dans OuiCar et 123envoiture.com. On trouve aussi d’autres grands acteurs français du secteur comme la Ruche qui dit Oui (produits fermiers du producteur au consommateur) ou encore LeBoncoin. La France fait partie des leaders en termes de consommation de l’économie du partage avec l’Espagne et les États-Unis : 30% des utilisateurs sur notre territoire sont des étrangers/touristes et 70% des Français.

Source : « Enjeux et perspectives de la consommation collaborative », Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations, juillet 2015.

Ainsi les internautes ont largement adopté cette pratique. Pour exemple 70% des internautes français ont déjà acheté ou vendu sur des sites de particulier à particulier. Du côté de l’hébergement, c’est près de 5 millions de personnes (françaises ou non) qui ont loué un logement via le site Airbnb depuis sa création (2,5 millions depuis le début de l’année 2015). Dans le domaine des transports le site BlaBlaCar compte 8 millions de membres en France, en pleine expansion le site est déjà présent dans plus de 19 pays et a organisé plusieurs levées de fonds importantes pour accélérer la croissance de l’entreprise. 


[1] Voir LeTemps, L’Open Data réinvente le marché des applications mobiles.

[2] « Enjeux et perception de la consommation collaborative », Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations, juillet 2015.

[3] On compte, pour le moment, environ 13.500 taxis jaunes à New York pour 63.000 VTC dont le développement est ancien. Pour ces derniers, on compte 25.000 nouveaux VTC depuis 2011 dont 19.000 sont affiliés à Uber (et dont 65% sont des black cars – soit un service de luxe non comparable à l’activité des taxis). Source NYT.