Électricité éolienne : opacité de l'évolution des coûts
Pour favoriser le déploiement des centrales éoliennes terrestres, le gouvernement fixe les tarifs auxquels EDF[1] doit acheter toute l’électricité éolienne produite. En 2006, le décret avait mis la barre à 82€ / Mwh, garantis pendant 15 ans[2]. Les suivants ont réduit ce prix d’environ 10 € / Mwh pour les nouvelles centrales, tout en allongeant la période de garantie à 20 ans.
Mais en 2017, la Commission de régulation de l’électricité (CRE) a constaté un prix moyen d’achat de 88,1€ / Mwh. Un niveau mettant en évidence que le prix affiché à la signature des contrats constitue un plancher. Chaque année, il est réévalué en fonction d’un indice complexe, qui augmente le prix de l’électricité éolienne, et donc les taxes sur l’énergie payées par les consommateurs.
Dans son rapport de mars 2018, Le soutien aux énergies renouvelables, la Cour des comptes a mis en lumière "Un volume global des charges de soutien à venir mal anticipé" et sa première recommandation a été de "Publier le calcul des coûts de production et des prix, actuels et prévisionnels, de l’ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE." En chiffrant le niveau des tarifs non plus sur la première année mais sur les 20 ans de la durée des contrats, cette note veut contribuer à informer et à répondre à la demande de la Cour des comptes.
[1] Et ses concurrents à partir de 2017
[2] Le prix moyen en France des productions classiques (hydraulique, nucléaire, gaz, fuel, charbon) est de 45 euros.
Mode d’indexation
Pour l’éolien terrestre[1], le tarif annuel garanti auquel le producteur vend l’électricité de ses éoliennes dépend de trois paramètres[2] :
Paramètres | Nom |
---|---|
Le plan gouvernemental dont dépendent ses éoliennes | Tarif de référence (Tr) |
La date d’acceptation du projet par le gouvernement | Tarif de base (Tb) |
L’année de production | Tarif courant (Tc) |
- Le tarif de référence Tr est fixé par décret par le gouvernement (ex. 82 € / Mwh)
- Le tarif de base Tb est calculé en multipliant le tarif de référence par le coefficient K, fonction de l'évolution des salaires Tb = K*Tr
K = 0,5 × (ICHTrev-TS₁ / ICHTrev-TS₀) + 0,5 ×(FM0ABE0000₁ / FM0ABE0000₀)
- ICHTRev-TS : coût horarire du travail révisé, tous salariés, publié par l'INSEE
- FM0ABE0000 : prix de production de l'industrie française pour le marché français, publié par l'INSEE
- indice 0 correspond à la date du tarif de référence
- indice 1 correspond à la date d'acceptation du projet
- Le tarif de l’année, ou tarif courant Tc, est calculé en multipliant le tarif de base par le coefficient L. fonction des coûts de production industriel Tc = L*Tb
L = 0,4 + 0,4×(ICHTrev-TS₂ / ICHTrev-TS₁) + 0,2×(FM0ABE000₂ / FM0ABE0000₁)
- indice 1 correspond à la date d'acceptation du projet
- indice 2 correspond à la date de production
Ces deux coefficients sont fonction du coût de la main-d’œuvre dans les industries électriques et mécaniques, et des prix de production de l’industrie française pour le marché français. Les formules de calcul de ces deux indices sont publiques mais leurs valeurs passées ne sont pas publiées, et les projections faites sur l’avenir non plus. Compte tenu des indicateurs retenus, ils progresseront presque toujours plus vite que l’inflation (Le détail des formules est disponible dans le document Contrat d’achat d’électricité).
A titre d’exemple, l’évolution de l’indice FM0ABE0000 sur dix ans montre la croissance de l’indice dont dépend le prix de l’électricité éolienne terrestre.
Pour les nouveaux contrats souscrits à partir de 2018 par appels d’offres et non plus à prix garantis, une nouvelle formule pour le facteur L a été mise au point :
L= 0,7 + 0,15×(ICHTrev-TS₂ / ICHTrev-TS₁) + 0,15×(FM0ABE000₂ / FM0ABE0000₁)
Application à un cas concret :
plan éolien de 2006, contrat signé en 2007, production de l’année 2017
Tarif du plan 2006 | Tarif à la signature du contrat 2007 | Tarif |
---|---|---|
| K=1,027 | L=1,117 |
82 € / Mwh | 84,22 € / Mwh | 94,09 € / Mwh |
Plus généralement, le diagramme ci-dessous montre l’évolution sur 20 ans du prix de production des centrales éoliennes existantes. Deux hypothèses sont illustrées, selon que l’indexation conduit à une augmentation du prix d’achat par EDF de 1 ou 2 % par an. En comparaison la courbe grise représente l’évolution en fonction d’une baisse de 1% par an du prix pour les nouvelles centrales, conformément à des promesses des responsables politiques.
- En gris : le prix de vente de la production des anciennes éoliennes augmente de 2% par an à partir du tarif de référence de 82 euros ;
- En orange : le prix de vente de la production des anciennes éoliennes augmente de 1% par an à partir du tarif de référence de 82 euros ;
- En bleu : le prix de vente de la production des nouvelles centrales éoliennes baisse de 1% par an à partir de 82 euros.
Au total, dans 20 ans et avec ces hypothèses, la production des centrales attribuées à 82 euros en 2016 serait de 100 ou 120 € (en euros constants 2016), soit 65 à 84% plus coûteuse que celle des nouvelles éoliennes.
Conclusion
Les tarifs de l’électricité éolienne[3] sont indexés partiellement sur l'évolution des salaires alors que les investissements et leurs amortissments constituent le facteur essentiel de la formation des coûts de production. Et les conséquences de l'indexation ne sont ni mesurées ni publiées.
En voulant contourner les lois du marché sur une longue période, nous nous sommes, en France, enfermés dans une mécanique infernale. En Allemagne, à partir de la mise en production, les prix sont désormais fermes et définitifs (pas d'indexation sur l'inflation) sur la période de 20 ans. Au Royaume-Uni, plus aucun tarif n’est garanti aux producteurs depuis 2015. En supposant qu’en France, des règles d’indexation aussi complexes aient été indispensables il y a 12 ans pour permettre le développement de cette technologie, le minimum de transpartence serait que les véritables prix d'achat soient publiés de façon détaillée par la Commission de régulation de l'énergie. Les subventions aux énergies renouvelables sont actuellement de 5 milliards par an, et vont passer à 8 milliards en 2024. Des montants considérables, comparables au budget de la justice ou à celui de la recherche publique, qui justifient une exigence de tranparence vis-à-vis des décideurs politiques, des consommateurs et des contribuables.
[1] Des modes d’indexation similaires sont en place pour l’éolien marin, le solaire ou la méthanisation.
[2] Une nouvelle méthode de soutien par « complément de prix » a été mise en place en 2017. Les méthodes d’indexation étant similaires, nous traitons du système de prix garantis de 2006-2016, le principal en production actuellement.
[3] Le problème est le même pour les tarifs de l’électricité produite par les éoliennes marines, les centrales photovoltaïques et les méthaniseurs.