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Agriculteurs : des revenus souvent inférieurs aux subventions

Comme tous les entrepreneurs, les agriculteurs français tirent leur revenu du résultat de leur entreprise, mais le leur est complété par divers « concours publics » dont les 9 milliards d’euros de la politique agricole commune européenne (PAC) alloués à la France. Un mécanisme déjà ressenti comme humiliant, et plus de 100.000 chefs d’exploitation travaillent soixante heures par semaine pour un revenu final inférieur au montant des subventions qu’ils reçoivent. Preuve d’un système inefficace et insupportable. 

  Cas théorique 
subventions : 2.000 € / mois, revenu du chef d’exploitation : 1.400 € / mois  

Soit un agriculteur, exploitant 70 hectares et percevant 24.000 euros de concours publics (300 euros par hectare plus 3.000 d’aides agro-environnementales), dont le revenu est égal au SMIC, soit 16.800 euros. Résultat : il détruit 7.200 euros par an[1].

Cas concret - 1
subventions : 4.600 € par mois, revenu des chefs d’exploitation : 4.994  € /mois  

Deux actifs, 137 hectares. Document de « RéussirLait » n° 300

Le revenu des agriculteurs est un peu supérieur au montant des subventions. Mais deux personnes ont utilisé des capitaux et travaillé pour générer 4.085 euros par an.

Ce reportage a été réalisé d’après les chiffres de 2014 avec un prix du lait de 0,411 € / litre. En 2015, si le prix du lait a baissé à 0,330 euros/litre, on peut craindre que les revenus soient inférieurs au montant des subventions.

Cas concret - 2
subventions : 5.500 € par mois, revenu du principal chef d’exploitation : 1.300 € /mois  

Trois actifs, 150 hectares. Reportage de France 2 du 25 janvier 2016 

Les exploitations agricoles sont classées en trois catégories, en fonction du niveau théorique de leur production brute standard[2] (PBS) par an. En 2016, on compte 330.000 exploitations agricoles[3] dont environ 90.000 Petites en dessous de 25.000 euros de PBS, 110.000 Moyennes entre 25 .000 et 100.000 euros, et 130.000 Grandes au dessus de 100.000 euros (source Agreste Primeur 266). Les 90.000 petites exploitations n’occupant que 0,8% de la surface agricole, et les exploitations moyennes et grandes fournissant 97% de la production brute standard (PBS)[4], il est logique de se concentrer que ces deux catégories, les petites exploitations étant en réalité très petites et souvent gérées à temps très partiel ou par des retraités.

Travailler ou vivre des aides de l’État ?

S’ils étaient distribués de façon strictement égalitaire, les concours public[5] (hors subventions des collectivités locales et subventions à la MSA[6]) assureraient à  chacune des exploitations moyennes et grandes un revenu si proche (de 5 à 11% selon les sources) du revenu moyen effectif des exploitations, qu’il faut à de nombreux agriculteurs beaucoup de fierté pour continuer à travailler plutôt que de simplement encaisser leurs subventions[7].

Comparaison entre les concours et le revenu,
 par exploitation moyenne et grande (2013)

(Concours = paiements uniques, aides couplées, aides 2nd pilier)

 

Source Agreste Primeur 321

Source:  Farm  economy focus
European Commission

Concours moyen par exploitation

34.100 €
/ an

2.841 €
/ mois

29.893 €
/ an

2.491 €
/ mois

Revenu moyen par exploitation

38.305 €
/ an

3.192 €
/ mois

31.580 €
/ an

2.631 €
/ mois

Écart Subvention/Revenu

11 %

5 %

 

Note : l‘année 2013 pour laquelle ces données sont disponibles était encore une année positive pour la plupart des agriculteurs.

Revenus par type de production

La taille des exploitations a un impact sur le revenu des agriculteurs qui dépend aussi beaucoup du type de production, de l’environnement économique général et des conditions propres à l’agriculture, conduisant à une forte volatilité. Après trois années très favorables à la plupart des secteurs, le revenu des agriculteurs a baissé d’environ 15% en 2013, encore considérée comme une « assez bonne année ». Cette tendance a persisté en 2014 avec une nouvelle baisse de 5%. Les données du ministère de l’Agriculture pour 2015 annonçant un progrès de 16% sont contestées comme étant, soit fausses, soit dissimulant de très gros écarts entre les différentes filières. 

Revenu courant avant impôt par actif non salarié[8] (exploitations moyennes et grandes)

Type d’exploitation

Revenu moyen par mois

2012

Revenu moyen par mois

2013

Céréales, oléo-protéagineux

4.725 €

1.550 €

Plantes sarclées, légumes en plein champ

6.491 €

5.158 €

Éleveurs laitiers

2.025 €

2.091 € 

Éleveurs bovins viande

1.791 €

1.525 €

Éleveurs caprins et ovins 

1.558 €

1.341 €

Éleveurs porcins 

3.800 €

2.233 €

Éleveurs volailles

2.733 €

1.708 €

Viticulteurs

3.300 €

2.983 €

Arboriculture

2.500 €

2.508 €

Maraîchage

2.783 €

2.383 €

Source : Agreste Primeur, N° 307 et 321

Revenus par classe d’exploitation

En 2012, le nombre d’exploitations avait baissé à 387.686 dont 10% d’entreprises agricoles, par exemple des sociétés de services agricoles ou des jardineries, soit 352.054 véritables « fermes ». Parmi les exploitations agricoles, 32% des exploitations moyennes et grandes[9] ont un résultat par actif non salarié inférieur à 10.000 € par an et 17% ont un résultat négatif (source Agreste Primeur 321, décembre 2014). Des ordres de grandeur confirmés par les déclarations à la Mutuelle sociale agricole puisque en 2012 (très bonne année), seulement 123.353 chefs d’exploitation ont  un revenu supérieur à 1.820 SMIC horaire, un niveau correspondant à peu près au SMIC mensuel à temps complet,  soit 1.425 euros par mois  (800 SMIC horaire  = 626 euros par mois, 600 SMIC horaire =  470 euros par mois).. Des chiffres similaires en 2014 où seulement 32% des chefs d’exploitation ou d’entreprise ont des revenus supérieurs à 1.820 SMIC.

Rentabilité des capitaux

Les revenus des chefs d’exploitation doivent rémunérer leur travail propre plus le capital nécessaire à leur activité. Le capital moyen des « fermes » françaises est de 385.348 euros. Ce chiffre est faible vu le coût des matériels et des installations complexes qui sont nécessaires, en raison du faible prix des terres agricoles en France et du fait que les deux tiers des terres agricoles sont louées. Selon la rentabilité que l’on estime « juste », par exemple de 2 à 4%, ce capital devrait rapporter entre 7.000 et 15.000 euros par an. Si on déduit ces montants des revenus totaux des chefs d’exploitation, leur travail apparaît comme très mal rémunéré, souvent en moyenne de moins de 1.200 euros par mois.

Situation à l’étranger

Les comparaisons avec l’étranger sont rendues délicates par les différences de structure. L’Allemagne par exemple comporte de très grandes fermes mais aussi de nombreuses petites dont les exploitants sont souvent pluriactifs et salariés par ailleurs. Les données moyennes ne reflètent pas non plus les écarts entre types de production. En France, dans le secteur viticole, les subventions ne représentent que 3.270 euros pour un revenu moyen par exploitation de 45.605 euros. Malgré ces deux restrictions, l’écart entre la France et les autres pays est tel qu’il met en évidence des problèmes spécifiques à notre pays : il est anormal que les agriculteurs français, de mieux en mieux formés, dans un pays au sol et au climat très favorables à l’agriculture, travaillent autant pour de si faibles résultats, tout juste supérieurs au montant des subventions.

De combien, la production agricole améliore-t-elle le montant des subventions perçus ?

En moyenne par exploitation

Italie

Espagne

Pays-Bas

Royaume-Uni

Danemark

Allemagne

France

Subventions en €

  6.436

  9.313

16.875

42.059

37.076

34.821

29.893

Revenus en €

18.890

26.646

46.630

69.747

54.277

49.958

31.580

De combien le revenu des exploitations  dépassent-ils le montant des subventions ?

46 %

45 %

44 %

40 %

32 %

30 %

5 %

 

Source Farm economy focus, Commission européenne, données 2013

Note de lecture : en Italie, le revenu moyen des exploitations est supérieur de 46% au montant moyen des subventions ; en France, de5%.   

Situation des fonctions de support aux agriculteurs

En première ligne, les agriculteurs sont exposés à de nombreux risques financiers, pour des durées de travail considérables et généralement de faibles revenus. Sur tous ces points, à l’arrière, la situation des 30.000 fonctionnaires du ministère, des 8.000 salariés des chambres d’agriculture, des 3.500 des organismes professionnels et des 1.000 des SAFER, est beaucoup plus favorable que celle des agriculteurs qui sont pourtant leurs employeurs. Par exemple, les salariés des chambres d'agriculture de la Creuse, Lozère, Loire-et-Cher... sont en grève pour protester contre la passage du temps de travail de 39 à 37 ou 35 heures qui conduirait à réduire le nombre de jours de RTT, actuellement au nombre de 23 par an. Soit un total de congés et de RTT de quasiment 10 semaines par an pour 39 heures de travail. 

Conclusion

Fixé il y a des décennies, l’objectif de fournir aux agriculteurs des revenus comparables à ceux des autres Français n’est pas atteint malgré des taux de subventions atypiques. On suppose que cet objectif était à compétence, responsabilité, temps de travail et capitaux équivalents. Qu’une subvention vienne  compléter un revenu insuffisant peut s’envisager, mais qu’une partie de cette aide disparaisse dans l’activité est invraisemblable. Vouloir traiter ce problème en augmentant simplement les prix n’est pas plus réaliste que dans les autres secteurs : à qualité égale, ni les Français ni les étrangers ne sont prêts à durablement acheter des voitures, des vacances, des vêtements ou des poulets français plus chers que leurs  équivalents étrangers. Continuer à plaider pour que rien ne change comme le font certains syndicats, la plupart de nos parlementaires à Paris et tous nos ministres et représentants à Bruxelles, est humiliant pour les agriculteurs et suicidaire pour notre agriculture. C’est l’adaptation des structures des exploitations en fonction de leurs marchés spécifiques qui est la seule solution. Les producteurs quasi industriels de betteraves, de colza ou de céréales, n’ont pas les mêmes contraintes que le producteur de fromage ou de fruits AOC, que le viticulteur qui vend lui-même sa production à de fidèles clients ou que la multinationale qui vend aussi des alcools mais à l’international avec autant d’efforts de marketing et de publicité que les autres industriels du luxe.     

Propositions

Avec un très grand nombre d’exploitants approchant de la retraite, la situation démographique dans le secteur agricole offre une opportunité unique pour que se secteur se réorganise en fonction des réalités du XXIème siècle. A condition que ce soient les entrepreneurs eux-mêmes qui décident de leur avenir et non plus des comités irresponsables (préfectures, syndicats, contrôle des structures, autorisation d’exploiter, SAFER). Cela évitera les tragédies humaines, et les plans de reconversion d'agriculteurs en faillite comme celui qui vient d'être mis en place.      

  • Libérer le marché des exploitations agricoles, et donc ne plus entraver la réussite des agriculteurs les plus compétents[10] ;
  • Traiter les jeunes entrepreneurs agricoles comme leurs collègues des autres secteurs : ne plus encourager l’installation de jeunes agriculteurs qui, faute de capitaux ou de projets viables, n’ont pas de réelles perspectives de réussite[11] ;
  • Transférer progressivement les subventions sytématiques (indépendantes du cours des produits et du niveau de production) sur un système d'assurance ;
  • Traiter les toutes petites exploitations (90.000 sur un total de 330.000) par des mesures sociales et non pseudo-économiques[12] (objectif : réduire leur charge administrative, celle des administrations et le coût de ces organismes) ;
  • Désinciter les sur-investissements discutables réalisés par les agriculteurs les « années fastes » en  moyennant la fiscalité et les charges sociales sur plusieurs années.

     

[1] L’activité de cette exploitation, et les 7.200 euros détruits contribuent à l’activité du secteur économique et géographique.     

[2] La PBS correspond à un chiffre d’affaire théorique, pas au revenu final

[3] Hors entreprises agricoles (jardinerie, entreprise de travaux agricoles… ), voir tableau ci-dessous extrapolé à 2016.

[4] Source : http://www.insee.fr/fr/ffc/tef/tef2014/T14F172/T14F172.pdf

[5] 11 milliards d’euros,  ref : Les concours publics à l’agriculture en 2013 page 13 (agriculture et territoire ruraux)

[6] En 2013, le régime social agricole reçoit 9,3 milliards de la part des autres régimes et 9,1 milliards de subvention de l’État.

[7] Des contrôles interdisent cette forme de « retrait » au moins pour les jeunes en phase d’installation

[8] L’actif non salarié est le chef d’exploitation et éventuellement un membre de sa famille ou un co-exploitant

[9] Moyenne exploitation: plus de 25.000 € de production brute standard (PBS) par an, Grande exploitation: plus de 100.000 € de PBS par an (source Agreste Primeur 266) 

[10] Les procédures administratives qui régissent le marché des exploitations conduisent les personnes concernées à des ruses comme « d’installer » ses enfants ou son conjoint, une  façon de contourner les interdictions d’agrandissement, et sans doute à d’autres artifices encore moins avouables.

[11] Ces installations artificielles sont poussées par l’administration pour atteindre le quota qui leur a été fixé par le gouvernement croyant lutter contre le chômage,  et par les syndicats agricoles pour maintenir le nombre de leurs adhérents 

[12] Il serait plus simple de distribuer des aides de type RSA à ceux qui en ont besoin, plutôt que de leur demander de remplir des dossiers typiquement agricoles d’aides fonction de la surface d’exploitation, et des modes de production.