La fin programmée de l’ « assurance » chômage
Le gouvernement vient de faire connaître aux partenaires sociaux sa lettre de cadrage en vue de la négociation de la nouvelle convention d’assurance chômage. Déjà annoncée par les déclarations du chef de l’Etat du temps qu’il était candidat, il s’agit d’un bouleversement, qui devrait surtout se manifester à terme, des principes de l’assurance chômage, qui doit cesser d’être une véritable assurance dans la mesure où le caractère contributif de son financement est appelé à disparaître au profit de l’impôt. La conséquence va en être la disparition du paritarisme et du rôle, tout au moins exclusif des partenaires sociaux, à qui la lettre de cadrage confie maintenant une mission impossible.
Les intentions du chef de l’Etat et les interrogations des partenaires sociaux
L’Unedic, organisme paritaire de la gestion de l’assurance chômage, a publié en juillet dernier son rapport d’activité 2017. Y figurent les derniers chiffres financiers disponibles pour l’année 2017 :
- Contributions collectées : 35,7 milliards d’euros
- Allocations versées : 34,3
- Aides à la reprise d’emploi : 0,5
- Versement aux caisses de retraite : 3,5
- Dotation au budget de Pôle emploi : 3,3
- Déficit de l’année : 3,4
- Dette à fin 2017 : 33,5
On voit tout de suite que, n’étaient les dépenses hors allocations versées aux chômeurs, l’Unedic ne serait pas en déficit, et qu’en particulier la dotation à Pôle emploi, qui est un prélèvement imposé par l’Etat sans rapport avec la mission de l’Unedic, suffit à rendre compte du déficit. S’ajoutent à cette constatation le fait que l’Etat garantit la dette de l’Unedic, et que les recettes de cette dernière ne proviennent plus dorénavant qu’en partie des cotisations puisque les cotisations salariales ont été supprimées et remplacées par un financement d’origine universelle, la CSG, qui est un impôt. Un tiers du financement est ainsi en cause, le reste provenant des cotisations patronales. L’Etat va de plus imposer à l’Unedic comme on le sait, même si les conditions restent encore à définir, de prévoir l’indemnisation des indépendants et des démissionnaires. Enfin, l’Etat entend se réserver le droit de modifier les règles d’indemnisation, de la compétence normale des partenaires sociaux dans le cadre de l’Unedic, par simple décret, et ce jusqu’en 2020 et ensuite dans les limites de lettres de cadrage. Tout ceci introduit un bouleversement dans la conception que l’on se fait de l’indemnisation du chômage, à la fois dans son financement et dans la détermination des indemnisations.
Nous sommes cependant ici dans la continuité parfaite des intentions du chef de l’Etat. En décembre 2016 déjà, soit après la publication du livre Révolution et diverses déclarations du candidat Macron, nous nous demandions si nous devions nous attendre à la « disparition de l’assurance chômage comme prestation contributive » : à la différence de l’assurance maladie qui repose sur un concept de solidarité, l’assurance chômage « suit traditionnellement en France un modèle « bismarckien », qui ouvre des droits individuels proportionnels aux cotisations versées. Emmanuel Macron propose une sorte de révolution à ce sujet en passant à un modèle « beveridgien » à la britannique, financé par l’impôt, et surtout ouvert à toute la population, y compris les indépendants, comme une sécurité universelle pour toute personne écartée du travail pour quelque raison que ce soit. Le candidat propose même que les salariés démissionnaires bénéficient des prestations chômage…
Le financement par l’impôt vis-à-vis du salarié signifie que l’Etat reprend la main sur l’assurance chômage. En substituant la CSG à la cotisation, l’Etat est libre de définir comme il l’entend l’étendue des prestations, et l’on comprend qu’Emmanuel Macron a pour intention d’en faire un objet, non pas de droits acquis individuels, mais de solidarité universelle ouvert à tous, avec pour conséquence inévitable la diminution et l’égalisation des prestations. C’est le modèle anglais, qui distribue des sommes qui seraient jugées extrêmement faibles en France (plafond de 500 livres pour un couple, à condition d’avoir cotisé deux années, signé un contrat de jobseeker et versé pendant seulement deux années). A quel niveau Emmanuel Macron pense-t-il plafonner les indemnités et comment va-t-il s’assurer de l’assentiment des Français à cette réforme pénalisante pour les classes moyennes ? »
Nous n’en sommes pas encore à copier le modèle anglais, mais les conditions d’une reprise en main du système par l’Etat sont bien là. En témoigne cette déclaration du chef de l’Etat du 9 juillet dernier, qui fait écho près de deux années plus tard à celles qui avaient motivé nos observations : « il n'y a plus un droit au chômage, au sens où on l'entendait classiquement, il y a un droit qui est offert par la société, mais dont on ne s'est pas garanti l'accès à titre individuel, puisque tous les contribuables l'ont financé ». Cette déclaration est extraite d’une tribune de Denis Kessler, l’influent PDG du groupe SCOR et ancien vice- Président du Medef, appelant à la reprise en main du système d’assurance chômage par l’Etat, qui « doit avoir la responsabilité de l’indemnisation du chômage »[1].
Il n’est pas indifférent que vienne ainsi se prononcer un ancien dirigeant de l’organisation appelée maintenant à négocier les accords demandés par la lettre cadrage de l’exécutif. Bien que les intentions précises de Geoffroy Roux de Bézieux, président actuel du Medef, par rapport à cette lettre de cadrage ne soient pas connues, on note sa reconnaissance du fait « que nous ne sommes plus dans un véritable système d’assurance chômage », que ce système doit être remis « complètement à plat », ce qu’il verrait sous la forme d’une « allocation universelle forfaitaire financée par la CSG et gérée par l’Etat », complétée par un « régime assurantiel complémentaire obligatoire, géré par les partenaires sociaux..., financé par les cotisations des entreprises, non garanti par l’Etat et avec une règle d’or : l’équilibre des comptes »[2].
Là non plus, nous n’en sommes pas encore à discuter d’un tel changement, qui peut d’ailleurs paraître assez utopique car il est difficile d’imaginer que l’Etat puisse se contenter d’un financement de l’assurance universelle par la CSG sans cotisations d’entreprises.
De leur côté, les dirigeants de l’Unedic, qui se sont exprimés dans le rapport d’activité 2017, avant d’avoir eu connaissance de la lettre de cadrage, laissent deviner un certain désarroi. Ils rappellent que les partenaires sociaux pensent nécessaire « une meilleure articulation entre les politiques relevant de la solidarité et l’assurance chômage, ce qui peut conduire à une évolution du financement… tout en conservant son caractère contributif ». Ce qui déjà contredit implicitement les déclarations du chef de l’Etat. Ils évoquent ensuite, en termes diplomatiques, deux questions qui taraudent les partenaires sociaux : « Comment établir une trajectoire financière pluriannuelle quand un tiers des recettes fait l’objet d’un vote annuel ? » (il s’agit du vote du Parlement sur la CSG) ; d’autre part, à propos cette fois de la liberté qu’entend se réserver l’Etat de modifier les règles d’indemnisation par décret et du cadrage qui fera suite, « quel sera ce modèle de fonctionnement dès lors que l’Etat entend cadrer la négociation des partenaires sociaux ? »
Les consignes de la lettre de cadrage
La lettre de cadrage que l’Etat vient d’envoyer aux partenaires sociaux – avec consigne de conclure leur accord dans un délai de quatre mois - reflète bien les interrogations de l’Unedic et des partenaires. En effet, la lettre paraît bien laisser aux partenaires la liberté de négocier, la ministre du travail insistant sur le fait qu’il n’y a « aucun tabou ». En pratique, cette liberté est sévèrement corsetée :
- L’Etat exige que la nouvelle convention permette de « dégager entre 1 et 1,3 milliard d’euros d’économies en moyenne annuelle ». Mais l’Etat maintient en même temps toutes les obligations financières de l’Unedic extérieures à sa mission d’indemnisation, et particulièrement la dotation à Pôle emploi dont on a vu qu’à elle seule elle expliquait le déficit de l’Unedic. Il s’agit donc de l’obligation de respecter la « trajectoire financière » sur laquelle s’interroge le rapport de l’Unedic que nous avons cité.
- Cinq consignes précises sont données :
- « Revoir les règles de cumul pour lutter contre la précarité » et inciter à la reprise d’emploi ». il s’agit du problème de la « permittence » et plus spécialement de celui créé par les droits rechargeables à 150 heures en combinaison avec une activité réduite illimitée dans le temps ;
- « Inciter les entreprises à privilégier une réorganisation du travail par le dialogue social sur le recours à l’assurance chômage pour faire face aux évolutions conjoncturelles ». L’Etat juge que le comportement des entreprises se traduit par des « séparations excessivement nombreuses » et évitables ;
- « Créer les conditions d’un accompagnement plus efficace et plus précoce » en améliorant l’offre de services de Pôle emploi ;
- « Travailler à une meilleure articulation entre assurance et solidarité », le cas échéant par la création d’une allocation chômage de longue durée (ACLD) attribuée sous condition de ressources, au financement de laquelle l’Etat pourrait « participer » ;
- « Créer de nouveaux droits pour les salariés démissionnaires et les indépendants », en précisant les conditions d’éligibilité déterminées par l’ANI de 2018 et la loi.
On notera que ce cadrage ne fait pas allusion à la question des contrats courts et de l’éventualité d’instaurer un système de bonus-malus. Par prudence, pour ne pas heurter de front le Medef, très hostile sur ce sujet.
On sait aussi les partenaires sociaux, spécialement les syndicats de salariés, opposés à toute diminution des indemnisations, et les syndicats patronaux à l’augmentation des cotisations. Comment dans ces conditions faire en sorte de réaliser des économies, avec des créations de nouveaux droits (points 4 et 5 ci-dessus) ? On a envie de souhaiter « Bonne chance, Messieurs » !
Conclusion
Malgré la prudence du gouvernement, c’est une mission impossible qui est donnée aux partenaires sociaux. Combien d’entre eux pratiqueront la politique de la chaise vide à la table des négociations, on ne le sait pas encore. Mais s’ils maintiennent leur exigence de ne pas porter atteinte aux indemnisations, on ne voit guère comment ils pourront respecter les consignes du cadrage.
Est-ce le calcul du gouvernement d’y trouver un motif pour reprendre totalement la main sur l’assurance chômage ? Toujours est-il que cela serait une suite logique à ses exigences. Et cela pourrait résulter en une révision plus profonde des conditions d’indemnisation, qui selon nous ne serait pas mal venue.
Revenir sur les droits rechargeables, première exigence du gouvernement, paraît une bonne initiative. Ils transforment en effet l’assurance chômage en droit à ne pas travailler, ce qui représente un effet particulièrement pervers de la règle. On rappellera cependant, comme la lettre le précise d’ailleurs, que ces droits rechargeables ont été introduits par les partenaires sociaux dans leur convention de 2014, et qu’on voit mal ces derniers y renoncer quatre années plus tard.
Cependant d’autres réformes paramétriques sont possibles et souhaitables, que nous avons proposées dans notre étude sur l’assurance chômage, et dont certaines sont préconisées par la Cour des comptes : la gestion contracyclique des comptes de l’Unedic par exemple, la modification des ratios d’éligibilité des droits et du taux de transformation, la baisse du taux de remplacement ou encore la suppression des revenus de remplacement trop hauts. L’Etat serait bien venu à agir en ce sens, plus facilement que les partenaires sociaux… mais il y aurait quand même un coût politique à assumer.