BEPS, Tax Rulings : du mythe à la réalité
Lundi dernier, l’OCDE a publié le rapport final (et ses annexes) relatif à l’initiative BEPS (Base Erosion Profit Shifting) de lutte contre l’optimisation fiscale (érosion de la base fiscale et transfert de bénéfices) et la concurrence fiscale dommageable. Malgré l’effort considérable mobilisé (90 pays dont les membres du G20, et près de 14 annexes techniques), il ne s’agit que d’un point d’étape permettant d’établir un socle de standards minimaux et d’organes de dialogue entre les pays partenaires de l’initiative. En effet, les vrais enjeux sont en réalité repoussés à plus tard, notamment lorsqu’il s’agira de définir les clés de répartition permettant d’attribuer à chaque pays la valeur économique dégagée par les entreprises, ce que le document appelle pudiquement « finaliser les lignes directrices pour l’application de méthodes transactionnelles de partage des bénéfices ». Par ailleurs, le lendemain, l’initiative consistant dans le partage automatique des rulings fiscaux a été décidée par les ministères européens des finances lors du conseil Ecofin : « Comme le souhaitait la France, les rulings en vigueur au 1er janvier 2014, y compris ceux qui sont aujourd’hui caducs, seront concernés », montrant par là même la « matérialisation » concrète des initiatives prises dans le cadre de l’OCDE par les pays européens. À la vérité, les enjeux sont multiples et il y a sans doute loin de la coupe à la lie :
- Il existe une volonté manifeste de lutter contre la fraude fiscale et son « pendant » légal, l’optimisation fiscale au niveau des pays les plus avancés (bien que ces derniers mettent en avant l’enjeu en matière de développement pour les pays les moins avancés).
- Par ailleurs, il existe également une certaine « surenchère » en la matière entre l’OCDE et la Commission européenne. On l’a vu récemment s’agissant de la liste noire des paradis fiscaux. Pierre Moscovici s’attirant les foudres de Pascal Saint-Amans puisque la liste européenne clouait au pilori 30 territoires jugés non coopératifs alors que la liste OCDE était devenue vide à compter de 2009[1].
- Enfin, le véritable enjeu est en réalité européen, dans la mesure où derrière la question de la lutte active contre l’optimisation fiscale, il y a la volonté de réduire la concurrence fiscale afin de faire progresser la proposition d’ACCIS (l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés)[2].
L’initiative BEPS, une approche multilatérale globale et complexe :
Les enjeux en effet sont très divers[3] : il s’agit tout d’abord de mieux comprendre la répartition de la chaîne de valeur des multinationales, de mieux fiscaliser la matière imposable là où se matérialisent véritablement les activités économiques ; mais aussi d’en déduire un meilleur contrôle des prix de transfert, de lutter contre l’usage inconsidéré des Patent Boxes, permettant d’exploiter les actifs immatériels et notamment les licences d’exploitation des marques et des actifs relevant de la propriété intellectuelle (intangible assets), mais aussi contre les cash boxes, localisées dans les paradis fiscaux, les montages relatifs à la TVA et l’échange automatique des rescrits fiscaux (tax rulings), un meilleur contrôle des sociétés étrangères contrôlées (SEC) et la lutte contre la « furtivité fiscale » par la redéfinition de l’établissement stable ; enfin une meilleure prise en compte des dispositifs hybrides afin d’éviter les doubles déductibilités, tout en luttant contre l’effet inverse les doubles impositions par la mise en place de procédures de règlement amiable des différends.
On le voit, les sujets ne manquent pas. Cependant en réalité comme l’ont très bien montré un certain nombre de commentateurs de bords très divers[4], les enjeux ont largement été détournés :
- S’agissant des prix de transfert, la déclaration normalisée pays par pays s’ajoutant aux nouvelles exigences en matière de documentation (action 8-10 et 13) devrait permettre un meilleur suivi des chaînes de valeur et de la construction du bénéfice. L’enjeu étant de dégager une grille de renseignements comparables entre les pays de façon à mieux appréhender la matière taxable. Effectives au 1er janvier 2016, ces déclarations pays par pays pour les sociétés dont le CA (chiffre d’affaires) annuel consolidé représente +750 millions d’euros, devraient comprendre : leur nombre d’employés dans le pays, les impôts acquittés, les bénéfices dégagés sur le territoire et le chiffre d’affaires. Cependant, ces éléments sont loin de la panacée espérée : si l’OCDE chiffre que 60% du commerce mondial est constitué par les échanges intra-groupes[5], l’organisme a été incapable de faire le lien entre l’attrition des recettes fiscales et l’optimisation réalisée par les grands groupes[6]. Par ailleurs, il est clair que la clarification du processus devrait aboutir à changer pour les firmes la composition des flux intragroupe. L’optimisation ne sera plus unidirectionnelle (des centres de coûts aux centres de profits, des législations à taux fort vers les législations à taux faible), mais par un émiettement de la chaîne de valeur en fonction des modifications des clés de répartition. Il n’est pas du tout sûr qu’à ce jeu-ci, les pays en voie de développement puissent y trouver leur compte, ni que la simplification tant attendue par les administrations fiscales des pays développés soit au rendez-vous.
- Cette approche est en outre confirmée par deux éléments complémentaires :
- L’évaluation des multinationales continue de se faire suivant une approche concurrentielle (et c’est tant mieux). La voie retenue n’emprunte donc pas celle alternative qui aurait conduit à une vision des multinationales non pas comme des galaxies d’entités indépendantes (ou s’agissant des prix de transfert devant refacturer leurs prestations comme telles), mais comme des entités uniques auxquelles on appliquerait une clé de répartition de profit « profit split ». Cette option a été dûment écartée par les pays concernés.
- Par ailleurs, les Patent boxes permettant de gérer les droits de propriété intellectuelle n’ont pas été remises en cause. Des pays comme le Royaume-Uni qui a développé un dispositif très attractif en la matière[7] a fait barrage, si bien que les négociations ont débouché sur la conservation en l’état des dispositifs de Patent boxes : celles introduites jusqu’à juin 2016 pourront voir leur régime actuel se poursuivre jusqu’en 2021, date à laquelle des évolutions seront possibles à partir d’un nouveau modèle de Patent Box proposé par l’initiative BEPS à partir de 2016.
Il en ressort que les flux de valeur actuellement décriés « sandwich hollandais » avec un régime mère-fille très favorable permettant d’attirer les holdings (dividendes et plus-values de cession faiblement ou non taxés) et un rôle accru de sociétés écran hollandaises vers les paradis fiscaux, lorsque l’on ne parle pas de « Double Dip » Irlandais (avec structures interposées), ne seront pas inquiétés dans l’immédiat. Pas plus que les montages consistant à localiser les centres de recherche en France (main d’œuvre peu chère et bien formée et Crédit d’impôt recherche (CIR) très performant), les licences de propriété intellectuelle en Grande-Bretagne et les holdings aux Pays-Bas. Même avec des petits correctifs à la marge, ces structures ne devraient pas avoir dans l’immédiat à se modifier sensiblement. En revanche tout porte à croire que les dispositifs proposés seront très complexes à mettre en place et sujets à de futurs contentieux nourris. Par ailleurs, les « méthodes transactionnelles de partage de bénéfice » entre administrations fiscales n’ayant pas été finalisées (en dehors de la TVA), on devra attendre notamment s’agissant de l’économie numérique, les « avancées » liées aux nouvelles notions comme la « présence économique significative », qui feront les beaux jours des juges.
Les avancées notables sur les rescrits fiscaux, la concurrence fiscale dommageable et les règlements amiables :
L’initiative BEPS apporte cependant des éléments favorables pour une concurrence fiscale moins faussée. Il s’agit en particulier :
- De la mise en place d’un processus de divulgation et de transfert automatique des rulings fiscaux. La solution est bonne, mais incomplète : il aurait fallu en proposer la publication en open data. Cependant, ce dispositif devrait permettre aux administrations fiscales et à la Commission européenne qui devrait pour l’UE tenir une base de données spécifique[8] en la matière, de vérifier l’absence de concurrence dommageable. On imagine qu’un volet avec les Etats-Unis pourrait voir le jour dans le cadre des négociations TAFTA (Transatlantic free trade area). Il s’agit d’un dispositif qui devrait permettre et rétroactivement d’avoir connaissance de ruling illégaux notamment à la suite de l’affaire LuxLeaks qui avait révélé l’existence au Luxembourg de près de 400 rulings illégaux. L’illégalité étant dans le cas présent le fait de concéder des rescrits constitutifs au sens du droit européen et de la jurisprudence de la CJUE d’une concurrence fiscale dommageable.
- Des forums de discussion entre pays sur une base massifiée. Cet élément est important dans la mesure où il permet une coordination et une révision par exemple des conventions fiscales sur une base multilatérale et non plus bilatérale ce qui devrait accroître l’agilité des réponses gouvernementales. Cette volonté devrait s’exprimer en particulier en matière de règlement amiable de différents entre états permettant d’éliminer à terme les situations de double imposition. En particulier :
- BEPS prévoit la mise en place d’un forum sur l’administration de l’impôt (FAI) et d’un versant plus technique le forum des procédures amiables.
- Introduire une clause d’arbitrage obligatoire et contraignante au sein même de l’instrument multilatéral chargé du suivi et de l’application des engagements de l’initiative BEPS. Il y aura donc une réponse notamment aux risques contentieux qui ne manqueront pas de se déployer entre états et entre les juridictions et les entreprises sur l’interprétation des dispositions de cette initiative.
- Un mécanisme de mise à jour du réseau mondial de conventions fiscales bilatérales (3.500 conventions) à travers l’instrument multilatéral (sus-évoqué) permettant une mise à jour des conventions de façon synchronisée et sans renégociation bilatérale.
En ligne de mire, la mise en place dans l’UE de la directive ACCIS (ou CCCTB) :
Dans sa communication du 16 juin 2015, la Commission européenne a rappelé les cinq axes de travail des pays membres afin d’aboutir à un système d’imposition des sociétés juste et efficace : le développement d’une assiette fiscale consolidée commune pour les sociétés (point 1) ; assurer une imposition plus proche du lieu où les bénéfices sont réalisés (point 2) ; améliorer l’environnement fiscal des entreprises (compensation transfrontalière des pertes, régler les différends relatifs aux doubles impositions) (point 3) ; garantir une approche harmonisée vis-à-vis des paradis fiscaux (point 4) ; réformer la coordination des administrations fiscales au sein de l’Union (coordonner les contrôles fiscaux et réformer le groupe « code de conduite » et la « plateforme concernant la bonne gouvernance en matière fiscale ») (point 5).
Il est aisé de voir que l’enjeu pour la Commission est totalement connexe à l’approche BEPS. En vue de mettre progressivement en place la directive ACCIS, il importe de limiter au maximum les « frottements fiscaux ». À cette fin au niveau global (OCDE) et régional (UE), il importe de coordonner la stratégie fiscale en matière de commerce dématérialisé (internet), de prix de transfert, de contrôle fiscal et de différences de législations. En clair, réformer l’environnement fiscal, le simplifier, le coordonner, pour paver la voie à l’harmonisation de l’assiette taxable. Pour autant, la mise en place d’une telle zone n’est pas nécessairement souhaitable, du point de vue concurrentiel même non faussé. Explications :
Un problème économique qu’il faut discuter :
À lire certains économistes, la mise en place d’ACCIS serait un élément décisif pour l’intégration européenne. Ainsi, Agnès Benassy-Quéré, Alain Trannoy et Guntram Wolf dans un article qui fera date[9], mettent en exergue que non seulement les pays européens se font concurrence sur les taux d’imposition mais également (et surtout) sur la base d’imposition. L’idée étant d’imposer une clé de répartition (apportionment formula) des bases fiscales imposables, tenant compte des actifs, des salaires, du nombre d’employés, et du capital physique. Ils proposent de s'engager selon un mode de coopération renforcée et d’initiatives ad hoc ce qui devrait aboutir à :
- Des gains immédiats pour les bénéficiaires de ces accords, avec pour les sociétés la possibilité de faire remonter les pertes, et pour les états d’annuler les cas de double déduction.
- En second lieu qu’un groupe de pays de taille importante pourrait convaincre les autres états de le suivre.
- De créer une capacité budgétaire à l’échelle de la zone euro.
Cependant les éléments qui vont à l’encontre de cette approche théorique sont nombreux :
- Conconi, Perroni et Riezman (2007[10]) ont pu montrer que les harmonisations partielles sont toujours bénéfiques en matière de taxation du capital (donc d’IS), comparées à l’absence d’harmonisation ou aux harmonisations intégrales, dans la mesure où les pays qui ne font pas partie de l’alliance, font pression sur ceux qui harmonisent leur fiscalité, afin d’en maîtriser les taux. Dans ce cadre, l’initiative BEPS pourrait permettre aux entreprises de réduire les coûts juridiques et fiscaux de leur déplacement au sein des pays prenant part à l’initiative et de faciliter les bilans coûts/avantages, en choisissant de s’installer dans ou de quitter une zone à base fiscale harmonisée.
- Par ailleurs, Devreux, Van der Horst, Loretz et Bettendorf (2011) montrent[11] que les phénomènes sont plus complexes : l’effet d’harmonisation des bases fiscales assujetties à l’IS devrait aboutir contre toute attente à une baisse du PIB global compris entre -0,1 et -0,2%[12], alors que l’assiette serait élargie de 7,9%. Mais ces effets négatifs seraient à leur tour compensés partiellement pour 0,1 point de PIB par la baisse des coûts de transaction (compliance costs). Enfin la suppression des reports en avant des déficits au profit de leur consolidation au niveau de la zone ACCIS unifiée pourrait également apporter des gains complémentaires, même si ces derniers pourraient être à leur tour neutralisés par une hausse coordonnée des taux. Enfin, les auteurs mettent en avant différents effets négatifs complémentaires :
- Les pays à la base très large actuellement comme l’Espagne ou l’Irlande seraient bénéficiaires (en termes d’augmentation de leur PIB), mais d’autres comme la Belgique, l’Estonie etc… seraient au contraire désavantagés car leur base fiscale actuellement étroite, serait étendue, diminuant leurs avantages compétitifs actuels. Les écarts entre pays seraient très importants : -4,5% du PIB pour la Belgique contre +1% de PIB pour l’Espagne. La seule façon de limiter ces arbitrages fiscaux serait d'en harmoniser aussi les taux, ce dont ne veulent à aucun prix les états-membres. L’effet serait de toute façon mince avec +0,3 points de PIB. Les auteurs n’évoquent pas l’initiative BEPS, mais celle-ci montant en puissance, une attractivité hors zone euro pourrait être plus forte et jouer contre la zone alors que les frottements fiscaux au niveau mondial auraient par ailleurs été largement abaissés…
- L’harmonisation de la base fiscale ne règle pas le problème des transferts de bénéfices, mais en change simplement la nature, le niveau de taxation permettant de localiser sur une base commune les lieux où localiser les déficits (avec au besoin des inversions, localiser la masse salariale forte dans le pays à faible fiscalité si la formule de répartition le prévoie etc.).
- En conséquence la définition de la formule de répartition des bénéfices imposables sera d’autant plus délicate que les caractéristiques du tissu économique de chaque pays à prendre en compte dans ses composantes seront plus tranchées.
- La consolidation des pertes va avoir pour conséquence première de réduire le niveau de taxation effective et donc le montant des rentrées fiscales.
- Enfin les gains en matière de prix de transfert (la Commission les estime à 3% des bénéfices), seront partiellement limités par leur survivance vis-à-vis des pays tiers.
- Enfin, dans un travail récent, Ortmann et Sureth (2014)[13] s’intéressent aux avantages pour les firmes en termes de SA (separate accounting) ou de CCCTB (common consolidated corporate tax base) en matière de report des déficits dans le cas (vraisemblable) où la mise en place de l’initiative serait optionnelle pour les multinationales. Les conclusions de l’étude sont intéressantes dans la mesure où elles se focalisent sur les entreprises multinationales en fonction de plusieurs critères : utilisation fiscale des pertes, allocation de la base fiscale en fonction des entités composant la firme, taxation des dividendes et taxation des intérêts intra-groupes ; il apparaît après simulations que :
- L’approche par CCCTB est avantageuse lorsque les flux pertes/profits croissent, alors que le système en termes de SA le devient lorsque les flux baissent. Par ailleurs, les avantages générés par la possibilité de faire transiter les pertes sur l’ensemble de la zone (CCCTB) sont contrebalancés par la possibilité en cas d’assiettes séparées (cas de la France et de l’Allemagne) de pouvoir pratiquer des reports en arrières de déficit dans les deux pays de façon séparée (ce qui serait supprimé avec la CCCTB).
- Le système CCCTB n’est pas dans tous les cas préférable même lorsqu’il est possible de consolider les pertes au niveau de la zone. En effet cela dépend de la stabilité des rapports bénéfices/pertes des entités du groupe, car les pertes peuvent être imputées plus rapidement dans le système de SA que dans celui de la CCCTB.
- Le système CCCTB est toujours préférable si le groupe subit des pertes initiales fortes suivies de bénéfices importants, dans la mesure où sous l’empire du système de SA, des impositions minimum (sur la production) sont toujours dues, alors qu’elles sont inexistantes dans le cadre de la CCCTB.
- Si certains pays comme le Royaume-Uni et l’Irlande disposent de dispositifs de report en avant illimités de leurs déficits et d’un an en arrière de leurs pertes, le système de SA est avantageux à 50%. Opter pour l’un ou l’autre pour un groupe implanté dans ces deux pays n’a donc d’avantage qu’en raison de son profil de gains et de pertes dans chaque pays.
Il ressort donc de cette analyse trois éléments clés : au-delà de l’effet d’allocation de la base fiscale (en fonction des taux pratiqués dans chaque pays) des facteurs complémentaires sont déterminants pour les firmes afin d’activer cette option : l’imposition des dividendes, le traitement fiscal des prêts intra-groupes et l’utilisation des déficits. En particulier les reports en arrière des déficits apparaissent déterminants. Enfin il apparaît que la faculté de consolider les déficits n’est pas avantageux systématiquement dans tous les cas. Si par ailleurs une version atténuée de la CCCTB devait s’appliquer, par exemple une CCTB (sans consolidation) ou un impôt minimal sur les sociétés, aucun avantage ne pourrait résulter même en limitant l’initiative à deux pays : la France et l’Allemagne.
Conclusion : Le risque d’effets pervers en cascade :
Si l’initiative BEPS rate le coche de la répartition de la matière imposable, après avoir atténué efficacement les frottements fiscaux, l’allocation des activités pour les multinationales en sera facilitée. Dans ce cadre, les taux deviendront d’autant plus déterminants que les cas de double imposition deviendront plus rares. Il n’est pas sûr dans ce cadre que les effets positifs attendus de la lutte contre l’optimisation fiscale, seront au rendez-vous. Pour amadouer les opinions publiques on avance entre 4% et 10% des recettes totales de manque à gagner pour les budgets des états concernés, soit entre 100 et 240 milliards au niveau mondial. Une somme qui reste importante en valeur absolue, mais marginale tout de même par rapport à l’impôt déjà payé et par les sommes représentées par la fraude fiscale. Dans ce cadre et suivant des chiffres différents avancés par le rapport LAFFINEUR/BRUNEAU (2015), le manque à gagner en termes d’IS s’élèverait à 15 milliards pour la France, tandis que l’optimisation au sens global concernerait entre 2 et 3% des PIB nationaux (on dépasse alors largement la question de l’IS) et atteindrait donc en France entre 40 et 60 milliards, ce qui fait dire à certains que si ces sommes étaient appréhendées elles combleraient au moins la moitié du déficit public.
En réalité, nous pouvons d'ores et déjà constater que ces ordres de grandeurs n’ont pas beaucoup de sens. Il apparaît en effet assez clairement que d’une part, l’arbitrage pour les firmes s’effectuera en fonction des taux effectifs d’imposition pratiqués, de la structure de leurs rapports bénéfices/déficits, de la capacité à pouvoir les reporter dans le temps et dans la transparence des clés de répartition des recettes produites. Or tout porte à croire que les taux d’impôts ne s’harmoniseront pas de sitôt, tandis que les études économétriques montrent que l’unification des assiettes fiscales et l’utilisation sur option de ces dispositifs par les entreprises ne représenteront pas nécessairement des gains pour les états en termes de recettes fiscales. On devrait donc paradoxalement aboutir à une démocratisation de l’optimisation pour des firmes de petites dimensions, la transparence des règles ouvrant la possibilité de se mouvoir à des entités plus petites que celles qui vivaient justement de l’opacité. Enfin, sur les objectifs de transparence et de participation des pays en voie de développement au bénéfice de la lutte contre l’optimisation, il y a fort à parier qu’il s’agit plus de paravents commodes et éthiques que d’options durables, tant les systèmes développés resteront complexes et difficiles à maîtriser.
[1] Voir Le Monde, La liste « moscovici » des paradis fiscaux fait grincer des dents, 18/06/2015.
[2] On se reportera à la communication de la Commission, du 17 juin 2015, COM(2015) 302 final, Un système d’imposition des sociétés juste et efficace au sein de l’Union européenne : cinq domaines d’action prioritaires,
[3] OCDE, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, Exposé des actions 2015, octobre 2015. Précisons par ailleurs que la polémique sur les 2100 milliards détenus par des sociétés américaines à l'étranger est vaine. Elle résulte de la législation américaine même qui cherchait à développer en son temps les investissements à l'étranger en les faisant échapper en cas de non rapatriement à l'impôt américain. Pour une revue de détail des 500 plus grosses firmes américaines, consulter le rapport du Think Tank CTJ, Offshore Shell games 2015.
[4] Voir par exemple dès 2012, les premiers éléments développé par le cercle des juristes dans son rapport relatif aux prix de transfert mais également les derniers développements apportés par la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires.
[5] Voir Les Echos, Jean-Denis Errard, Les nouvelles règles fiscales sur les prix de transfert, 10/01/2014.
[6] Consulter, Philippe Durand, L’heure du BEPS, Revue administrative, 2013 : « Au départ des travaux du BEPS, se situe la forte pression des Etats développés confrontés à une attrition de leurs recettes fiscales que certains imputent, à tort ou à raison à l’optimisation fiscale, qu’elle soit le fait des groupes transnationaux ou des particuliers. L’OCDE s’est efforcée de vérifier cette analyse dans un rapport publié en février dernier : le résultat n’est pas probant. » Voir en particulier le rapport de l’OCDE de février 2013, Aggressive tax planning after tax hedging,
[7] Voir www.gov.uk
[8] Voir communiqué de Presse de Michel Sapin, 6 octobre 2015, n°462
[9] Voir Benassy-Quéré, Trannoy et Wolf, Tax harmonisation in Europe : Moving forward,
[10] Paola Conconi, Carlo Perroni, Raymond Riezman, Is partial tax harmonization desirable ? janvier 2008.
[11] Michael Devereux, Albert van der Horst, Simon Loretz, Leon Bettendorf, Corporate tax reform in the EU : Wieghing the pros and cons, 20 mars 2011, et The economic effects of EU-reforms in corporate income tax systems, Studies for the Consolidated corporate tax impact assessment (2011). http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/common/publications/studies/ccctb/cortax.pdf
[12] Conclusion reprise par Jean-Philippe Delsol dans deux tribunes « Les dangers d’un impôt européen sur les sociétés », LesEchos, 04/02/2015 et Europe : l’uniformisation de l’impôt sur les sociétés dégradera la croissance et l’emploi, l’Opinion, 20 janvier 2015.
[13] Regina Ortmann et Caren Sureth, Can the CCCTB Alleviate tax discrimination against Loss-making European Miltinational Groups? Discussion paper n°165 juin 2014, version revise mars 2015.