Le vrai chiffre du déficit social, 9 ou 18 milliards ?
La ministre des Affaires sociales a fait sensation en annonçant que « l’horizon du rétablissement complet, de l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale n’est plus une utopie. Il est à portée de main, pas pour 2016 mais très vite ». En juillet, déjà, l’annonce par le comité de suivi des retraites que les perspectives du système de retraite ne s’éloignaient pas des objectifs définis par la loi avait conduit Manuel Valls à déclarer que « les rapports montrent que la France a su remettre son système de retraites sur la voie d’un équilibre financier durable ». Des annonces éminemment politiques puisqu’elles permettent au gouvernement de contrer les candidats à la présidentielle qui voudraient réformer les prestations de la Sécu, les accusant de mettre à bas le modèle social français. Mais en se concentrant sur le déficit du régime général, on ne parle pas des autres régimes et notamment des régimes spéciaux dont le déficit est mal ou pas connu. Alors le déficit social : 9 milliards ou plutôt 18 milliards ?
Les comptes de la Sécu montrent effectivement une amélioration
Les branches retraite et accidents du travail s’annoncent donc en excédent selon les comptes provisoires de la sécurité sociale publiés en juin et dont la prochaine actualisation prévue fin septembre confirme la bonne tenue. La branche famille reste déficitaire à 1 milliard d’euros, et surtout la branche maladie, malgré une amélioration depuis 2013, reste déficitaire à 5,2 milliards d’euros.
Enfin, cette amélioration ne s’observe pas s’agissant des comptes du FSV qui restent dans le rouge. Rappelons que le FSV rassemble tous les droits non contributifs pour la vieillesse et en particulier la prise en charge des cotisations pour les périodes de chômage, le minimum vieillesse, ou les majorations de pensions pour enfants.
Avec un solde FSV compris de 9 milliards d’euros, la situation est donc loin d’être réglée. D’autant plus que comme le rappelle la commission des comptes de la Sécurité sociale, la dette continue à enfler passant à 136 milliards restant à rembourser. En 2016, la CADES a d’ailleurs procédé à une reprise de dette conséquente de 23,6 milliards d’euros. La légère reprise de l’emploi et donc des recettes de cotisations ne suffira pas à desserrer l’étau de la dette.
Ces soldes ne disent rien des mesures qui ont été prises pour revenir à l’équilibre
Ainsi en matière de retraites, l’amélioration repose sur les effets de la réforme Woerth-Fillon de 2010 – report de l’âge légal de 60 à 62 ans - (combattue par Mme Touraine alors députée) et sur les augmentations de cotisations prévues par la loi Touraine-Ayrault de 2014 – hausse de 0,15 pt en 2014 et 0,05 pt des cotisations salariales pour les 3 années suivantes, idem pour les cotisations employeur, qui s’ajoute à celle décidée en mai 2012 pour financer l'extension du dispositif carrières longues, présentée comme une sorte de retour à la retraite à 60 ans, et la hausse des cotisations des complémentaires de 2013 et 2015.
Par ailleurs si ces mesures assurent l’équilibre financier, elles ne modifient pas le poids des retraites dans le PIB : plus de 14% (290 milliards) ce qui reste parmi les chiffres les plus élevés des pays européens.
La question des retraites est donc loin d’être réglée car même si les mesures d’allongement de la durée de cotisation également prévues par la réforme Touraine-Ayrault vont monter en charge à partir de 2020, le COR affirme que ces mesures seront suffisantes à rétablir les comptes de notre système de retraite, si et seulement si le taux de chômage s’établit durablement à 7% et la productivité à 1,5%, hypothèses qui ne sont pas, loin de là, assurées. Sinon, les retraites resteront dans le rouge !
Les "autres" déficits
Enfin, ce retour à l’équilibre des retraites de la Sécu (dit régime général) ne dit rien des déficits des autres régimes : si les indépendants sont légèrement en excédent, les régimes spéciaux, et en particulier les régimes des fonctionnaires, de la SNCF ou de la RATP sont par convention à l’équilibre grâce à une subvention du budget de l’Etat.
Ainsi chaque année dans le cadre du projet de budget, la subvention versée à la SNCF, à la RATP, à la Seita, et aux mineurs fait l’objet d’une discussion. Cette subvention est en constante augmentation :
60% des crédits concernent les régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP.
S’agissant du déficit du régime des fonctionnaires, ce chiffre n’existe pas puisque la cotisation employeur de l’Etat est ajustée de façon à couvrir le financement des pensions. La seule estimation qui existe est celle faite par le COR dans ses exercices de perspectives financières des régimes. En 2003, le régime des fonctionnaires était estimé être en déficit de 10 milliards en 2010. De ce côté, les accords PPCR (parcours professionnels carrières rémunérations) et l’augmentation du point d’indice risquent de faire déraper les comptes même s’il n’est pas possible de connaître le déficit du régime de la fonction publique.
Si l’on s’en tient à ce chiffre, cela signifie que le déficit de notre système de retraite serait de 18 milliards d'euros.
- -4,2 milliards : CNAV+FSV
- -10 milliards : FPE
- -3,8 milliards : SNCF+RATP
Et les dépenses d'Assurance-maladie ?
C'est l’autre morceau de choix de la Sécu : la loi de financement de la Sécurité sociale avait prévu 181,9 milliards d’euros de dépenses d’Assurance-maladie en 2015 mais le montant final devrait être inférieur de 100 millions d'euros. Mais derrière cette maîtrise apparente des interrogations demeurent :
- Les dépenses de soins de ville ont dépassé les prévisions et sont en croissance de 2,5% par rapport à 2014. Les honoraires médicaux sont en hausse et l’année prochaine devrait voir la mise en application de la nouvelle convention médicale avec l’augmentation du prix de la consultation.
- Les notes de la DREES comme celles de la commission des comptes de la Sécurité sociale alertent sur le coût à venir des dépenses de médicaments, notamment des traitements anti-cancéreux et de l’hépatite. Ces traitements très onéreux risquent fort d’anéantir les effets de la généralisation des génériques qui avait permis de contenir la dépense de médicaments.
- Enfin du côté des dépenses hospitalières, celles-ci ont été contenues : la commission des comptes de la Sécurité sociale explique que les hôpitaux publics ont dépassé leurs objectifs en raison d’un fort dynamisme des consultations externes, ajoutant que de leur côté, les dépenses des cliniques privées ont été moins élevées que prévu. A ce sujet, la Drees précise que les prix ont baissé pour la 3e année consécutive dans le secteur privé hospitalier en raison du contrecoup de l’application du CICE. En effet, le CICE ayant mécaniquement augmenté les marges des cliniques, le gouvernement a souhaité atténuer l’écart de compétitivité entre les établissements publics et privés en procédant à des baisses tarifaires des séjours hospitaliers privés !
- On se demande dès lors comment le gouvernement va réagir du fait de l’impact sur l’équilibre des comptes des hôpitaux publics de la hausse du point d’indice…
A elles deux, les dépenses de retraite et d’assurance-maladie représentent plus de 460 milliards d’euros soit un cinquième du PIB. Réussir à les financer sur le long terme appelle donc à réfléchir à mieux définir leur financement afin que celui-ci ne pèse pas sur la compétitivité, et redéfinir les prestations en phase avec les évolutions de notre société.
Voir :
Dépenses de santé : une nouvelle baisse du reste à charge des ménages en 2015, Drees, Septembre 2016
COR : exercice de projections de l'équilibre à long terme des régimes de retraites, 2003