Doit-on véritablement sauver l'AFPA ?
L'AFPA, l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes, que le gouvernement s'apprête à renflouer à hauteur de 110 millions d'euros, est une association fondée en 1949 (alors appelée ANIFRMO jusqu'en 1965) chargée de la formation professionnelle des adultes. Aux termes de l'article L.5311-2 du code du travail, elle assure « le service public de l'emploi » ce qui la place de facto dans une situation connexe à celle de Pôle Emploi, l'AFPA s'occupant traditionnellement de la formation, de l'orientation et de la certification des demandeurs d'emplois et des salariés [1], tandis que Pôle Emploi joue le rôle d'organisme de placement des demandeurs d'emplois dans les entreprises.
L'AFPA n'a pas une gouvernance simple, dans la mesure où elle conjugue une certaine autonomie de gestion avec une tutelle tripartite composée de représentants de l'État et des conseils régionaux, ainsi que des partenaires sociaux. A la suite des lois de décentralisation, l'AFPA en 1985 a territorialisé son implantation par l'ouverture de 22 agences régionales complétées par des centres pédagogiques et d'appui techniques ou « campus », au nombre de 200 environ sur l'ensemble du territoire. La structure est donc lourde. Elle est forte de 9.200 personnes recrutées en CDI et CDD, avec la spécificité de comporter pratiquement 1 administratif pour 1 formateur. Une structure qui s'explique par la paperasserie engendrée par les très nombreuses conventions que l'organisme doit gérer, ce qui engendre un coût administratif et donc un back office important.
L'AFPA en bref…
Gouvernance : 2 instances, dont 1 conseil d'orientation composé de 16 représentants et 4 personnalités qualifiées, il définit la stratégie et nomme et révoque les administrateurs et le Président. Un conseil d'administration de 8 membres qui définit annuellement la politique de l'organisme, vote le budget et les comptes et nomme le Directeur général avec l'approbation de l'État.
Organisation : 9.556 personnes en février 2011 tous en CDI ou CDD Situation financière : budget 2011 950 millions d'euros, déficit 2011 -55,63 millions d'euros, situation qui se dégrade en 2012 (-80 millions d'euros). Le financement de l'organisme est assuré par le programme d'activité de Service public (PASP de l'AFPA pour 118 millions d'euros en 2011), par des marchés de formation passés avec l'État (« formation des publics fragiles » dont mobilisation du FSE (fonds social européen) pour 92 millions d'euros, par les conseils régionaux (455 millions) et des acheteurs paritaires ou privés pour 217 millions d'euros. Le patrimoine : l'organisme ne dispose pas du foncier de ses 200 implantations, mais de la propriété des bâtiments qui y sont construits, soit un patrimoine évalué à 545 millions d'euros.
1) L'impréparation de l'ouverture à la concurrence… :
A l'issue d'un avis de l'autorité de la concurrence, saisie par la FFP (la fédération de la formation professionnelle) [2], la décision a été prise de faire en sorte que l'AFPA se conforme aux règles de la concurrence en matière de délivrance de services de formation professionnelle. Ce bouleversement concurrentiel est intervenu alors même que la structure entamait un processus de décentralisation progressif de ses financements en direction des régions dans le cadre de l'acte II de décentralisation (loi du 13 août 2004), ces dernières concentrant les compétences en matière de formation professionnelle. Le processus devait s'achever à la date butoir du 31 décembre 2008. Cependant la « régionalisation » de l'organisme est demeurée incomplète dans la mesure où l'AFPA était par ailleurs mobilisée en participant au niveau national au « service public de l'emploi » par l'intermédiaire de la loi du 18 janvier 2005, puis celle du 13 février 2008 fusionnant ANPE et UNEDIC (assurance chômage), lui accordant des subventions finançant les programmes en faveur des demandeurs d'emploi de longue durée, de préparation à l'entrée en contrats d'alternance etc. [3]
Le problème de la « transition » de la structure administrée par des lignes de crédits alloués directement par l'État, puis par les régions, n'a pas été réglé par le précédent gouvernement et son directeur de l'époque Philippe Caïla. Les insuffisances se sont portées à trois niveaux :
Incapacité à choisir une architecture pertinente pour la nouvelle structure : l'ouverture à la concurrence aurait dû conduire à une restructuration de l'association et sa transformation en une structure commerciale, avec au besoin un confinement de ses activités de service public au sein d'une structure associative dédiée.
Un manque de discernement quant au transfert des 800 conseillers d'orientation/psychologues vers Pôle Emploi. Il apparaît qu'au sein d'une structure aussi énorme que l'organisme de placement, leur action est aujourd'hui totalement diluée. Par ailleurs, c'est l'efficacité de leur action qui constituait l'un des atouts majeurs de l'AFPA. Le transfert a donc permis facialement de contribuer à faire baisser la masse salariale de 110 millions d'euros entre 2008 et 2011, mais a retiré l'un des points d'expertise les plus importants de la structure.
Enfin, des atermoiements sur les plans financier et patrimonial : La modification rapide du mode de financement (suppression du financement d'État) et la difficulté à disposer de la gestion de son propre patrimoine (l'AFPA dispose de bâtiments pour une valeur comptable de 545 millions d'euros, sans disposer du foncier qui appartient à l'État [4]), pose un problème en matière de trésorerie puisqu'avec la chute de Dexia en 2011, les lignes de crédits bancaires se tarissent.
Le graphique ci-dessus permet de bien mettre en évidence l'évolution des financements de l'État mis en regard de ceux des collectivités territoriales. Pour l'État ne figurent que ceux reposant sur des subventions classiques, tandis que les collectivités locales présentent l'ensemble des ressources consacrées y compris les appels d'offres. On vérifie graphiquement assez aisément l'effondrement progressif des recettes publiques.
2)… conduit à une dégradation des comptes de l'AFPA :
Le Premier tableau quant à lui, matérialise la ventilation du chiffre d'affaires de l'organisme entre 2008 et 2011 tel qu'il est présenté dans les comptes de l'AFPA. On vérifie que les produits d'exploitation baissent en quatre ans de près de 119 millions d'euros. En réalité les tendances internes sont plus contrastées : en trois ans l'AFPA a vu son profil de financement totalement modifié : si en 2009 75% de son financement était assuré au moyen de subventions, contre 25% de produits commerciaux, la structure en 2011 est rigoureusement inversée. Par ailleurs les financeurs privés sont encore faibles, ils ne représentent que 174,9 millions d'euros (marché privé + bénéficiaires et International), contre 251,6 millions pour l'État et 433 millions d'euros pour les collectivités territoriales.
Par ailleurs, dans le cadre des appels d'offres passés par les collectivités territoriales elles-mêmes, désormais les premiers financeurs de la formation professionnelle, l'AFPA a du mal à s'adapter aux procédures d'allotissement (fractionnement des appels d'offres) et la « non fongibilité des lots ». La conséquence en est une lente baisse de ses parts de marché. Un rapport de l'IGAS permet de percevoir la tendance [5] au niveau national : la répartition des heures de formation conférées à l'AFPA passe de 22,1% des heures à 20,5% entre 2009 et 2010.
3) Qui n'est pas compensée par une réforme structurelle volontariste :
Un regard sur la structure des charges du compte de résultat permet de bien cerner les difficultés en termes d'ajustement des dépenses de l'organisme à la nouvelle donne concurrentielle : en effet, alors que la rémunération de base des agents par ailleurs tous sous contrat de droit privé n'a pas été revalorisée depuis 1999 [6], les rémunérations réelles sont elles en régulière augmentation. Au salaire de base (ou AME pour appointement minimum d'emploi), s'ajoute une prime dite PRU (Partie répartie uniformément) à laquelle s'ajoute un 13ème mois, ainsi qu'une prime d'ancienneté baptisée « prime d'expérience » s'échelonnant entre 3% et 15% de l'AMU, auxquelles s'additionnent des mesures spécifiques en faveur des salariés les plus modestes, des réductions d'écart homme-femme, des augmentations individuelles, des primes individuelles. Au total au 9 juin 2011, s'était près de 20 millions d'euros de revalorisations individuelles et collectivités chargées qui étaient négociées [7]. Au total, avec un nombre d'agents de 9.215 ETP en 2011, le salaire moyen chargé représente près de 65.303 €/agent, soit près de 5.442 € de salaire brut chargé par mois.
Le total des charges d'exploitation figurant au compte de résultat de l'AFPA permet de vérifier que l'ensemble des dépenses de personnel en représente près de 71,2% dont 70,1% rien que pour la masse salariale. Les dépenses de fonctionnement courantes sont peu importantes, de l'ordre des 28%. Comme on l'a vu le déséquilibre provient non seulement de la politique salariale qui a troqué blocage des rémunérations de base contre envolée des primes, mais aussi de l'importance des « administratifs » par rapport aux « formateurs » (4.400 sur les 5.607 personnels recensés en avril 2010 sur la ligne « production »).
4) La stratégie retenue par l'actuel gouvernement ne répond pas aux vrais problèmes de fond :
Alors qu'à la fin 2012 l'AFPA affichait un déficit record de 80 millions d'euros, la stratégie retenue par l'actuel gouvernement pose question. Le choix a été fait et annoncé d'une refondation. On peut comprendre qu'un organisme représentant près de 30% du marché de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi [8], mais 4% seulement de la formation professionnelle totale, ne puisse disparaître sans qu'une structure puisse reprendre immédiatement ses missions d'intérêt général au titre du service public de l'emploi. Il est par contre très curieux :
Que la forme associative soit à nouveau privilégiée par les pouvoirs publics et les fondateurs, alors même que comme on l'a vu, un certain nombre de dispositifs pourraient aisément se voir portés par une structure commerciale de type privée. Le malheur dans cette affaire c'est que le gouvernement n'a pas envie de se fâcher avec ses partenaires locaux. Il aurait alors été question nécessairement de revoir l'ampleur de son implantation territoriale, voire de ses politiques de rémunération et de logement social qui peuvent être accordés aux stagiaires.
La question du statut juridique du foncier est donc connexe à la question de la forme juridique de la structure. Hors comme l'évoquait dans ses commentaires le Conseil constitutionnel (cf. infra), « les implantations des centres dépendent largement de choix régionaux et répondent souvent aux sollicitations des conseils régionaux ou d'autres élus locaux » [9]. Ironie du sort, c'est parce que les conseils régionaux de la région Centre et de Poitou-Charentes ont déposé deux QPC auprès du Conseil constitutionnel, que celui-ci a examiné l'article 54 de la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, alors même qu'il n'avait eu à connaître précédemment que de l'article 53 à l'issue du processus législatif. C'est donc les régions de gauche qui ont involontairement bloqué en 2010 le processus de dévolution du foncier propriété de l'État à l'AFPA, le Conseil constitutionnel jugeant impossible de transférer sans contrepartie en pleine propriété une portion du domaine public (déclassifié) à un organisme qui ne s'apparentait pas à une autre collectivité publique [10].
Les coûts de cette bévue ne sont pas neutres, y compris sur le plan européen. En effet, s'il est décidé de procéder à la concession de baux emphytéotiques sur le foncier de ses 200 centres, c'est également parce que tôt ou tard la question du transfert pur et simple ou de son équivalent aurait pu constituer une « aide d'État » au sens du droit européen.
Le risque se poursuit en matière de renflouement de la structure : l'État a décidé de débloquer une enveloppe de 110 millions d'euros en 2013, puis de 110 millions d'euros supplémentaires pour la période 2014-2017, avec accompagnement par les banques et les conseils régionaux pour un total de 430 millions d'euros [11]. Le tout se traduisant par la souscription d'obligations associatives de long terme sous la houlette de l'APE (l'agence des participations de l'État). Le problème va cependant se poser à nouveau de savoir si l'investissement des acteurs publics dans la nouvelle structure ne s'apparente pas à une aide d'État, et si celle-ci prend la forme d'une opération similaire à celle réalisée par un investisseur « avisé » en économie de marché, c'est-à-dire intervenant après élaboration d'un plan de restructuration jugé réaliste et crédible, notamment en termes de « taux de rentabilité ».
Conclusion :
On le voit, le mot est lâché : l'approche du gouvernement relative au plan de restructuration devra s'apprécier à raison du réalisme de son « taux de rentabilité ». Une appréciation qui milite, comme le propose la Fondation iFRAP, pour une séparation claire entre les prérogatives de service public de l'emploi et celles « commercialisables » d'orientation et de formation professionnelle. Aussi nous proposons :
Que l'AFPA soit rapidement scindée en deux entités distinctes séparant bien les différents types d'activité, au besoin en les filialisant. Avec une entité protégée de la concurrence et une autre parfaitement autonome et exposée.
Qu'une réflexion approfondie soit menée sur la structure et la répartition des effectifs (centre, services territorialisés, mais aussi formation, administration) et leur rémunération afin que l'évolution de la masse salariale soit maîtrisée.
Que les personnels transférés au sein de Pôle Emploi fassent retour dans leur structure historique afin d'être répartis au sein de la nouvelle entité et de participer à la valeur ajoutée de la nouvelle structure.
[1] Plus précisément de la formation des demandeurs d'emploi et des salariés, de l'orientation des demandeurs d'emploi et de prestations de certification (VAE (validation des acquis de l'expérience) et CCP (certificats de compétences professionnelles)).
[2] Avis n°08-A-10 du 18 juin 2008 relatif à une demande d'avis présentée par la Fédération de la formation professionnelle (FFP).
[3] Matérialisés par les programmes 102 et 103 « accès à l'emploi » et « accompagnement des mutations économiques, sociales et démographiques », soit 113 millions d'euros en 2011.
[4] L'État ne peut pas transférer ses biens fonciers à l'AFPA sans notification à Bruxelles, celle-ci évaluant si le volume d'aide apporté est « proportionné à l'objectif poursuivi). Dans l'affaire, cette phase prend au moins 2 ans entre 2009 et 2010.
[5] Se reporter au rapport IGAS, Evaluation du pilotage de la formation professionnelle par les conseils régionaux, mai 2012, p.56 et p.97 annexe 4.
[6] Voir en particulier, Comparatif synthétique des statuts collectifs de l'AFPA et de Pôle Emploi. Par non-revalorisation du point d'indice, fixé depuis 1996 à 6,19 € et multiplié par le coefficient de classification accordé.
[7] Se reporter au Compte rendu CFDT FPA, Réunion de négociation annuelle obligatoire sur les salaires du 9 juin 2011.
[8] Voir rapport Cour des comptes, octobre 2008, formation professionnelle tout au long de la vie.
[9] Voir commentaires après CC.DC n°2010-67/86 QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du 17 décembre 2010.
[10] Conseil constitutionnel, décision n°2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010, Région Centre et région Poitou-Charentes.
[11] À notre avis le collatéral ne pourra être constitué que par les bâtiments appartenant déjà à l'AFPA. Malheureusement le montage de l'opération risque, comme souvent, de faire l'impasse sur la rentabilité de l'opération en s'apparentant à un montage financier piloté par les pouvoirs publics. La commission appréciera.