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Le compte pénibilité : toujours plus de complexité

Malgré les très fortes critiques du patronat, le compte pénibilité sera bientôt en marche. La mesure se défend au nom de la protection des travailleurs exerçant dans des conditions de travail difficiles. Mais pour les employeurs, elle s’ajoute à une liste de dispositifs qui visent, chacun à leur manière, à prévenir et corriger les effets pour les salariés de l’exercice de métiers pénibles. 

Le Compte prévention pénibilité

Les salariés concernés sont ceux affiliés au régime général de la Sécurité sociale ou de la MSA disposant de n’importe quel contrat de travail (CDI, CDD, intérim, apprentissage...) d'au moins un mois.

Le compte sera automatiquement créé à partir de janvier 2016 par déclaration annuelle de l'employeur à l’occasion de la DADS, si son exposition aux facteurs de risques dépasse les seuils prévus. L'employé sera ensuite informé par la caisse de retraite gestionnaire de son compte.

Le compte permet d'accumuler des points par année civile (4 points en cas d'exposition à un seul facteur de risque, 8 points en cas d'exposition à plusieurs facteurs de risques) Le salarié exposé à un ou plusieurs des 4 facteurs de pénibilité applicables en 2015 peut acquérir des points en 2015. Ces points seront reportés sur son compte en 2016, au titre de son exposition en 2015. Pour le salarié âgé (doublement des points pour le salarié né avant le 1er juillet 1956). Le nombre total de points pouvant être inscrits sur le compte est plafonné à 100 sur toute la carrière du salarié.

Le compte, ouvre droit à :

  • une action de formation professionnelle en vue d’accéder à un emploi pas ou moins exposé (1 point = 25 heures de formation),
  • un passage à temps partiel sans baisse de rémunération (10 points = 1 trimestre à mi-temps),
  • un départ anticipé à la retraite (10 points = 1 trimestre de droits à la retraite).

Les 20 premiers points obtenus sur le compte sont réservés à la formation professionnelle.

Les 10 facteurs de pénibilité, qui ont été recensés dans le cadre de la réforme des retraites, sont pris en compte en deux temps (en 2015 et 2016).

Entrée en vigueur

Facteur de pénibilité

Seuil annuel

janvier 2015

Travail de nuit (1h de travail entre minuit et 5 h)

120 nuits

janvier 2015

Travail en équipes successives alternantes impliquant au minimum 1h de travail entre minuit et 5 h

50 nuits

janvier 2015

Travail répétitif (plus de 15 actions techniques pour un temps de cycle inférieur ou égal à 30 secondes, ou plus de 30 actions techniques par minute)

900 heures

janvier 2015

Travail en milieu hyperbare (en hautes pressions)

60 interventions à 1 200 hectopascals minimum

juillet 2016

Manutentions manuelles de charges lourdes

Lever ou porter 15 kg pendant au moins 600 heures

juillet 2016

Postures pénibles (position accroupie ou à genoux)

900 heures

juillet 2016

Vibrations mécaniques

450 heures

juillet 2016

Agents chimiques

Seuil déterminé pour chacun d’eux dans une grille d’évaluation fixée par arrêté

juillet 2016

Températures extrêmes (en-dessous de 5°C et au-dessus de 30°C)

900 heures

juillet 2016

Bruit (81 décibels pendant 8h)

600 heures

Bruit (crête de 135 décibels)

120 fois

L’employeur est soumis aux obligations suivantes :

  • effectuer une évaluation annuelle de l’exposition de chaque travailleur,
  • renforcer les mesures de prévention et de protection collective et individuelle
  • déclarer les facteurs de pénibilité auxquels a été exposé chaque salarié au-delà des seuils, dans le cadre de la DADS.

Les dépenses liées à l'utilisation du compte pénibilité par le salarié sont prises en charge par un fonds financé par 2 cotisations de l'employeur :

  • une cotisation de base, due par tous les employeurs (même ceux non concernés par les facteurs de pénibilité), correspondant à 0,01% des rémunérations (à partir de 2017),
  • une cotisation additionnelle, due par les employeurs de salariés exposés, égale à 0,1% des rémunérations des salariés exposés pour 2015 et 2016, puis à 0,2% à partir de 2017. Cette cotisation est doublée pour les salariés exposés à plusieurs facteurs de pénibilité.

La principale critique, la lourdeur de la fiche individuelle a été remplacée par une déclaration annuelle annexée à la DADS. Mais les employeurs n’en démordent pas. Ce dispositif va s’ajouter à une réglementation du travail particulièrement lourde en France.

Rappelons que plusieurs mécanismes essayent d’approcher cette question des métiers difficiles sans être pour autant totalement satisfaisants :

  • les pensions d’invalidité :

La pension d’invalidité vise à compenser la perte de rémunération due à l’invalidité et à indemniser en partie l’éventuel recours à une aide. Le dispositif couvre le risque de ne plus pouvoir travailler dans des conditions normales à la suite d’un accident ou d’une maladie. Il est géré par la CNAMTS (550 000 personnes perçoivent une pension d'invalidité en 2011). Il permet de recevoir une pension qui compense en partie la réduction ou la perte du revenu professionnel. La mise en invalidité intervient généralement après la stabilisation de l’état de santé à la suite d’un arrêt de travail. La reconnaissance de l’invalidité permet d’obtenir une retraite à taux plein au régime général et dans les régimes alignés

  • les maladies professionnelles :

Les maladies professionnelles prises en charge par la Sécurité sociale, sur la base de tableaux de maladies professionnelles. Les troubles musculo-squelettiques sont les maladies professionnelles les plus courantes à l'heure actuelle. Le régime est géré par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale (51 452 cas de maladies professionnelles déclarés en 2013).

  • les accords de prévention de la pénibilité pour certaines entreprises :

Certaines entreprises ont l’obligation de conclure un accord collectif ou, à défaut, d’élaborer un plan d’action en faveur de la prévention de la pénibilité (articles L. 4163-1 et suivants, D. 4163-1 et suivants du Code du travail) qui doit permettre aux salariés exposés de bénéficier d’actions de suppression ou de réduction de ces risques, de manière à prévenir toute pénibilité. L’accord ou le plan est conclu pour une durée maximale de 3 ans, et doit donc être renouvelé à son terme. Les entreprises concernées sont celles de 50 salariés ou plus si la proportion de salariés exposés aux facteurs de pénibilité est de 50% de l’effectif. À noter que ce taux passera à 25% à compter du 1er janvier 2018. Les entreprises visées sont exonérées de cette obligation si elles sont couvertes par un accord de branche abordant les thèmes de prévention de la pénibilité.

  • Les différents dispositifs de cessation anticipée d’activité :

La CATS (cessation anticipée d'activité de certains travailleurs salariés), créée en 2000 et close en 2006, qui permettait aux salariés ayant eu des conditions de travail particulièrement éprouvantes (trois huit, travail à la chaîne…) ou lourdement handicapés, de cesser leur activité avant l'âge légal de la retraite. Le CFA (congé de fin d’activité) pour les conducteurs de transports, âgés d’au moins 57 ans et de moins de 62 ans, ayant exercé pendant au moins 26 ans un emploi de conducteur routier de marchandises, 20 ans pour les convoyeurs de fonds, 30 ans pour les conducteurs routiers de voyageurs. Le régime est géré, pour le transport de marchandises, par un fonds paritaire créé spécifiquement à cet effet, le Fonds national de Gestion paritaire du congé de fin d’activité (FONGECFA) (8000 bénéficiaires).

On pourrait rajouter à cette liste les départs anticipés à la retraite pour carrières longues (145 000 départs à ce titre en 2014) qui, bien qu’elles ne tiennent pas compte objectivement de la pénibilité du métier, concernent des salariés qui parce qu’ils ont commencé à travailler jeunes (avant 18 ans, selon les années de naissance) peuvent ne pas vouloir attendre 62 ans pour partir à la retraite.

Quelle efficacité ?

Le compte prévention pénibilité va donc venir s’ajouter à cette liste, dont on remarque qu’elle fait intervenir différentes branches de la Sécurité sociale (maladie, vieillesse, accidents du travail/maladies professionnelles), des fonds de compensation publics ou paritaires. C’est d’ailleurs ce que reproche Alexandre Saubot, vice président du Medef en charge des affaires sociales dans Les Echos «  La pénibilité vient s’ajouter à l’inaptitude, aux carrières longues et à l’invalidité et nous devons nous poser la question de leur convergence »http://www.lesechos.fr/economie-france/social/021592886725-alexandre-saubot-sur-lemploi-la-politique-du-gouvernement-nest-pas-coherente-1188935.php. Une réflexion pourrait être utilement menée sur la coordination de tous ces dispositifs qui cherchent tous à corriger les effets immédiats ou à long terme des métiers pénibles, sans y parvenir complètement.

Par ailleurs, le nouveau dispositif pénibilité repose également sur le système de formation dont on sait qu’en France il est loin d’être le plus performant.

Un autre élément régulièrement soulevé est l’efficacité du dispositif. Comme nous l’avions décrit dans de précédentes notes, plusieurs éléments peuvent venir discuter l’effet de la prise en compte de la pénibilité (différences d’espérance de vie qui peuvent s’expliquer par des phénomènes autres que le métier, difficulté à définir à un moment donné quels sont les métiers pénibles et ceux qui ne le sont pas ou plus, caractère déresponsabilisant d’une cotisation qui fait reposer sur la collectivité la conduite d’un employeur, métiers identifiés comme pénibles qui vont avoir du mal à recruter, où s’arrête la liste des facteurs de pénibilité, etc.) Pour toutes ces raisons, les pays qui ont mis en œuvre des dispositifs de prise en compte de la pénibilité n’ont pas trouvé de recette miracle. (Voir l’étude de l’OCDE et l’étude très complète intitulée « Meilleure compréhension des «métiers pénibles» dans le débat européen sur les retraites »). En particulier s'agissant de l'âge de la retraite, le départ peut être anticipé mais dans ce cas, il y a soit une cotisation supplémentaire soit une décote.

Dans son entretien aux Echos, Alexandre Saubot va plus loin et dénonce : « En l’état, le dispositif pénalisera l’activité et détruira de l’emploi dans notre pays, sans compter qu’il est désincitatif à la prévention, qui a montré son efficacité dans l’industrie ».

Cette critique peut être entendue car la mesure va frapper certaines catégories d’emplois parmi les moins qualifiés, faiblement rémunérés et dans des secteurs très exposés à la concurrence internationale. C’est particulièrement vrai pour l’industrie, moins pour la construction, le bâtiment ou les travaux d’entretien, encore que le phénomène des travailleurs détachés vient bousculer ce schéma de métiers protégés des délocalisations. Notons au passage qu’il s’agit dans certains cas de métiers dont on se plaint aussi qu’ils ont du mal à recruter. Le paiement d’une cotisation supplémentaire assise sur des salaires plutôt faibles pourrait ne pas suffire pour financer les mesures de formation, temps partiel, retraite anticipée, d’où la tentation d’augmenter les cotisations sur les métiers pénibles, voire sur tous les emplois. Avec le risque de faire disparaître pour de bon les emplois associés aux métiers pénibles.